L’expérience utilisateur : au-delà de l’interface

Pierre Chapignac
évolt stories
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6 min readJul 9, 2015

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by Évolt

Face à la déferlante d’articles sur l’expérience utilisateur, nous avons ressenti le besoin de revenir aux fondamentaux. Quand on évoque l’UX, de quoi parle-t-on ?

L’expérience utilisateur, c’est la manière dont un utilisateur perçoit le service dans sa globalité. Une bonne expérience utilisateur doit induire une propension à utiliser durablement le service, voire à contribuer à son évolution. A l’inverse, une mauvaise expérience fait « fuir le client ». L’enjeu est donc de taille car la qualité de l’expérience utilisateur détermine la cristallisation et le développement d’une relation de service.

Il faut garder en tête que l’expérience utilisateur ne se réduit pas à la qualité technique du service.

Il ne faut pas s’imaginer que la technique fait tout. L’offre logicielle fourmille d’anecdotes d’expériences utilisateur désastreuses alors que les solutions logicielles étaient pourtant techniquement très performantes. Et, cela ne se limite pas aux logiciels. De nombreux produits ont connu le même sort, dans le monde de l’automobile, par exemple, où des véhicules très innovants ont été rejetés par les utilisateurs. Autre exemple, les parfums BIC. Fort de sa réussite avec le jetable (rasoirs et briquets), le baron Bic a lancé une ligne de parfum dans le même esprit, c’est-à-dire avec des flacons jetables. L’échec fut immédiat malgré la qualité des parfums. La dégradation de l’image “luxe” du parfum en l’associant au jetable a provoqué un rejet de cette offre pourtant excellente sous son aspect “qualité/prix”.

La qualité technique d’un service ne garantit donc en rien la valeur positive de l’expérience utilisateur. Par contre, c’est une condition nécessaire car l’insuffisance technique génère à coup sûr une expérience utilisateur négative.

En fait, pour comprendre la nature, la logique et la « mécanique » de l’expérience utilisateur, il faut abandonner le point de vue que deux siècles de logique industrielle nous ont inculqué. Le monde industriel fonctionne en priorité sur la technique. Une branche industrielle, c’est une filière technologique, c’est l’affirmation d’un savoir-faire technique, etc. Autrement dit, nous héritons d’une vision « centrée » offreurs. C’est pourquoi, lorsqu’un technicien juge que la technique au cœur d’un produit ou d’un service est bonne, il interprète l’échec sur le marché comme le signe d’une nullité du consommateur : « tous des cons » !

Le service effectivement rendu

Mais, le monde change et de nouvelles manières de voir émergent. Aujourd’hui, ce qui est décisif pour une offre, c’est le service effectivement rendu. Le service effectivement rendu par une automobile concerne à la fois le confort, l’agrément de conduite, le plaisir (le fameux bruit de la fermeture des portes), le positionnement social, l’adaptation au besoin de mobilité, l’adaptation à la diversité des utilisateurs (par exemple au sein d’une famille), la simplicité et le coût de l’entretien, la fiabilité mécanique, etc. La primauté du service effectivement rendu concerne aujourd’hui l’ensemble des offres. Au delà des offres marchandes, c’est également vrai pour les services publics ou les services associatifs. Elle traduit concrètement l’entrée de notre société et de notre économie dans un monde serviciel, qui succède à l’univers industriel.

Mais comment identifier la valeur du service effectivement rendu pour l’utilisateur ?

Peut-on mesurer l’expérience utilisateur ?

Aujourd’hui, le test utilisateur fondé sur un solide protocole est le moyen incomparable de mesurer la valeur réelle du service effectivement rendu à l’utilisateur. En effet, l’expression de cette valeur est, par nature, très complexe car issue de « l’alchimie », de la synthèse de ces multiples variables. Certes, des méthodes complémentaires peuvent venir compléter et enrichir le test. Mais, la pertinence de la mesure dépend avant tout de la prise en compte équilibrée de la multitude des variables et cela, seul le test « réel » permet de le faire.

L’expérience utilisateur se résume-t-elle aux sites web et aux interfaces ?

Pourquoi fait-on aujourd’hui une grande affaire de l’expérience utilisateur ? Pourquoi se focalise-t-on sur le numérique ? Cela résulte de la conjonction de deux phénomènes. En premier lieu, cet engouement traduit l’émergence de la priorité donnée au service effectivement rendu dans notre société. Autrement dit, cela résulte d’une rupture dans les usages, la mutation de notre système socioéconomique générant de nouveaux usages. En second lieu, nous sommes confrontés à un nouveau champ d’usages avec le web. La numérisation du monde fait que, quel que soit le domaine, l’intermédiation du numérique et du web s’impose. Notre société est donc entrée dans une phase d’apprentissage intensif des pratiques du numérique. Et, cet apprentissage concerne les offreurs autant que les utilisateurs. Il faut maîtriser les pratiques qui donnent accès à des services toujours plus nombreux. Il faut aussi que les offreurs arrivent à trouver le « langage » qui sera facilement accessible pour l’utilisateur. On perçoit bien en quoi la prise en compte de l’expérience utilisateur est précieuse dans ce contexte. Cependant, il faut prendre garde à ne pas perdre de vue la globalité de la question posée à propos de l’expérience utilisateur.

L’expérience utilisateur ne se limite pas à l’interface numérique

Une interface peut avoir une bonne qualité design et de fluidité technique sans pour autant rendre un service réel. C’est le cas par exemple d’une « appli » météo très facile d’utilisation, qui apporte de magnifiques courbes de la pluviométrie mais qui n’est pas capable de répondre aux questions simples que se pose l’utilisateur telles que Quel temps fera-t-il demain à tel endroit ? De la même façon, le service rendu par une interface peut être excellent mais le service global pas bon.

C’est le cas d’un volet numérique de e-commerce très fluide, rapide, sécurisé, etc. mais qui n’est pas accompagné d’un choix de produits adaptés et/ou d’une qualité de livraison de bon niveau.

Les 3 dimensions de l’expérience utilisateur

On perçoit bien que l’analyse de l’expérience utilisateur a trois dimensions. Seule la prise en compte de ces trois dimensions apporte l’information nécessaire pour mesurer la pertinence stratégique du service. Or, dans un monde marqué par la vitesse de l’évolution, par l’interdépendance de très nombreux facteurs et par l’incertitude, la question de la pertinence stratégique d’une offre se repose chaque matin que « Dieu fait ».

Encore une fois, on constate que la qualité d’une réponse est d’abord déterminée par la qualité d’une question. Un test utilisateur qui ne s’interroge que sur la qualité design d’une interface ne peut pas nous donner une vision claire de la valeur d’une offre de service. Cela peut même générer des décisions erronées.

L‘expérience utilisateur doit être appréhendée de trois manières complémentaires :

  • La qualité de l’interface
  • La pertinence du service rendu par l’interface
  • La qualité du service global dont l’interface est une des composantes

Seules la richesse et la diversité des informations fournies par le test peuvent permettre d‘évaluer chacun des trois niveaux et donc la valeur de l’expérience utilisateur du service rendu.

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Pierre Chapignac, fondateur associé de l’agence d’innovation services Évolt

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