Ramenez-les vivants (*)

(*) « Bring ’em back alive »

Rene Steque
1 livre, 1 don pour ACSE
5 min readJan 2, 2017

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vue du lac où se déroule le récit, photo de l’auteur

Depuis les années 1930, dans le Grand Teton National Park au Wyoming, il n’y avait aucune régulation concernant la pratique de l’alpinisme. Quiconque était libre de grimper là où il le désirait et n’était pas dans l’obligation d’enregistrer son projet d’ascension ni de signaler son retour de course à la Ranger’s Station du Park. Les Rangers de l’époque, qui avaient une mentalité de cow-boys, se seraient volontiers contentés de gérer les camping-zones et d’ouvrir et d’entretenir les sentiers du Park.

Ils n’avaient pas pour vocation de poursuivre les grimpeurs qui s’aventuraient au-delà de la timberline, là, où leurs chevaux ne pouvaient aller. Ce n’était pas, non plus, le job du Teton County’s Sherif qui n’avait pas l’autorité, l’entraînement nécessaire ni le désir d’organiser la recherche et le secours de touristes imprudents.

Un soir, nous avions tout juste fini notre dîner et étions assis autour du feu de camp proche de notre tente dressée dans le terrain de camping de Jenny Lake. J’anticipais un coucher précoce, car j’avais effectué ce jour là, l’ascension du Grand Teton.

Une conversation plus qu’animée nous parvenait d’une tente voisine et nous eûmes la curiosité d’aller prendre connaissance du problème… Une femme, très excitée, demandait au Park Ranger en charge du camping, de partir sur le champ à la recherche de son mari et de son fils… Elle argumentait :

- “Leur repas était prêt depuis plus d’une demi-heure et jamais ils ne sont en retard, ne serait-ce que de cinq minutes, pour dîner… Certainement quelque chose de terrible avait dû leur arriver ! Ils sont partis, très tôt ce matin pour marcher de l’autre côté de Jenny Lake et ont promis d’être de retour bien avant l’heure du dîner…”

Le Ranger lui expliquait avec tact, qu’il ne faisait pas encore nuit et qu’elle n’avait pas de raison de s’inquiéter… Il avait appris qu’ils avaient loué un bateau pour traverser le lac jusqu’aux Hidden Falls et qu’ils n’avaient réservé aucun moyen de transport pour leur retour. Ils avaient donc l’intention de rentrer, à pied, par le sentier muletier qui contourne le lac. Il ajouta :

- “That’s a long way to go, up and down, but since there was going to be moonlight that night they would probably find their way to the camp…”

La femme refusa de se satisfaire de ce raisonnement… Son mari, avait une chaire de professeur dans une université très connue de Boston, il était très pointilleux et s’il n’était pas là, c’était qu’il leur était arrivé certainement, un problème… Le Ranger la pria de bien vouloir se calmer et de patienter encore un peu… Nous retournâmes à notre tente… Le silence ne fut, hélas, pas de longue durée… Comme la nuit s’installait, la femme devint carrément hystérique…

Elle hurlait puis sauta dans sa voiture pour aller téléphoner à son sénateur… Elle voulait que l’administration de Washington DC ordonne aux Rangers de partir immédiatement à la recherche de son mari et de son fils qui étaient couchés, là-bas, blessés, saignant à mort et qu’ils ne survivraient pas à cette nuit…

D’autres Rangers arrivèrent alors que la femme frisait la crise de nerfs, elle tentait de joindre le gouverneur du Wyoming sinon le Président des Etats-Unis d’Amérique. Les Rangers, Phil et moi étions quelque peu impressionnés par ses hautes relations, de plus, il était évident que tout le camp n’allait pas pouvoir dormir avant que quelqu’un décide de partir à la recherche de son mari et de son fils. Partir les chercher en plein milieu de la nuit était complètement stupide et je partageais la réticence des Rangers.

Nous savions que nos deux aventuriers avaient traversé le lac en bateau et le pilote nous précisa qu’ils avaient pris la direction de Symmetry Spire et du Mount St John. Avec le souhait que le camp retrouve sa quiétude et le souci de soulager les Rangers qui n’avaient aucune formation de secours en montagne, Phil et moi décidâmes de partir à leur poursuite. La femme, toute tremblante, nous implora :

- “Please, bring ’em back alive… I know you can do that…”

Les Rangers retrouvèrent, comme par miracle, leur enthousiasme et procédèrent à la réquisition d’un bateau pour nous faire traverser le lac en direction du névé assez raide formant la base de Symmetry Spire.

Nous commençâmes à pousser des « Yoo-Hoo » que nous renvoyaient, en écho, les parois, mais pas de réponse… Nous suivîmes également des traces de pas dans la neige que nous perdîmes rapidement dans les rochers et les zones herbeuses. Complètement aphone Phil remarqua :

- “I’m sure that, anyone still alive in this mountain could hear your Yoo-Hoo !”

Le soleil commençait à rosir les Tetons. Conscients d’avoir fait tout notre possible cette nuit-là et littéralement épuisés, nous décidâmes de rejoindre le lac afin de profiter d’un bateau qui viendrait débarquer son lot habituel de touristes et de rapporter aux Rangers et à la femme l’insuccès de notre recherche nocturne et définir, avec eux, les secours à mettre en œuvre.

Quelle ne fut pas notre surprise de trouver le campement de la femme vide… Plus de tente, plus de voiture, le feu éteint, les cendres encore tièdes…

Nous trouvâmes rapidement le Ranger en charge du camp, il nous précisa que dès l’aube il était venu prendre des nouvelles de la femme qui semblait s’être calmée peu après notre départ et qu’il avait trouvé leur site de campement vide…

- “Was nothing more there, the family was gone on the middle of the night…”

Alors que nous étions là-bas, “Yoo-hooing”, le mari et fils étaient retournés au camp. Atterré par le récit de son épouse et alors que nos appels, au-delà du lac, leur parvenaient assourdis comme une corne de brume, il ordonna illico de plier bagages et de filer à l’anglaise, sans notifier personne…

Même Phil, trouvait la situation grotesque, il en riait jaune et ne cessait de répéter :

- “I can’t believe it… I can’t believe it…”

Bien sûr, nous n’avons jamais plus entendu parler d’eux… Les Rangers, quant à eux, se contentèrent d’ignorer leur fuite, satisfaits de l’issue “heureuse” de cette aventure.

Jackson-Hole WY, August 2008

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