“Le design n’est pas une question de goût, c’est une science”
En ce début d’année 2017, nous avons interrogé plusieurs professionnels du design et de la création visuelle afin de revenir sur les évolutions de la pratique au cours de l’année passée et les challenges pour celle à venir. Ce, à travers le partage de leurs expériences personnelles, projets, aspirations et regards.
La série se poursuit avec Dezyderiusz Gusta, fondateur de l’agence créative Content Design Lab. Des changements depuis notre dernière rencontre (à l’occasion du portrait réalisé dans le numéro 230 d’étapes:), mais toujours cette volonté infaillible de redonner du sens et de la qualité au branding.
Suivre Content Design Lab
Site Internet : contentdesignlab.com
Facebook : Content Design Lab
Instagram : @wearecdlab
Comment peux-tu résumer l’année 2016 de Content Design Lab ?
2016 a été une année d’expérimentations qui nous ont permis de mieux nous connaître et d’affiner notre positionnement. Nous avons travaillé sur de nombreux projets de rebranding et de création de marques, dont un gros chantier pour le réseau d’ambulances Carius, et nous avons développé sur ces sujets une méthodologie et un conseil stratégique global vraiment efficaces (englobant, au-delà de l’identité visuelle, études terrain, positionnement, naming, discours et ton de voix). Cela nous conforte dans l’envie de nous développer sur cet axe. Alors que quand nous nous étions lancés, nous imaginions surtout faire de l’édition corporate, spécialité dont nous étions, Sonia et moi, issus à l’époque de la création de Content Design Lab.
Mais la communication des grands groupes reste un vrai cheval de bataille chez nous, car c’est sûrement là que se trouve le plus gros défi pour le design graphique, en France comme à l’international. Et dans ce domaine, on a fini l’année en beauté avec le prix du meilleur rapport d’activité décerné aux European Excellence Awards pour le dispositif de communication annuelle 2014–2015 que nous avons conçu avec la direction de la communication d’Elior Group. On est maintenant en lice pour un TopCom. Et on prépare actuellement une édition 2015–2016 qui nous emballe beaucoup, avec de très beaux visuels… Affaire à suivre !
Elior Group, rapport d’activité
Dans le numéro 230 d’étapes:, tu évoquais une situation “difficile” pour le branding en France, est-ce que tu as le sentiment que cela a évolué au cours des derniers mois ?
Malheureusement pas assez. Il règne en France une sorte de conservatisme de la médiocrité, lié à un non respect des publics. On entend trop souvent que « les gens ne vont pas comprendre » ou « on fait ainsi depuis des années et personne ne se plaint, pourquoi changer ? ». Un refus de prise de risque, dicté par une sémiologie dépassée (du genre « les couleurs vives et les formes pointues c’est agressif ») qui donne des identités visuelles molles avec des couleurs sales et des typos propriétaires sans personnalité et incomplètes.
Pourtant nous savons, grâce aux réseaux sociaux, que les gens sont de plus en plus attentifs aux marques, à leur discours, à leur image et à leur capacité à évoluer. Qu’ils s’identifient mieux aux marques qui ont une vision et des convictions. Qu’ils sont de plus en plus prêts à consommer autrement, à payer un peu plus pour un produit ou un service d’une marque qui leur parle avec respect. Le branding a clairement son rôle à jouer ici : sa qualité est un gage de respect des publics de la marque.
Y a-t-il des projets ou évènements dans la communication visuelle qui t’ont particulièrement marqué en 2016 ?
J’ai particulièrement aimé le rebranding de la marque Pacco Rabane. Je trouve que ZAK Group a fait un superbe travail, tant sur le logo que sur la direction artistique de la marque. C’est un excellent exemple de l’importance du design, à quel point quelques détails très subtils peuvent tout changer. Un non spécialiste ne verra pas la différence entre l’ancien et le nouveau logo. Par contre son ressenti changera énormément entre l’ancienne et la nouvelle image de la marque.
Content Design Lab s’implante actuellement à Bordeaux. Comment s’est passée la “décentralisation” ? Le rapport à la commande est-il le même en province qu’à Paris ?
Ce n’est pas une décentralisation, nous gardons nos bureaux à Paris (justement parce que la commande n’est a priori pas suffisante, surtout en corporate). Mais j’aime l’idée de participer à une décentralisation des compétences, dans un pays qui est totalement déséquilibré de ce point de vue. Offrir à ceux qui n’auraient pas forcément envie de vivre à Paris des perspectives professionnelles de qualité, c’est très enthousiasmant. Mais nous n’en sommes pas encore là, car l’agence de Bordeaux n’est pas encore développée. Pour le moment, nous nouons des contacts, que ce soit avec des prospects ou avec d’éventuels partenaires, comme par exemple l’atelier Bulk que nous avons découvert grâce à étapes.
Abilways — Catalogues de formation
Quels sont selon toi, les enjeux du design graphique pour l’année 2017 ?
Déjà quel est l’enjeu du design graphique ? De mon point de vue il doit concilier raison et émotion, savoir-faire et intelligence, fond et forme, stratégie et créativité. Le design n’est pas une question de goût, c’est une science : soit il fonctionne, soit il ne fonctionne pas. Une typographie mal dessinée et mal composée n’invite pas à lire, aussi beau que le texte puisse être. Pareil pour une maquette d’édition. Si c’est fait dans les règles de l’art, on va accéder au message, si non, on passera à côté. C’est une fois que cette fonction est remplie que ça devient intéressant, car c’est là qu’on peut commencer à expérimenter, ajouter une émotion. Pour toucher, convaincre, questionner, surprendre…
Pour 2017, je pense que l’enjeu réside finalement dans l’approche créative, la façon de faire du design. A l’ère de l’économie du partage, on doit travailler de plus en plus de co-création. Avec le client, bien sûr, qui n’est pas designer et qui doit nous comprendre comme nous cherchons à le comprendre. Avec les talents, que l’on va chercher dans des disciplines de plus en plus variées. Et surtout, en empathie avec les publics, d’après ce que nous savons d’eux. Car au fond, c’est bien pour eux que nous travaillons, pas pour les clients, et encore moins pour les designers.
Propos recueillis par Charles Loyer.
Originally published at etapes.com.