Le racisme invisible

Mathieu H
Être(s) humain(s)
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5 min readMar 10, 2015

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Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours entendu des insultes sur ma couleur de peau, sur mes cheveux, sur ma supposée odeur corporelle…
À l’école, je me suis battu contre des petits blonds, des grands bruns, et j’ai même entendu des professeurs user d’expressions irrespectueuses pour parler de moi.

Mais je ne suis pas Noir. Ni Arabe, Asiatique ou même Indien.

Non.
Je suis roux.

Roux : les cheveux oranges, la peau claire, les yeux verts et des “tâches de rousseur”. Je l’ai toujours été : orange vif dans ma jeunesse, plus foncé maintenant. Mais plus visible que la moyenne, toujours.

En plus je suis grand : j’ai toujours été plus grand que les autres, la tête qui dépasse du rang, alors avec ces cheveux, je suis le gars qui n’a jamais pu ne pas se faire remarquer.
Cible rouge et blanche dans une foule de gamins à l’affut, modèles mini snipers, il fallait se montrer fort, répondre si la répartie montait en moi, ou bien passer outre comme si je n’avais pas entendu. Se battre, des fois.

Ne pas être une victime.
Je tiens ça de mon père je crois, comme le gène récessif sur le chromosome 16, qui provoque une mutation de la protéine MC1R et donne cette couleur à ma tignasse. Sacré héritage. Mais les histoires qu’il me racontait sur son enfance et le combat à mener pour ne pas devenir la tête de turc de l’école m’ont sans aucun doute forgé dans ce sens.
Ne pas avoir peur.
Connaître la vérité sur ce qui me rend différent pour détruire les raisonnements cons d’enfants de 10 ans. Et de leur parents…
Savoir qu’il y a des roux partout dans le monde, même chez les Africains.
Être sûr qu’à partir de l’adolescence la différence sera un plus.

Parce que l’on se trouve là face à un paradoxe, car il existe également une certaine attractivité des roux, dont je n’avais pas du tout conscience à l’époque.

La mode féminine est aux rousses depuis quelques années, que ce soit sur les podiums des défilés ou dans les magazines, sans compter la vague de produits colorants pour les cheveux, shampoings spéciaux, et même de crayons pour se faire des tâches de rousseur, le tout le plus souvent en tirant la grosse ficelle des préjugés : on utilise à chaque fois sa chevelure pour placer le produit/ la marque sur deux territoires types : la “sensualité” (qui n’a jamais entendu qu’elle sont soit-disant “chaudes” ?), et le côté nature. En gros, les hommes comme les femmes seraient donc attirés par les rousses. Et je peux personnellement vous dire que les femmes aiment aussi les roux…

Mais alors pourquoi autant
de blagues nulles ?

Parce que les gens sont cons ? Non, trop facile.

Parce que le roussisme (hé ouais, ce mot existe) ne date pas d’hier. Plutôt du IVe siècle avant JC.

En vous raccourcissant l’histoire, en gros, tout vient d’Hippocrate et de sa théorie des quatre humeurs, dont découlent la physiognomonie et le zoomorphisme, pseudosciences qui associent le physique des gens à leur caractère (et dont le nazisme se servira bien plus tard). Les roux subissent de plein fouet l’apparition de ces théories foireuses selon lesquelles à chaque homme correspond un animal. Pour nous, ce sera le renard (vicieux et voleur) et le porc (sale et dont les poils sont roux).
Si on ajoute à cela que le roux évoque la couleur du feu, donc des flammes, donc de l’enfer, on arrive vite au fond du trou : Satan, ce qui n’est pas tellement plus sympa comme comparaison. Au Moyen-Âge, un très grand nombre de roux seront d’ailleurs brûlés vifs sur les bûchers de l’Église pour sorcellerie (- Des preuves de sorcellerie ? - Mais cette femme est rousse ! - OK).

Le roussisme repose donc sur de très anciennes croyances, mais, surtout, comme pour tout racisme, ses racines se trouvent dans la peur de la différence, dans la peur de l’inconnu.

Pourquoi a-t-on autant de mal
à lutter contre ?

Avant tout, il faut considérer que les roux ne représentent pas plus de 3% de la population des pays d’Europe de l’Ouest, moins ailleurs, et que nous sommes souvent isolés les uns des autres grâce à la loterie des gênes (même vos frères et sœurs ne le seront peut-être pas).
Vu qu’il n’y a pas d’ethnie rousse ou de groupe ethnique correspondant à notre singularité, les roux ont beaucoup de mal à se faire représenter, il n’y a pas de lobby, et la loi ne s’intéresse pas à nous. Du coup, le roussisme n’est pas du racisme, c’est ce qu’elle dit.

Mais malgré cela, si dans chaque blague émise à l’égard des roux, on remplaçait ces derniers par un groupe ethnique ou religieux existant (Blacks, Arabes, Juifs, etc…) on tomberai rapidement dans le plus obscur des racismes. Des propos qui pourraient même être jugés devant des tribunaux… mais ce n’est pas le cas, car nous ne sommes pas un groupe ethnique particulier.

Donc ce n’est pas du racisme aux yeux de la loi.

Mais certains vont peut-être finir par fonder une religion !

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Mathieu H
Être(s) humain(s)

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