Vers une sécurité sociale de l’alimentation à Lyon

Gautier Chapuis
6 min readDec 30, 2021

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En novembre 2020, nous votions au conseil municipal de la ville de Lyon une expérimentation pour agir face à la précarité alimentaire des étudiantes et des étudiants.

Derrière cela, il y a bien plus :

la volonté d’expérimenter une solution viable et locale de sécurité sociale de l’alimentation afin de permettre à toutes et tous d’avoir accès à une alimentation saine et durable.

Avant de revenir sur cette expérimentation, parlons un peu de l’aide alimentaire et de la SSA (Sécurité Sociale Alimentaire).

L’aide alimentaire : vraie fausse solution

Le financement public concernant l’aide alimentaire est de près de 500 millions d’euros tous les ans, cette aide n’est possible que par l’implication de plus de 9000 structures. À première vue, on pourrait penser que c’est une bonne chose car cela permet aux plus précaires de pouvoir se nourrir.

Mais derrière cette aide, se cache un système de défiscalisation majeur et malsain de produits souvent de moins bonne qualité.

En effet, les grandes surfaces profitent d’avantages fiscaux sur le dos de l’aide alimentaire, elles defiscalisent les dons : 95% des produits distribués proviennent de l’agro-industrie.

De plus, tout repose sur le bénévolat et sans ses milliers de personnes dans les associations comme les restos du coeur ou la Croix Rouge Française ce système ne tient pas.

Extrait de la Bande Dessinée “encore des patates” du collectif Sécurité Sociale de l’Alimentation

Autre alerte : peu, voire aucun critère sur les dons n’est prévu concernant la qualité des produits. On se retrouve souvent avec des conserves, une sur-représentation de produits transformés et carnés voire ce qui était initialement prévu pour la poubelle, entrainant des problèmes de santé publique majeurs chez les plus précaires.

Il faut enfin ajouter au tableau l’impact psychologique, la violence que cela représente de devoir se rendre dans des lieux de distribution : on dégrade considérablement les gens.

Et finalement pour quel résultat ?

Car cela n’endigue pas le phénomène de précarité alimentaire : les files s’allongent inexorablement depuis des années. La crise COVID n’ayant rien arrangé : les associations estimaient une augmentation de 30% à 50% des bénéficiaires après le 1er confinement, avec notamment de nouveaux publics comme les étudiantes et étudiants.

Pour résumé :

Les circuits longs des sociétés agro-industrielles en viennent à produire trop, souvent des produits de moins bonne qualité et destinés parfois à être jetés. Elles défiscalisent ce surplus sur des publics précaires fragilisés et heureusement accompagnés par des bénévoles d’associations.

Mais alors comment sortir de ce modèle ?

Démocratie Alimentaire

L’idée de la Sécurité Sociale de l’Alimentation est portée par un collectif qui regroupe des associations comme VRAC ou ISF-AGRISTA, des mutuelles mais aussi des syndicats agricoles comme la confédération paysanne, etc.

Le collectif plaide pour un vrai droit à l’alimentation, défendant l’idée d’une sécurité sociale pour l’alimentation qui serait basée sur 3 piliers fondamentaux :

Universalité

Tout le monde a accès à un montant identique par mois.

Choix démocratiques

Une volonté de faire décider l’ensemble des citoyennes et des citoyens des produits et débouchés pour ce montant.

Un financement via cotisation sociale

Ce montant devrait être financé par une cotisation sociale nouvelle à définir.

Ici, comme nous parlons de “droit” à l’alimentation, nous parlons forcément de changer la loi et donc de légiférer à l’Assemblée Nationale et au Sénat.

Pour autant, n’est il pas malgré tout envisageable de lancer des expérimentations viables et bénéfiques à l’échelle locale et capables de faire bouger les lignes plus haut ?

Épicerie Sociale et Solidaire à Lyon

Le cas de Lyon ?

La Ville de Lyon s’est engagée à travers le plan de mandat 2020–2026 à favoriser l’accessibilité alimentaire et la justice alimentaire. Il s’agit à la fois de proposer des prix justes pour les agricultrices et les agriculteurs à travers les compétences de la Ville et de permettre une accessibilité alimentaire de qualité à toutes et tous.

Cette alimentation de qualité est un enjeu sanitaire, économique et environnemental : un enjeu écologique finalement.

Selon une étude de 2018 sur la Métropole de Lyon, 30 % des habitantes et habitants ont du mal à se nourrir correctement et 15 % déclarent ne pas manger à leur faim.

De plus, la précarité alimentaire étudiante, phénomène déjà important depuis plusieurs années, s’est accentuée avec la crise du COVID et le recours à l’aide alimentaire par le public étudiant explose depuis le premier confinement de mars 2020.

A Lyon, des initiatives solidaires locales se sont développées et plusieurs tonnes de denrées alimentaires sont ainsi distribuées chaque semaine aux populations étudiantes pour leur apporter une aide immédiate.

Mais peu d’initiatives envisagent la solidarité alimentaire dans une perspective de transition écologique et solidaire, d’accompagnement, d’émancipation au travers une alimentation plus saine et durable.

Le projet

Dans ce contexte, la ville de Lyon a voulu soutenir un projet de recherche sur la précarité alimentaire chez les étudiantes et les étudiants afin d’y apporter des solutions.

Durant un an, plusieurs groupes d’étudiantes et d’étudiants vont être suivis et accompagnés par l’ARDAB et la Chair Alimentaire, et auront 50 Gonettes (monnaie locale lyonnaise) soit 50 euros distribués tous les mois.

La Chaire Alimentaire fondée par l’Université Lumière Lyon II et l’Institut de recherche Paul Bocuse porte le projet, ce qui va nous permettre d’avoir une étude à la fois qualitative et quantitative de la situation ainsi que la mise en place d’un vrai protocole de recherche.

La Gonette comme monnaie locale numérique utilisée pour le projet va simplifier le suivi des dépenses mais aussi permettre de cibler des commerces alimentaires valorisant le local, le bio et le durable. De plus, la Gonette est adossée à la NEF, banque éthique, qui investit sur le territoire en fonction du montant de Gonettes en circulation. Chaque Gonette en circulation permet deux euros d’investissement par la NEF. Cela va permettre de sécuriser par exemple l’installation ou la transition en agriculture biologique de porteuses ou porteurs de projet.

Enfin, l’ARDAB (Association Rhône Loire pour le Développement de l’Agriculture Biologique) va accompagner les étudiantes et étudiants avec des visites à la ferme et de marchés alimentaires, des cours de cuisine, etc. à l’instar de ce qu’elle fait déjà au travers des défis FAAP (Foyers à Alimentation Positive).

Ainsi, on aide des jeunes ciblés par celles et ceux qui les connaissent comme les universités. L’alimentation est saine, locale, de qualité et fait vivre les commerces locaux. On soutient la finance éthique en valorisant la NEF.

Est-ce universelle ?

La Gonette est utilisable par toutes et tous sur tout le territoire et a également l’avantage de ne pas préfigurer d’une quelconque précarité de celles et ceux qui l’utilisent. Par cela, il ne s’agit pas d’un chèque alimentaire pouvant être stigmatisant.

Est-ce démocratique ?

Chaque commerce doit répondre à une charte de valeurs humaine et écologique, avoir son siège situé dans le Rhône et ne pas avoir été condamné pour évasion fiscale. Leur entrée dans le réseau est par ailleurs soumise à évaluation collective des membres de l’association dans une démarche démocratique vertueuse.

Est-ce financé par des cotisations sociales ?

Pour le moment non mais ce qui est à noter c’est que côté finance, sont présentes deux collectivités locales avec la Métropole et la ville de Lyon mais aussi l’État via la DRAAF (Direction Régionale de l’Alimentation, l’Agriculture et de la forêt).

Cela permet de reconnaître l’engagement des politiques locales avec une logique de porter plus haut un vrai droit à l’alimentation.

On ouvre la porte à une nouvelle façon de voir l’accès à une alimentation de qualité sur le territoire pour toutes et tous, en favorisant une économie locale et une agriculture de qualité.

Et demain ?

Nous espérons que suite à cette année d’expérimentation, nous pourrons réfléchir à aller au-delà des populations ciblées ici.

En effet, les enseignements qui seront tirés de cette expérimentation nous permettront peut être de généraliser la démarche, notamment à l’égard d’autres populations et qu’ils pourront inspirer plus largement, au-delà des frontières de notre ville.

Et ainsi apporter un argument de plus pour une Sécurité Sociale de l’Alimentation.

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Gautier Chapuis

Adjoint au Maire de @villedelyon • Végétalisation, Biodiversité, Condition Animale et Alimentation