Studio 6 Lettres : rencontre avec un jeune peintre en lettres
Bâton de peintre dans une main, pinceau dans l’autre, Julien Raout est en plein exercice lorsque nous le rencontrons pour la première fois rue des Petites Écuries, au Garage Central. Il ne lui reste plus que quelques heures pour terminer son chantier. Le métier qu’il exerce, peintre en lettre, réclame du temps et beaucoup de concentration. Malgré la fatigue, cet amoureux des lettres ne se lasse jamais d’exercer sa passion et ne regrette pas d’avoir délaissé son boulot de maquettiste dans un magazine pour s’y consacrer exclusivement. À seulement 28 ans, Julien est plus que jamais dans l’air du temps et a cette magnifique chance de faire revivre un savoir-faire et une profession artisanale très en vogue à la fin du XIXe siècle.
Il suffit de parcourir des photos de cette époque, pour se rendre compte que le Paris d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’hier. Les rues populaires, ornées d’enseignes peintes à la main affichaient fièrement les activités de ses commerçants. Épicieries, bottiers ou encore quincailleries foisonnaient à chaque coins de rue et les lettres personnalisées en devanture permettaient de les distinguer. Moins onéreux, le plastique a très vite pris le dessus, a standardisé la production d’enseigne, tout en négligeant l’effort créatif. 30 ans après, les artères des villes ont perdu de leur saveur et bien souvent en négligeant la superbe architecture.
Heureusement, avec son studio 6 lettres, Julien Raout fait partie de la poignée de peintres en lettres qui ont décidé de ne pas baisser les bras et qui reste persuadée que la profession a de l’avenir. Bien lui en a pris, puisque en seulement quelques mois d’exercice, il a vu son carnet de commandes s’agrandir à vitesse grand V. Boutique Hôtel, devanture de restaurants, ou encore projets décoratifs, les clients se bousculent pour solliciter ses services. Un succès mérité, mais cet ancien des Beaux Arts de Nancy, trouve avant tout son bonheur dans le fait d’enfiler son tablier chaque matin pour offrir de belles lettres au regard des passants.
Site internet : http://6lettres.com
Instagram : https://www.instagram.com/6lettres
Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
J’ai 28 ans et je vis à Montreuil à côté de Paris. J’ai fait mes études à l’École des Beaux Arts de Nancy dont je suis sorti avec un DNSEP en communication. J’exerce aujourd’hui le métier de peintre en lettres dans des domaines variés comme l’enseigne, la décoration, la publicité, la culture ou le graphisme.
Qu’est-ce qui t’a décidé à devenir peintre en lettres ? Y a-t-il des personnes qui t’ont particulièrement inspiré ?
À mon arrivée sur Paris, j’ai travaillé comme maquettiste pour un magazine. Je passais alors mes journées derrière un écran. Très vite, la liberté que j’avais connue à l’école me manquait, notamment le travail manuel, la confrontation à la matière, sortir du virtuel… Un jour, j’ai découvert le travail d’un jeune peintre en lettres et cette discipline s’est imposée à moi. Depuis, je suis très influencé par les « maîtres internationaux » en la matière : Pierre Tardif, Mike Meyer, David A. Smith… mais aussi par le travail des anciens peintres en lettres français, moins médiatisés mais tout aussi remarquables.
Comment tu t’es formé à cette discipline ?
Ce sont le graffiti et le tag qui m’ont d’abord initiés au lettrage. Cette pratique m’a appris les bases de la lettre : structures, déformations, variations des styles… en peignant des mots sur tout type de supports et dans toute situation. Puis mon passage aux Beaux Arts m’a permis entre autre d’acquérir des notions en graphic design, un investissement personnel de rigueur, mais surtout cela m’a permis d’entreprendre un travail personnel avec un regard plus large et être plus engagé dans une démarche. Malheureusement le dessin de caractères n’était pas enseigné lors de mes études, ni la peinture en lettres. Cependant, ce cursus m’a permis de me lancer en autodidacte. J’ai cherché à me procurer le matériel adéquat et je me suis beaucoup entrainé.
Sur les réseaux sociaux, tu fais la chasse aux lettres ou aux enseignes, comment réutilises-tu cette collecte ?
C’est formidable de parcourir les routes et de pouvoir confronter ma pratique avec ce qui a été. Au début cette collecte m’amusait mais très vite je me suis aperçu que cela enrichissait ma pratique. Aujourd’hui, l’accumulation de ces photos peut s’apparenter à l’archivage d’un passé fragile. Je trouve qu’Instagram est la plateforme idéale pour partager cet inventaire.
Est-ce que peintre en lettres est redevenu un métier moderne ? Comment envisages-tu l’avenir de cette profession ? Quel est l’état actuel de la demande ?
Le métier de peintre en lettres a quasiment disparu avec l’arrivée de l’informatique et des traceurs vinyle dans les années 70–80 mais je crois qu’il revient sur le devant de la scène. Cela s’inscrit dans une démarche globale : un besoin d’authenticité et de vrais échanges humains, de rencontres. Les autocollants sont de plus en plus boudés car ils sont trop lisses, trop parfaits et donc impersonnels. Au contraire, la lettre peinte vit, ses petites irrégularités lui donnent une âme. L’enseigne représente une part importante de l’identité d’un lieu à ne pas négliger. Je suis convaincu que ce retour aux sources n’est pas qu’un effet de mode mais qu’il est là pour durer. Toutefois, la réalisation de ce type de travail fait à la main requiert un investissement financier plus important que le vinyle, or tous les clients ne sont pas encore prêts à sauter le pas.
Comment résumerais-tu les principales étapes d’un projet, de la création à l’application.
Tout commence par une étape de réflexion avec le client afin d’appréhender le projet. Lorsque c’est possible, je préfère me rendre sur le lieu afin de rencontrer les personnes et de me rendre compte de l’espace. Ceci me permet d’adapter au mieux mon lettrage. Soit le client a déjà une idée précise, soit je lui propose des pistes crayonnées que nous affinons ensemble. Une fois le rendu validé, démarre l’étape de réalisation.
Peux-tu nous parler des principales techniques que tu utilises ? Y a-t-il des réalisations dont tu souhaites nous parler en particulier ?
Il est possible de dessiner les lettres directement sur le support sans préparation préalable ou bien de partir d’un modèle déjà dessiné. Puis à l’aide d’un bâton de peintre qui me sert de support, je peins les lettres entièrement à la main, sans pochoir ni autocollant. La peinture à l’avantage d’adhérer sur tous les types de supports. Je suis aussi adepte du verre églomisé, c’est une technique de peinture ou de dorure réalisée sous le verre. Les matériaux sont variés : feuilles d’or jaune ou blanc, feuilles de cuivre, etc… et leur rendu peut être mat ou brillant comme un miroir. Associés aux lettrages, cela amène des possibilités multiples.
Tu fais également des projet persos qui s’apparentent au street art, cela permet-il de nourrir ton travail, dans un sens comme dans l’autre ?
Il nous arrive parfois avec Tristan Kerr de peindre un grand lettrage à l’ancienne sur le bord du canal de l’Ourcq à Bobigny. Cela s’apparente à du street art parce qu’on utilise des bombes aérosol mais c’est surtout le moyen pour nous de réaliser un projet commun sans contrainte et gratuit.
Quelles sont les choses que tu aimerais explorer ?
Il me reste une quantité de choses infinie à explorer dans le domaine de la lettre peinte et de la dorure. Je suis très attaché au lettrage manuscrit et à sa spontanéité, parfois proche de la calligraphie que j’aimerais expérimenter davantage.
Un conseil à donner aux personnes qui souhaitent se lancer dans la peinture en lettres ?
La pratique est la clé ! C’est à force de s’entraîner que l’on parvient à des résultats satisfaisants.
Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
Des idées, des projets et de belles rencontres !
Propos et photos recueillis par Charles Loyer
Quelques projets du studio 6 lettres :
FIAC
Courtesy Honor Fraser Gallery, 2015. Fiac officielle, Paris.
Holiday café
Dorure brillante — 2016, Paris 16e
Les Viandes du Champs de Mars
Peinture acrylique et aérosol, 2015, Paris 7e
Projet Personnel :
Six : Verre églomisé, dorure deux teintes mat et brillante, 2016
_ Nothing last forever : Peinture acrylique et aérosol, 2014, Bobigny
Tinta
Verre églomisé, dorure deux teintes mat et brillante, 2016, Strasbourg