Nicolas Godin : “La pochette a une énorme influence sur la perception de la musique”.

Charles Loyer
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9 min readDec 30, 2016

Nicolas Godin, la moitié du groupe Air a attaqué cette fin d’année 2015 avec un album personnel surprenant, dans lequel il réinvente plusieurs morceaux tirés de l’œuvre de Jean-Sébastien Bach.

“Contrepoint”, signé chez Because, est un disque de pop expérimental, un sacré défi que s’est lancé l’artiste pour ce premier projet solo. En solo pas totalement, puisque c’est avec sa femme Iracema Trevisan que nous l’avons rencontré. Sa moitié dans la vie, l’a accompagné sur la direction artistique et particulièrement la pochette du disque. Une occasion pour nous de creuser un sujet peu évoqué dans les médias : celui de l’univers visuel qui englobe un projet musical.

Pour suivre Nicolas Godin & Iracema Trevisan
http://www.nicolasgodin.com
http://www.heartheartheart.com

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Nicolas : Je suis Nicolas Godin, musicien français et l’un des deux membres du groupe de musique Air, avec Jean-Benoît Dunckel.

Iracema : Je m’appelle Iracema Trevisan, je suis Brésilienne. À la base je suis designer, je dessine des textiles et je fais des projets ponctuels en direction artistique.

Nicolas : Et tu avais déjà fait des pochettes avant, avec ton groupe…

Iracema : Oui c’est vrai, j’ai déjà eu l’occasion de travailler sur des pochettes de disques.

Nicolas : En fait, on s’est connu parce qu’Ira est musicienne aussi. Elle était bassiste dans le groupe CSS qui à l’époque accordait une grande place au graphisme. L’aspect visuel des choses était déjà vachement intéressant à travers les fringues, les clips, le logo, les pochettes. Donc Iracema a mis plusieurs fois son expérience au service de la musique.

Mais c’est la première fois que vous travaillez ensemble ?

Nicolas : Oui. Et même si on vit ensemble, la démarche s’est faite naturellement. Au départ, Ira m’a suggéré Noa Avishag, une de ses amies photographes pour le visuel de la pochette. On était en vacances, et elle a débarqué de Los Angeles le week-end du 15 août, alors qu’il n’y avait personne à Paris. J’ai demandé à mon ami Yann C s’il connaissait une jolie bouche pour être prise en photo. Il nous a trouvé Lou Lesage qui par chance était aussi à Paris ce week-end là. Donc on s’est fait une aprem durant laquelle on a shooté Lou et c’est comme ça que s’est fait le point de départ de la pochette.

Pouvez-vous nous résumer l’intention du disque et de la pochette ?

Iracema : Nico a toujours dit qu’il voulait une pochette classique. Pas de musique classique, mais une pochette comme il aurait fait pour un autre de ses albums. L’idée de la bouche est venue de nous deux. On voulait quelque chose de très fort visuellement, mais aussi de très épuré. Je lui ai montré quelques images de référence pour commencer à travailler.

Nicolas : Surtout musicalement, j’ai fait un disque très pointu, c’est un vrai travail d’un musicien qui a 40 ans d’expérience, donc je voulais une pochette qui soit fraiche. Je ne voulais pas que la pochette fasse ressentir le bagage intellectuel et artistique que j’ai mis dans cet album.
J’ai toujours pensé que le côté sensuel de la musique est vachement important, et j’avais peur d’avoir un visuel qui refléterait le côté cérébral du disque. C’est pour ça qu’on est parti sur du charnel, puisque c’est ma vision de la musique, même si j’ai réalisé un défi intellectuel en modifiant des fugues de Bach pour les transformer en morceaux Pop. J’ai toujours acheté des disques parce que je trouvais ça cool d’avoir un disque. Je n’ai pas envie de me transformer en un espèce de musicien intello qui fait du classique.

Iracema : Oui, le côté sexy était très important en fait. Plusieurs morceaux sont très sensuels. Par exemple, l’adaptation de la cantate “Widerstehe Doch Der Sünde BWV 54” de Bach parle du péché. Ce côté sensuel on voulait le mettre en avant avec la bouche.
Après, Nico aime bien aussi ce qui est fonctionnel. Il est très fond blanc avec un caractère typographique noir bas-de-casse. C’est minimaliste dans le sens où l’information est toujours lisible. C’est cet esprit qu’on a repris pour tous les textes de Nicolas présents sur l’enveloppe du vinyle. Il était important d’expliquer la démarche tout en gardant une forme assez simple et épurée.

Le visuel principal, comment l’avez-vous construit ?

Iracema : C’est une vraie photo argentique, prise en lumière naturelle. Ce qui tombe sur la lèvre est vraiment la lumière du soleil, on n’a pas scanné un truc ou posé un effet particulier. Après, il y a ce jet de peinture qui couvre tout. C’est ça qui donne le sens. Parce que faire une photo de bouche, il n’y a rien de plus cliché. C’est aussi là que se trouve le lien entre le classique et l’indéfinissable.

Vous écrivez, dans la présentation de votre album, que pour enregistrer un bon disque il faut “prendre l’auditeur par la main et l’emmener quelque part”. Est-ce que c’est la même démarche avec la pochette ?

Nicolas : J’ai vu tellement de gens qui disent qu’ils ont acheté tel ou tel album pour la pochette, que j’y crois profondément. Même moi, je me suis toujours demandé en regardant le “double blanc” des Beatles, si la pochette avait été noire, est-ce que j’aurais entendu les même morceaux ? Est-ce que la musique aurait sonné pareil ? La même question se pose pour Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band.
La pochette a, je pense, une énorme influence sur la perception de la musique. Toutes les pochettes iconiques influent énormément sur la manière dont on écoute. À l’inverse, quand une pochette est ratée, ça peut me gâcher le plaisir de la musique. C’est bizarre quand des artistes qu’on apprécie commencent à faire des pochettes ignobles, ça peut nous conduire à ne plus les aimer. Sans citer Prince au début des années 1990…

Donc vous avez toujours fait attention à cet aspect visuel dans votre propre parcours ?

Nicolas : Oui, j’ai toujours fait super attention aux pochettes, plus qu’aux clips d’ailleurs. Parce qu’une pochette reste à vie, ça fait partie de l’œuvre. Le clip ne fait pas partie de ton disque, c’est un objet de consommation de l’instant. La pochette, elle, est l’empreinte du disque. Avec Air, on a toujours collaboré avec des artistes. Sur Moon Safari avec Mike Mills. Pour 10 000 Hz Legend, on a bossé avec Ora-Ïto qui était tout jeune à l’époque. On s’était fait un délire à faire une baraque virtuelle. Après sur Talkie Walkie, on a fait appel à Richard Prince, Xavier Veilhan pour Pocket Symphony, et on a repris un visuel de Georges Méliès, qui pour moi est un grand nom de l’histoire de l’art, sur l’album Le Voyage à la Lune. Donc voilà, pour moi la pochette est hyper importante et c’est aussi un moyen de s’éclater, de rencontrer des gens et de prolonger la vie artistique de l’album. Dans l’ancien système, tu faisais un disque de 40 minutes, et après pendant deux ans tu faisais des tournées, mais en fait il n’y avait plus de création. La pochette est une manière de continuer l’œuvre artistique du disque. Une fois l’album enregistré, on va chercher, voir quel artiste peut correspondre, on va échanger, s’éclater, faire un truc intéressant. C’est une manière de continuer à faire des choses créatives intéressantes.

Pochette de 10 000 Hz Legend par Ora-ïto

Pochette de Talkie Walkie par Richard Prince

Aujourd’hui la distribution de l’image et de la musique est différente. Le visuel est-il davantage important pour nourrir l’expérience musicale ?

Iracema : C’est amusant, parce qu’en réalisant la pochette, on a inconsciemment réfléchi à cela. La pochette marche même en tout petit, parce c’est une image très forte et très simple. C’est le côté très surréaliste d’une bouche seule en gros plan. Alors le fait que ça marche en tout petit c’est bien, parce que l’image est forte même sur iTunes ou Spotify. Même si on n’a pas posé cette contrainte de manière consciente dans notre brief de départ, je trouve qu’il faut envisager le visuel plus largement aujourd’hui, ça englobe beaucoup plus que la pochette. Il faut garder l’intention, tout en étant adapté aux différents médiums de diffusion.

Pour vous, une pochette résulte plus de la fulgurance artistique ou d’une véritable réflexion sur la musique mise en images ?

Iracema : Pour ma part, je pense plus au respect de l’intention de l’artiste. Après il ne faut pas que ça soit littéral, c’est plus intéressant quand l’image est subtile. Avec cette création, c’était important pour moi de refléter ce que j’ai pu ressentir en écoutant la musique.
Le côté très sensuel de celui-ci m’a touchée et c’était important de le traduire dans la pochette. Il fallait trouver l’endroit où amener cette sensualité pour qu’elle fasse partie du disque. Il y a aussi le côté très frais. La photo est très ensoleillée et ça reflète l’univers de la photographe qui fait des images très lumineuses. C’était important pour nous d’avoir son empreinte aussi.

Que pensez-vous du retour de la pochette vinyle ?

Nicolas : Je suis assez content de voir que le vinyle redevient un objet de référence pour le disque. Même si il représente un tout petit nombre des ventes, c’est la matrice. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, on consomme sur le web, mais le roi de la jungle reste le vinyle et j’aime beaucoup cette idée. Il a acquis une noblesse, un respect, il n’est plus l’objet de consommation qu’il était. Un peu comme le livre de poche et le livre relié. C’est comme une empreinte originale.

Est-ce que ça vous a donné envie d’aller plus loin dans le travail ensemble ?

Iracema : On a pensé à peut-être faire un clip. Il y a aussi des idées pour le prochain projet de Nicolas.

Si vous deviez résumer les basiques d’une pochette ?

Iracema : Je pense que le message doit être clair. Il faut le minimum d’éléments pour faire passer le message. C’est pour ça qu’on est resté sur quelque chose de très pur, de très blanc.

Nicolas : Difficile à dire de mon côté. Quand je travaille avec les artistes qui font la pochette c’est le feeling qui est important. Il y a un moment où je sais que c’est ça.

Pochette du premier album des Strokes

Pour terminer, quelle est votre pochette référence ?

Iracema : Moi je pense toujours à Roxy Music avec les deux filles couchées sur l’herbe.

Nicolas : Il y a les pochettes des Beatles, de 10CC.

Iracema : Celle du 1er disque des Strokes aussi. Le message était clair et beau. Ça me rappelait Andy Wharol avec la banane.

Propos et photos recueillis par Charles Loyer

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