Notre université

Rochdi M. Sifaoui
30Maghrebs
Published in
6 min readSep 29, 2018

By Mohamed.R Sifaoui

Lorsqu’il débarqua à la gare d’Alger, Bilal avait terminé de stresser et d’envisager le pire qui pourrait lui arriver dans cette ville. Et surtout dans cette nouvelle étape de vie qui s’offrait à lui. Il l’avait choisi cette ville, Alger, bien que celle-ci soit distante de quatre heures de train de son village natale et de sa famille. Il l’avait également choisi l’orientation de cette nouvelle étape. Ayant tout juste terminé ses études secondaires, il devenait cette année majeur et allait rejoindre l’Université, selon son souhait, notamment pour se relier à ce qui le passionnait le plus : l’Histoire et la politique. Et bien, le choix fut évident, entamer des études de sciences politiques.

Et où ? Forcément à l’Université d’Alger. Elle est devenue une référence en études géopolitiques et diplomatiques. L’Etat Algérien, en coopération avec d’autres, a beaucoup investi à rendre gloire à l’Histoire politique de son territoire : invasions et colonisations, mouvements révolutionnaires, tiers-mondisme, non-alignés, diplomatie de la non-ingérence, etc. Il faut dire que toute la politique universitaire a été revue et construite sur des ambitions sociales et économiques fortes, les formes pédagogiques émergentes depuis le début du siècle ont été mises en pratique, elles sont d’ailleurs aujourd’hui grandement améliorées grâce à l’apport de la recherche de la région méditerranéenne dans laquelle l’Université Algéroise a une empreinte majeure.

Lui, Bilal, il est jeune, il se verrait bien diplomate, et plutôt à représenter le Maghreb dans son ensemble. Il sait que ce ne sera pas simple, les alliances entreprises par les pays du Maghreb restent encore fragiles, à consolider, ce chemin reste à mener et parler d’une seule voix sur la scène internationale reste un vrai défi. Du haut de son mètre soixante-dix et de ses cinquante-huit kilos, Bilal se sent les épaules déjà solides.

En parlant de scène, en sortant de la Gare d’Alger, en longeant le front de mer et arrivant sur la place de la Grande Poste, équipé d’un gros sac à dos de voyageur et d’une énorme valise, Bilal découvre la grande ville qu’est Alger et le sentiment d’être un personnage figurant dans un opéra, lui sur scène, tout petit, entouré de divers spectateurs — architectures, petites histoires et grandes histoires, femmes et hommes, jeunes et vieux, et surtout cette nature en forme d’amphithéâtre. Il se dit qu’il est presque normal qu’Alger ait connu autant de drames par le passé, la géologie s’y prêtait quelque peu. Perturbé par cette pensée, il revient à lui et ce vertige procuré par l’immensité et le mouvement incessant autour lui rappela sa professeure de théâtre justement qui lui expliquait un jour que « Oui les spectateurs te jugeront sans doute, pourtant c’est bien toi qui agit et eux qui restent assis, et si tu agis, tu seras toujours respecté », afin de démystifier le trac, elle disait aussi que n’avoir aucune peur, c’est « ne pas devenir esclave de ses peurs et pouvoir agir malgré eux ». Il se dit qu’il ira lui raconter cette sensation, à sa professeure, lorsqu’il rentrera chez lui pour les vacances.

Il a déjà pas mal traîné et ses affaires sont lourdes. Il prend le métro à Tafourah, direction El Harach et sa résidence universitaire. A 18 ans, c’est sa première fois hors du foyer familial. Il est à la fois triste et tout excité par ce qui se présente à lui. Ses parents l’ont encouragé, sa mère a gardé son sang froid jusqu’au bout pour son départ, elle lui montrera plus tard à quel point elle était affectée, plutôt lorsqu’il reviendra, en lui montrant sa joie de le retrouver. Ils étaient d’ailleurs rassurés de savoir qu’il allait vivre dans ces nouvelles résidences en habitat partagé — sur un même étage, plusieurs studios (chambre, salle de bain, toilettes) et un grand espace commun, un foyer (cuisine et salle à manger et de convivialité). Il avait pu échanger avec ses co-locataires en amont, toutefois il angoissait à l’idée que cette cohabitation ne se passe pas comme il le souhaitait, il avait lu des retours sur expérience inquiétants sur Internet, il avait également lu qu’Internet exagérait parfois certaines choses. Ce soir, il est déjà bien fatigué, il va vite rentrer, s’installer, manger son dernier sandwich préparé avec soin par son père et dormir. Demain, c’est déjà la rentrée !

Dix heures du matin, ouverture des portes de l’Université et des inscriptions administratives, Bilal a fait le chemin avec ses co-locataires, avec qui il a pris le petit-déjeuner au foyer. Leur mission ce matin, faire une première fois la queue pour les machines de renseignements et de prise de photo, et une seconde fois pour se voir remettre le Graal, leurs premières cartes d’étudiant. Et pas n’importe laquelle, celle-ci comprend une ouverture de compte bancaire universitaire. Elle leur garantira plusieurs avantages étudiants. Les bourses sont versées directement sur ces comptes. Pour Bilal, deux bourses lui seront versées, une par son pays, et une seconde par une caisse commune Maghrébine. Une caisse créée dans le cadre des échanges universitaires entre pays de la région. C’est sincèrement que Bilal a remercié la femme au guichet.

Après un déjeuner entre co-locataires, ceux-ci rejoignent le grand amphithéâtre de l’Université de sciences-politiques et une promotion de cinq cent nouveaux étudiants qui sera accueillie comme il se doit. L’animation est portée par un étudiant-doctorant en médiation, il propose aux étudiants de se mettre à côté de personnes qu’ils ne connaissent pas encore et d’entamer une présentation, d’abord avec un voisin, puis avec un autre.

A gauche de Bilal, il y a Lynda, une Algérienne de Béchar, 21 ans, qui se réoriente vers de nouvelles études après avoir entamé — avec succès pourtant — des études en médecine. A sa droite, il y a Sourou, il vient du Bénin et son prénom signifie « Patience ». Sourou et Bilal ont donc comme point commun d’être tous les deux étrangers en Algérie. En effet, Bilal, lui vient d’un village proche de Sfax, en Tunisie. Sa famille est de classe moyenne, elle s’est reconvertie dans l’agriculture deux ans avant sa naissance à lui, leur fils aîné. Sfax s’est plutôt spécialisée en études de sciences dures, beaucoup de ses amis à Bilal se sont inscrits là-bas.

Retour en plénière où s’enchaînent alors diverses présentations : étudiants de différents niveaux et spécialisations ; des représentants de clubs culturels, associatifs et sportifs qui font la promotion de leurs activités et invitent les nouveaux à se joindre à eux ; quelques professeurs qui présentent leurs souhaits pour cette nouvelle année ; et enfin la présidente de l’Université qui rappelle certaines valeurs défendues au sein de l’établissement et du réseau des établissements universitaires d’Alger : respect, de l’Autre, du matériel utilisé et de l’environnement qui entoure ; équivalence, entre les êtres humains, peu importe leur rôle au sein de l’établissement, peu importe leur âge, leur genre, leur origine, leurs orientations politiques, religieuses ou sexuelles ; et auto-gestion, une invitation à l’initiative et l’expérimentation entre étudiants, professeurs et personnel de l’établissement. Elle renvoie vers la constitution de l’Université et son conseil constitutionnel — dans lequel des étudiants siègent. Elle rappelle enfin le programme quelque peu spécial du premier mois — des ateliers participatifs inter-promos et inter-établissements, une seule obligation : un minimum de trois ateliers réalisés par semaine.

Bilal est anxieux à l’idée de ces ateliers, lui le jeune timide. Il a pourtant hâte. Ces ateliers d’Alger sont très réputés, on dit que leur intention étant d’abord « l’apprentissage de l’apprentissage », en d’autres mots, construire de la méthode. Evidemment, la connaissance entre générations et disciplines et la cohésion entre les étudiants en est une autre raison. Certains ateliers sont mêmes ouverts au-delà des étudiants : professeurs, personnel mais aussi curieux, l’Université occupe une place majeure dans la vie citoyenne de la capitale Algérienne.

La présidente conclut en rappelant l’intérêt de demander un parrain ou une marraine pour le premier trimestre et termine sur ces mots « Bienvenue à toutes et à tous à l’Université Démocratique d’Alger, bienvenue chez vous ! ».

Bilal a hâte d’appeler ses parents pour leur raconter cette drôle de journée.

Mohamed.R Sifaoui

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