(re)Brander sa startup

Les 7 choses que nous avons apprises avec papernest

Yannick Servant
papernest
20 min readApr 19, 2018

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NB : English version here

8h02, mardi 17 octobre 2017, le coup d’envoi tant attendu est donné — c’est officiel et c’est dans le Journal du Net : Souscritoo lève le voile et devient (enfin !) papernest.

Changement de nom, levée de fonds, débuts de l’international, il y avait de quoi faire l’actu :)

Après 6 mois de travail acharné, de briefs créa, de moodboards, de pixel-perfect et de weekends passés sur Slack, notre jeune pousse germée en avril 2015 pouvait enfin éclore et fleurir dans un glorieux #5A52FF.

C’était certes un moment de grande fierté, mais c’était également un grand soulagement, après avoir accumulé les retards et connu les affres du doute et de la frustration.

Car pour une startup early stage, l’exercice du branding n’est pas facile : on sait qu’il est important, mais on sait que c’est un effort de long terme, et que les résultats s’en mesurent mal. On sait qu’il est structurant, mais que si jamais on pivote, il peut nous coincer. On veut rester lean, mais on sait qu’une plateforme de marque, ça ne s’A/B-test pas du tout comme une landing page. On a l’habitude des metrics dans Excel, et on a donc très peur de faire confiance à sa seule intuition.

Du coup, pas facile de savoir quand s’y attaquer sérieusement, quels moyens y mettre, et comment s’y prendre…

Comme nous sommes passés par tout ça chez papernest, nous nous sommes dit qu’en faire profiter la communauté pourrait rendre service 😇

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📆 Avant toutes choses, un rapide rappel des faits :
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Avril 2017 : préparation du brief avec le CEO. Bien mettre à plat les raisons de notre rebranding et ce que nous en attendrons, pour transmettre aux agences avec lesquelles nous allons travailler.
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Mai : début du travail avec l’agence de naming. Brainstorming et tornades de post-its pour générer des idées de noms… qui vont de “Karaté Clic” à “Paperoni”, en passant par “Rockform” (si, si).
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Juin : écrémage, affinage et shortlisting. Nous arpentons les bureaux pour tester notre short-list, sortons dans la rue pour interroger une centaine d’inconnus, et établissons des systèmes de scoring tous plus compliqués les uns que les autres pour essayer de départager tout cela avec un soupçon de rationalité. Pour finir, c’est à portes closes, les yeux fixés sur l’horizon, que nous tranchons : ce sera papernest !
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Juillet : kickoff agence créa, avec laquelle nous souhaitons construire pour ce nom une nouvelle identité, plateforme de marque et site web. Enthousiasme et ambition sont à leur paroxysme.
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Août : briefs, débriefs, moodboards, manifestes, idéations et allers-retours. On ouvre des pistes, on en referme d’autres, on explore, on doute, on stresse, on s’inquiète… clairement, l‘exercice est moins facile qu’anticipé…
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Septembre : l’exclusivité RP est négociée et la date de lancement est fixée, mais la créa n’y est pas encore… les itérations design et copywriting fusent, et, tant bien que mal, l’équipe dev se met dans les starting blocks.
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Octobre : on y arrive… ! La nouvelle identité est confirmée, les maquettes sont validées, et désormais les codeurs codent, contre la montre, furieusement, pour livrer un site qui sublimera le travail des six derniers mois.
Frayeur le 16 octobre au soir : la mise en prod du nouveau site nous cause des misères, et c’est avec bravoure que notre Lead Dev y consacrera sa nuit pour que le lendemain à 8h, tout soit prêt.
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17 Octobre 2017, 8h02 : vous connaissez la suite…

Hello World !

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Et maintenant, voici ce que nous avons appris de tout cela :

1. Votre branding est avant tout une promesse

Il n’y a pas d‘unique définition canonique du terme “brand” ou “branding”.

Il y a la version Elon Musk : “Brand is simply a perception [people] have about a product”.
Il y a la version Seth Godin “A brand is the set of expectations, memories, stories and relationships that, taken together, account for a consumer’s decision to choose one product or service over another.”.
Il y a la version Jeff Bezos : “Your brand is what other people say about you when you’re not in the room”.
Moins glam, il y a la définition de l’Insee : “la marque est un « signe » permettant de distinguer précisément les produits ou prestations de services d’une entreprise de ceux de ses concurrents.”

Et il y en a tant d’autres.

Et la plupart d’entre elles présupposent que le consommateur va faire l’effort intellectuel de se projeter dans l’univers du produit pour interroger la relation qui l’unit à lui. En startup early stage, mieux vaut rester modeste : rares sont les utilisateurs qui trouveront votre produit déjà si immersif qu’ils se lanceront spontanément dans une telle métaphysique.

C’est donc en tenant compte de notre jeune âge et de notre actuelle maturité produit que nous avons défini le sujet chez papernest : notre marque est la promesse que nous faisons à nos (futurs) utilisateurs.

L’avant-goût de l’expérience à laquelle l’utilisateur peut s’attendre s’il opte pour notre service. A la fois une mise-en-bouche, et les mots justes pour décrire l’expérience vécue.
Si l’exercice est réussi, la promesse est suffisamment forte pour donner envie de se projeter dans le problème auquel nous proposons une solution, et convaincre de tester le service. Elle est également suffisamment claire pour que l’utilisateur ait sans effort en tête les mots pour parler de notre service autour de lui, “when we’re not in the room”.

Ainsi définie, il y a cependant une erreur fondamentale à éviter. Celle de formuler une promesse que le produit et l’expérience ne sont pas en mesure de suivre.
Ou, pour paraphraser Limp Bizkit : “don’t write checks with your mouth that your ass can’t cash”.

papernest, c’est une promesse de simplification. Si vous parcourez notre homepage, vous trouverez mise en évidence la déclinaison UX de celle-ci : “De la résiliation à la souscription, on transfère gratuitement vos contrats et abonnements en quelques clics.”
Que se passe-t-il, donc, si nos formulaires ne chargent pas, si les prix que nous affichons sont erronés, si le suivi des contrats n’est pas réalisé, ou si pour une raison ou une autre nous perdons les informations d’un utilisateur ? Nos utilisateurs nous le feront savoir, en des termes rarement conciliants, et le feront également savoir à d’autant plus de personnes de leur entourage et de leur(s) communauté(s) en ligne que l’écart entre la promesse et l’expérience aura été grand.

Et l’on retrouve là une règle du Web que nous avons assez rapidement apprise : c’est un réflexe bien ancré chez l’utilisateur de prendre les armes sur les réseaux sociaux dès que l’expérience est déplaisante (pensez trains en retard, compagnies aériennes qui égarent des bagages, opérateurs téléphoniques peu réactifs). Le réflexe inverse est par contre fondamentalement difficile à déclencher : il ne nous est pas naturel d’encenser publiquement un prestataire de services, sa prestation fût-elle excellente.
Pourtant, c’est de cela que va vivre votre marque.

Cette réflexion nous permet d’avancer sur la question : quand et comment prioriser le travail sur la marque ?

Notre point de vue est le suivant :

Façon pyramide de Maslow, les trois étages sont nécessaires et complémentaires, mais doivent être construits dans l’ordre.

Customer Experience : si vous n’avez jamais lu Paul Graham, faites-le ! En tant que startup, vous avez devant vous un long chemin à parcourir avant que votre produit soit fonctionnellement révolutionnaire — votre service client, par contre, peut être aux petits oignons dès le jour 1.
Product : pour que startup devienne scale-up, il faut que les avancées du produit permettent de faire croître le nombre de tickets support significativement plus lentement que le nombre d’utilisateurs. Si ça n’est pas le cas, votre promesse tombe à l’eau, car l’expérience client ne pourra pas suivre.
Brand : entendu ici comme le système formalisé déclinant votre promesse sous toutes ses coutures, pour tous les supports. Une promesse forte tenue par une expérience client et un produit supérieurs ou égaux au niveau promis, c’est l’alignement magique des éléments pour une viralité et une croissance explosives.

Notons que “Product” et “Customer Experience” peuvent très bien être inversés. papernest est un service d’intermédiation qui s’est d’abord construit sur un modèle téléphonique, d’où un focus CX qui précède le focus Product.

Conclusion : investir temps et argent significatifs dans votre branding ne doit se faire qu’une fois que vous êtes fonctionnellement capables de tenir la promesse que vous allez formaliser et diffuser.

La réflexion que vous menez sur votre marque et sa promesse est cependant structurante à bien des égards pour l’expérience client et le produit. Nous l’aborderons plus bas.

2. Il n’y aura pas de moment “eurêka”

Nous rêvions d’unanimité et d‘idées si évidentes que nous en pleurerions de joie. Eh bien non.

En se lançant dans un projet créatif de l’ampleur d’un rebranding pour la première fois, on se met assez vite à rêver de scènes tout droit sorties des plus belles productions américaines : un dévoilement théâtral façon “you’ll see why 1984 won’t be like 1984” devant une foule en délire, transie et toute entière conquise par la nouvelle identité.

La réalité fait bien vite redescendre sur terre. Pour épargner la tourmente à son ego créatif, mieux vaut partir du principe que pas un seul choix ne fera l’unanimité.

Par exemple : sur base d’un brief pourtant très fourni, nous avons eu devant les yeux une centaine de propositions plus ou moins abouties pour le logo de papernest. Tout au long des 4–5 semaines qu’auront duré ces itérations, il n’y aura jamais eu, ni de coup de coeur individuel, ni d’exclamation collective de “oui, ça, sans l’ombre d’un doute, c’est nous”.

Et c’est normal.
D’une part, durant ce genre d’exercice, on craint toujours de s’investir émotionnellement dans une idée particulière, de peur que l’on soit seul à la défendre. On avance avec prudence, en se forçant à trouver des raisons de ne pas aimer des idées qui nous paraissaient pourtant pas si mal.
D’autre part, une proposition d’identité pour un projet qui n’a pas d’histoire n’est qu’une possibilité, pas une évidence, et elle pourrait tout à fait être ou ne pas être. Pourtant, une startup n’a pas le choix : son histoire n’est pas encore (ou peu) écrite, mais elle a besoin d’une identité.

Quand vous avez aujourd’hui devant les yeux le logo de FedEx, Apple ou Nike, ce sont des décennies de campagnes publicitaires et d’expériences avec les produits de ces marques qui vous viennent à l’esprit. Leur histoire est construite et c’est elle que vous projetez sur le logo qui du coup vous en paraît indissociable. De là vient le sentiment d’évidence.

La naissance et l’adoption du nom “papernest” témoignent encore plus fortement de cette absence d’évidence.
Mai 2017, l’agence de naming nous propose 25 noms, papernest en fait partie. Nous sommes moyennement convaincus. Nous en demandons 25 de plus. Après une semaine de shortlisting, nous nous arrêtons sur une dizaine de propositions, sans qu’une préférence radicale ait émergé. Lorsque nous les soumettons pour feedback à toute l’équipe, certains concepts accrochent, certaines sonorités plaisent, mais jamais à plus de 60% de l’effectif.
Tant bien que mal nous passons à une shortlist de trois. Spécifiquement avec papernest, nous aimons l’idée de “nest” mais trouvons que “paper” évoque le problème, pas la solution. Nous produisons nous-mêmes une bonne cinquantaine de variations. Aucune ne convainc. “Tant pis”, on reste sur papernest.
Nous menons notre enquête terrain pour les trois finalistes. Là encore, il y a un favori sur la sonorité, un autre sur le sens, un autre sur l’évocation. Je prends un verre avec trois amis. Chacun en défend un avec passion, et n’aime pas les deux autres…

Et c’est au bout de tout cela que nous avons tranché. Pas d’eurêka, pas de foules en délire. Un soupir, un regard vers le soleil couchant… “OK, ça sera papernest”.

Mais ce soupir n’a pas de sens : l’anti-climax émotionnel d’un procédé qui semblait s’être fait davantage par élimination que par choix laisse place à une réalité simple.

Un choix de nom, de logo, de typo, de couleur doit avant tout être une construction harmonieuse. Leur sens et ce qu’ils évoquent en interne comme en externe sont bâtis par ce que vous ferez après.

Nike aurait pu s’appeler “Light” et avoir pour logo une plume, après 54 ans de produits, d’athlètes et de storytelling, le résultat aurait été le même.

Aujourd’hui, pour rien au monde ne reviendrions-nous sur notre choix.

3. “The answer to this problem, when found, will be simple.”

Je vais me permettre ici de citer Bob Hoffman citant Albert Einstein :

“Near the end of his life he was being interviewed. The interviewer asked Einstein if he thought a grand unified theory would ever be found. He said, “The answer to this problem, when found, will be simple.”

No matter how complex a marketing or advertising problem seems to be; no matter how much convoluted research has been done; no matter how many conflicting opinions there are; no matter how many “decks” have been written and Powerpoint presentations have been made, the correct answer, when found, is always simple.”

The Ad Contrarian, “Einstein on Advertising

Autrement dit : un bon branding, c’est comme un bon jeu de mots (ou une bonne UX), s’il est besoin de l’expliquer, ça n’en est pas un.

Mettons en pratique avec notre choix de nom. Comme déjà mentionné, nous avions trois finalistes. Autres que papernest, il y avait Ernesto, et Galapago.

Ernesto :

Depuis le début j’avais en tête deux métaphores pour décrire notre projet :

1. Ce que nous voulons être pour nos utilisateurs, c’est ce qu’Alfred est à Batman, présence discrète et continue dans sa vie qui le décharge de toutes les tâches triviales afin qu’il puisse avoir l’esprit pleinement concentré sur la plus importante : sauver Gotham.
Si Batman avait en tête sa déclaration d’impôts lors de ses sorties nocturnes, son efficacité en pâtirait grandement.
Ce que nous voulons faire, nous, c’est décharger nos utilisateurs des tâches triviales de leur vie et de la procrastination qui en découle, pour leur rendre le temps de faire des choses bien plus belles.

2. Si notre projet était un animal, ce serait un paresseux, vêtu d’une cape de superhéros. Un paresseux qui aurait réussi à transcender sa propre nature et à vaincre la procrastination, grâce à notre service. Le phobique administratif nouveau, libéré.

Ernesto c’était donc une marque personnifiée, avec un imaginaire d’emblée très fort et très précis. Et, évidemment, nos bureaux auraient été remplis de peluches de paresseux superhéros.
Notez que le nom aurait pu être Ernesto comme il aurait pu être Jean-Michel Contrat, ça n’était pas le point le plus important.

Galapago :

Parmi les propositions de l’agence de naming, plusieurs itérations autour de l’univers des îles, des tropiques, qui s’accompagne d’idées d’évasion et de sérénité. Echapper à ses obligations administratives, les doigts de pied en éventail, un cocktail à la main. Métaphoriquement, s’entend.

Galapago sortait du lot pour plusieurs raisons.
1. Une sonorité agréable, confirmée par nos enquêtes internes et externes.
2. En faisant ressortir le “go” de Galapago avec un traitement visuel spécifique, nous avions d’emblée un élément de branding fort : “go” serait notre CTA tout le temps, partout. Réussir à s’approprier le mot “go” dans le langage courant, c’aurait été un sacré tour de force.
3. L’archipel des Galapagos étant doté d’une faune particulièrement riche, le champ lexical était d’emblée fourni pour nommer nos releases d’app, nos salles de réunion, nos événements…
4. On pouvait y trouver un niveau de lecture un peu plus “nerdy” : les îles Galapagos furent fertiles aux réflexions qui amenèrent Charles Darwin à sa théorie de l’évolution. Il était donc très tentant d’apposer à notre projet une métaphore évolutionnaire : Galapago, startup du darwinisme administratif.

papernest :

Le nid de papier, ou, par extension, le nid de votre administratif. Un lieu unique, familier, chaleureux, pour des choses importantes de notre vie qui sont habituellement sources d’angoisse et de procrastination. Le nid, c’est l’endroit où l’on est protégé et insouciant. papernest, c’est la volonté de recréer ce sentiment de sérénité là où on le croyait impossible.

Premiers éléments d’inspiration visuelle pour nous aider à départager les finalistes avant de nous lancer avec l’agence créa.

Se limiter à un seul niveau d’explication

Pourquoi avoir choisi le nom dont l’univers semblait initialement le moins riche ?
Galapago était un choix évocateur, Ernesto un choix aspirationnel. Et le fait est que dans les deux cas, il y avait deux niveaux d’explication à fournir : l’univers sous-tendu par le nom, puis en quoi cet univers est cohérent avec notre projet.
papernest, c’était un choix fonctionnel, avec un seul niveau d’explication. Un peu comme AirBnB, Dropbox, Pinterest, Facebook, la fonction est contenue dans le nom.

La plus grande difficulté que nous ayons vécue sous l’ère Souscritoo, c’était de rendre évidente la prestation en une seule phrase. Une “web-application de simplification administrative”, ça n’est une évidence pour personne, l’idée ne pré-existe pas dans l’esprit d’aucun de nos interlocuteurs, et sans information supplémentaire, chacun peut s’en faire une conception différente. A contrario, si je vous pitch Rover, l’AirBnB pour chiens, il y a peu de chances que vous vous imaginiez autre chose qu’un service de conciergerie entre particuliers pour canins domestiqués. Aujourd’hui, l’identité d’AirBnB est aspirationnelle et expérientielle, mais à ses débuts elle était, par nécessité, fonctionnelle. Ce qui lui a permis de définir par la suite à elle seule une entière catégorie de services.

Vous n’aurez jamais plus de quelques secondes de l’attention de votre public en ligne. Pour marquer : une idée forte, un seul niveau d’explication, qui peuvent facilement se reconstruire à partir des éléments de langage et de design fournis. Vous ne pourrez jamais faire trop simple.

4. Nobody Wants To Read Your Sh*t

Le titre d’un livre fondamental par Steven Pressfield.

Son message est simple : il est illusoire de croire que parce que vous avez mis toute votre âme dans ce que vous avez écrit, il est acquis que le monde voudra vous lire.
Être lu, cela se mérite.

“You begin to understand writing/reading is, above all, a transaction. The reader donates his time and attention, which are supremely valuable commodities. In return, you the writer must give him something worthy of his gift to you. When you understand that nobody wants to read your shit, you develop empathy.”

Steven Pressfield, “Nobody Wants To Read Your Sh*t

Et dans le monde des startups, dès qu’il s’agit de communication, le risque de dérive n’est jamais bien loin…

Nous avons tous été biberonnés aux keynotes de Steve Jobs, à l’idée qu’une bonne marque est une marque culte, et qu’une bonne startup est une startup dont l’hypercroissance révolutionnera le paradigme métaphysique de l’univers. Cela donne le plus souvent lieu à de la communication contenant beaucoup de 🚀 et de 🔥. À des visions grandioses qui transcendent parfois démesurément l’objet vendu.

En tant que marketeux en startup nous devons être extrêmement honnêtes avec nous-mêmes : une voiture, un parfum, une montre, c’est un achat déclaratif (mon achat dit quelque chose de qui je suis). Un signup à un outil SaaS, ou à un service d’intermédiation d’achat, non. Notre communication doit donc en tenir compte.
Certes, les premiers utilisateurs de Captain Train, par exemple, étaient des passionnés doublement geek de trains et de technologies, mais plus la user-base d’une startup grandit (et c’est bien là le but de l’hyper-croissance), plus l’utilisateur marginal est convaincu non pas par l’imaginaire mais par la fonction.

Ce qui peut se matérialiser ainsi :

Exemple de copywriting aspirationnel (je force le trait) :
papernest, c’est l’abonnement à la liberté, le choix des épicuriens qui pensent que la vie vaut d’être vécue sans entraves, et qui regardent l’avenir avec sérénité.
Exemple de copywriting fonctionnel :
“papernest, c’est toutes vos informations sur une seule page, le jargon en moins, le choix en plus. Et ça, nous le faisons gratuitement.”

La croissance d’un jeune produit Web est portée par une communication qui rend limpide à la fois le problème visé et sa résolution, le tout augmenté d’une forte dose de rassurance. Le “pain” auquel vous vous attaquez est bien spécifique — il sera mal servi par un discours aspirationnel, vague et verbeux, qui consumera les précieuses secondes d’attention qu’avait à vous accorder votre public chèrement acquis.

Si vous pouvez convaincre avec moins de mots, faites-le. Pour citer un illustre aviateur :

“La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer.”

Antoine de Saint Exupéry

Faut-il donc bannir toute forme de discours aspirationnel ?

Très bonne question, et à mon sens, non.
Il faut marquer la différence entre le discours interne et le discours externe. Notamment dans les premières années.
Le discours externe, c’est votre pitch client, le copywriting de votre app, de votre homepage —le portrait convaincant du problème que vous avez identifié pour le prospect, et la promesse qu’il sera résolu. L’utilisateur lambda fait peu de cas de votre mission et de vos visions de grandeur. Ce qu’il veut, c’est quelque chose qui marche, point.
En interne, par contre, le scénario est différent. En early stage, le produit est embryonnaire. Les brillants profils que vous avez recrutés vous ont rejoint non pas pour le produit tel qu’il est, mais pour la vision que vous leur avez présentée. Le présent ne leur suffit pas, ils vous ont rejoint pour le futur. La vie d’une startup est tumultueuse — dans les moments de difficulté, c’est en ravivant la flamme d’un futur auquel aspire le collectif que l’on remobilise les troupes.

Conclusion : ce que veulent vos prospects, c’est un discours convaincant et respectueux de leur temps. Ce que veulent vos employés, c’est être inspirés. Et ce sont là deux facettes d’un même branding.

5. Faire des choix dont le contraire puisse se défendre

Il y a des choix avec lesquels on ne peut pas ne pas être d’accord. Le bleu pastel, la photo d’un couple heureux dans son canapé sur fond de soleil radieux, la police Open Sans, les gifs de chats pour communiquer sur Facebook. Le bleu, par exemple, est la couleur préférée des hommes comme des femmes. Comptez le nombre d’icônes d’app bleues que vous avez sur votre smartphone.

Choisir les couleurs de sa nouvelle identité de marque n’est pas un moment de sérénité. On en perdrait le sommeil, torturé que l’on est par la peur de commettre l’irréparable. Et, la peur amenant au consensus, on opte progressivement pour un beau bleu, bien lisse. Souscritoo, c’était d’ailleurs exactement ça.
De même, le travail iconographique peuple très vite les moodboards d’images de gens jeunes, beaux, smartphone à la main, heureux, détendus. Et un poil niais.

Le problème de tout cela, à notre sens, c’est que ce sont certes des visuels plaisants et apaisants pour l’oeil, mais que ce sont des non-choix. Ils ne créent pas d’identité, car il y a très peu de startups pour lesquelles on puisse dire : “non, ça, ça n’est pas du tout vous”.

Illustrons le changement d’univers colorimétrique de Souscritoo à papernest :

La couleur primaire de papernest, le “Neon Blue” selon www.htmlcsscolor.com, est un choix délibérément identitaire : nous voulions une couleur suffisamment forte et inhabituelle pour que nous puissions nous l’approprier, que la simple vue de la couleur sans le logo fasse penser à papernest. Résultat : rien qu’en interne, certains l’adorent, certains la détestent, mais tout le monde a un avis, et tout le monde, sans exception, a le hexcode #5A52FF imprimé dans la tête comme un gimmick.

Et l’on touche là la question de la polarisation. Faire un choix dont le contraire peut se défendre, cela signifie ouvrir plusieurs univers parfaitement cohérents en soi mais incompatibles entre eux, et en choisir un. Votre choix fera des heureux et des malheureux. Mais moins il y aura d’indifférents, plus il sera structurant — les codes de votre marque seront d’autant mieux retenus qu’ils déclenchent des réactions émotionnelles fortes.

Deuxième illustration : l’écriture de papernest. La consigne est simple : toujours en minuscules, toujours en gras, même en début de phrase.
Ce qui n’aura pas manqué de perturber :

Il y a un avantage tout à fait scientifique à générer des réactions émotionnelles fortes. La mémoire des faits est étroitement corrélée à l’intensité des émotions. Vous vous souvenez infiniment mieux de votre première fois que de votre centième, infiniment mieux de votre dernière négociation de salaire que de votre dernière formation Excel.

Cela veut-il dire qu’il faille verser dans le trash et la débauche d’émotions pour créer une marque forte ? Non, et vous vous en doutez. Les choix polarisants que vous allez faire vont définir votre startup pour les années à venir, vous arriverez très bien à trouver la limite vous-mêmes. 😉

Concluons sur une citation de Guy Kawasaki :

“The worst case is to incite no passionate reactions at all, and that happens when companies try to make everyone happy.”

6. Les décisions ne sont pas démocratiques

Ce point est le prolongement plutôt logique de ce qui précède.

La démocratie mène au consensus. Comme modèle de société, c’est plutôt pas mal. Comme mode de décision pour votre (re)branding, c’est contre-productif.
Ca ne fera en rien plaisir à vos équipes, qui auront naturellement envie de s’investir dans le projet, mais il faut que le nombre de personnes autour de la table soit le plus limité possible. Ce qui ne veut pas dire que vos équipes ne seront jamais consultées, bien au contraire, mais il faut qu’elles le soient sur des points extrêmement précis, via des modes de consultation qui aboutiront à de la donnée (quantitative et/ou qualitative) exploitable.

Créer une identité forte ne peut pas se faire quand tout le monde a son mot à dire. Pensez Alfred Duler, 99F.

7. Nom, site, brand book : ce n’est que le début

À la fin d’un travail de (re)branding, les livrables sont assez standards : nouveau logo, charte et plateforme de la marque déclinés dans un Brand Book, maquettes du nouveau site Web, éventuellement des éléments vidéo, display, etc… pour enchaîner avec une campagne de communication.

Quelle est la suite des événements ?

Si le travail créatif a été bien fait, vous avez entre les mains une identité et un message forts. Il s’agit maintenant de les faire vivre.

Deux mots d’ordre : cohérence, répétition.

Cohérence

Si les fondateurs, l’équipe Marketing, l’équipe RH, l’équipe Sales et l’équipe RP font chacun une communication à leur sauce, dans leur coin, en ne piochant dans le Brand Book que les éléments qui les intéressent, les mois d’effort investis seront anéantis. Il y a donc un gros travail d’accompagnement à faire de la part du chef de projet et owner de la marque.
Faire un onboarding avec toutes les équipes pour leur présenter les intentions et consignes contenues dans le Brand Book. Faire de la pédagogie en continu pour matérialiser l’intérêt de consentir un effort supplémentaire pour que tous les éléments de communication (visuels ou écrits) soient “on-brand”. Incarner la marque au quotidien et être source d’inspiration pour ses collègues (ça n’est pas facile, mais c’est nécessaire).

Ce que vous voulez, c’est qu’en navigant entre votre site, votre app, vos pages sociales, votre service client, la transition soit parfaitement naturelle. Plus l’univers de marque est cohérent, plus vous marquez de points confiance auprès de l’utilisateur.

Dans le cas contraire, le risque est que vous accumuliez de la “brand debt” qui sera extrêmement difficile et pénible à rattraper, sans parler de l’impact sur vos utilisateurs et prospects.

Répétition

Faisons un exercice :

Nespresso, …
Mercurochrome, …
À quoi ça sert des vêtements…
Just…
Carglass…

Sont-ce là les plus brillantes punchlines du monde ? Peut-être. Est-ce leur unique qualité intrinsèque qui fait que vous les connaissez par coeur ? Non. Vous les avez chacune entendues, vues, lues chacune au moins 500 fois dans votre vie.

Dans un monde submergé de messages (publicitaires ou non), pour sortir du lot il faut certes créer quelque chose de fort et d’unique. Mais aussi (surtout) il faut le répéter, le marteler, en externe, en interne, avec une cohérence obsessionnelle.

Concluons…

Le (re)branding pour une startup, ça n’est pas juste l’occasion de se donner un bon coup de polish. C’est un travail long et difficile, mais qui permet un recentrage salutaire sur le coeur de l’identité de votre projet et comment celle-ci s’exprime en interne comme en externe. Ca n’est en aucun cas un travail qui quadruplera vos metrics de transformation du jour au lendemain, mais c’est une étape indispensable pour pérenniser votre croissance économique et RH de long terme.

Vous êtes passionnément d’accord / en véhément désaccord avec ces quelques idées ? Cool ! Discutons-en 😉

En bonus

Le Brand Book de papernest, c’est par ici.

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