Nous sommes 10% du PIB français

Grégoire DUCRET
Le 21
Published in
5 min readMar 3, 2020

Les personnes qui ont besoin d’être accompagnées sont partout. Plus uniquement dans la rue. Ce sont les personnes isolées, ce sont les aidants familiaux, ce sont les travailleurs pauvres. En conséquence, la responsabilité de l’accompagnement de ces personnes n’est plus uniquement l’apanage de l’Etat-providence et des associations. Ce n’est plus juste de la charité qui serait là pour apaiser les dommages collatéraux du modèle. Cela implique une profonde réorganisation sociale et économique des entreprises. Car demain, la seule entreprise possible sera une entreprise socialement responsable.

Illustration : Roberts Rurans.

Alors que le défi social à relever est sans précédent, les ressources traditionnelles des associations sont de plus en plus rares. Nous subissons une baisse massive des financements publics. Entre 2011 et 2017, l’ensemble du secteur associatif a connu une baisse de 12% des subventions publiques (Paysage associatif français, Viviane Tchernonog, 2018).

Afin de garantir la pérennité de nos actions dans tous les territoires, en particulier là où les services publics et les ressources économiques s’affaiblissent, nous avons l’obligation de nous adapter. Nous avons l’obligation de trouver les nouvelles réponses aux besoins sociaux des personnes qui en ont besoin. Si les personnes que nous devons accompagner sont de plus en plus nombreuses, elles ont aussi des profils, des parcours de vie extrêmement hétérogènes et vivent dans des territoires de plus en plus divers. Plus généralement, la Croix-Rouge française doit être capable de toucher un public plus large.

Alors que la Croix-Rouge française renouvelle cette année son projet associatif, quels sont donc les signaux faibles à prendre en compte afin de comprendre les nouvelles formes de vulnérabilités ? Aujourd’hui, nous souhaitons nous concentrer sur la pauvreté, l’isolement et l’accès aux soins afin de mieux comprendre l’évolution des vulnérabilités d’aujourd’hui et, ainsi, d’être capables d’y répondre.

Pauvreté, le symptôme d’une société de plus en plus précaire

En 10 ans, plus d’un million de personnes supplémentaires est passé sous le seuil de pauvreté dans notre pays. La France compte aujourd’hui 9 millions de personnes pauvres (INSEE, 2018), soit 14 % de la population. Au-delà d’une augmentation générale, nous constatons que la pauvreté touche de plus en plus les jeunes (moins de 18 ans), les étrangers, les femmes, les familles monoparentales et les personnes en situation d’emploi.

Un million de travailleurs disposent d’un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (fixé à la moitié du revenu médian, c’est à dire 855 euros par mois en 2016). Il faut compter également 40 000 personnes en situation d’emploi que n’ont pas les moyens de se loger. Cela signifie désormais qu’avoir un emploi ne protège pas de la pauvreté. Si la lutte contre la grande exclusion permet de positionner la France parmi les meilleurs élèves dans le classement mondial (OCDE, 2020), une nouvelle forme de pauvreté représente l’expression d’une précarisation de publics inédits comme les étudiants ou les travailleurs.

Isolement, un phénomène accéléré par le numérique

6,6 millions de personnes souffrent d’isolement en France (INSEE, 2019). Elles ont moins d’un contact avec une autre personne par semaine. L’isolement est un phénomène silencieux sans précédent, notamment dans les zones rurales et périurbaines. Dans ces contextes, l’arrivée du numérique a généré deux types d’exclusion : d’un côté, ceux qui n’ont pas été capables de se saisir de cette opportunité restent en dehors de toutes formes de liens et services numériques (démarches administratives), de l’autre côté, ceux qui ont eu les moyens d’intégrer les outils numériques restent souvent enfermés dans un univers digital purement marchand, incapables de tisser des liens sociaux. Aujourd’hui, la technologie risque d’isoler au lieu de rapprocher. Isolée et affectée par la désertification des services et privée du haut débit, la campagne française plonge dans ce que démographes et sociologues ont baptisé la diagonal du vide.

A cette double fracture numérique s’ajoutent la fermeture des commerces de centre-bourg (85% des surfaces commerciales inaugurés en 2019 ont eu lieu en périphérie), la raréfaction des services publics de proximité , le vieillissement de la population et la multiplication de déserts médicaux. L’isolement est devenu un phénomène touchant l’ensemble des couches de la société.

L’accès au soin, révélateur d’une disparité sociale et territoriale

L’accès aux soins révèle une profonde fracture sociale et territoriale. Il faut attendre 46 jours pour consulter un ophtalmologue à Paris, contre 124 dans le Grand Ouest (Source : FHF & Médecins du Monde, 2014). Selon le plan du Gouvernement pour l’égal accès aux soins dans les territoires, 8,1% de la population fait face à une situation de faible accessibilité (environ 9000 communes et 5,3 millions d’habitants). Outre les inégalités territoriales, le phénomène touche inégalement les catégories socio-professionnelles : un ouvrier attend en moyenne 50 jours de plus qu’un cadre pour prendre un rendez-vous chez un spécialiste (Harris Interactive, 2019). Aujourd’hui, l’accès aux soins varie selon le territoire et la classe sociale.

L’ESS représente 10% du PIB

Dans ce contexte, quel est le rôle de la Croix-Rouge et, plus largement, de l’économie sociale ? Qui sont celles et ceux qui accompagnent les personnes en situation de précarités nouvelles et traditionnelles ? Rien de surprenant de vous annoncer que ce sont principalement les opérateurs publics et les structures à but non lucratif, et dans une moindre mesure, les groupes privés lucratifs.

Par contre, ce qui est souvent sous estimé par l’économie traditionnelle est le poids de l’économie sociale et solidaire (ESS), qui représente aujourd’hui 10,5 % du PIB et près de 13,9 % des emplois privés, ainsi que 2,37 millions d’employés (source : CNCres). Aujourd’hui, l’ESS doit être reconnu, valorisé et soutenu considérablement car, s’il représente le pilier de l’accompagnement social, médico-social et sanitaire en France, il est également capable d’intégrer le secteur privé dans une démarche plus inclusive et sociale. C’est justement sur ce point que l’ESS a une place fondamentale dans le monde de demain : il représente le vecteur qui pourra faire évoluer le rôle et l’engagement des entreprises au sein d’une société durable et inclusive. Si aujourd’hui l’ESS représente 10,5% du PIB français, demain il a l’obligation d’atteindre 100%.

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