5 minutes pour comprendre pourquoi le nouveau paradigme publicitaire n’est pas celui qu’on croit

Nicolas Bariteau
Nicolas Bariteau
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9 min readJul 25, 2013

Un de mes amis a partagé sur Google Plus un billet du blog “Stratégie Marketing en 1mn30” intitulé “Le nouveau paradigme publicitaire”. Selon l’auteur, Gabriel Dabi-Schwebel, les stratégie de contenus (tels que le Brand Content pour les marques et les stratégies sociales liées aux médias et réseaux sociaux) devraient s’imposer face au modèle publicitaire “Paid”. Je ne suis pas aussi catégorique, même si le fond de son article est pertinent comme toujours, et je vous propose de faire un tour d’horizon des enjeux et forces en présence au sein de la nouvelle donne média afin de vous présenter ma propre analyse.

La nouvelle donne média : de la convergence média au modèle Paid Owned Earned Social

Alors que les professionnels de la communication et du marketing se targuent de produire des contenus et des campagnes faciles à comprendre pour les gens, l’approche de leurs propres métiers reste envahie d’un jargon imbitable. Apportons quelques éclaircissements au jargon de la nouvelle donne média et plus précisément à la différence entre les médias payés, intégrés, gagnés, sociaux, ce fameux Paid, Owned, Earned, Social :

  • Paid — Médias payés : la promotion positive acquise grâce à la publicité payante afin de délivrer un message ou générer un trafic (site web, point de vente…)
  • Owned — Médias intégrés : canaux de promotion que vous contrôlez, comme votre site web, votre blog, votre plateforme client, votre application mobile, vos newsletters, etc.
  • Earned — Médias gagnés : la visibilité et la notoriété positive acquisent dans le cadre des efforts de promotion éditoriaux autres que la publicité (blogs, réseaux sociaux…)
  • Social — Médias sociaux : canaux de promotion issus des médias et réseaux sociaux que vous ne contrôlez pas, vous êtes tributaires de leurs CGU et de leur interface, mais sur lesquels vous publiez vos contenus pour influencer vos clients ou émerger auprès de prospects.
Paid Owned Earned Reach

Selon Gabriel Dabi-Schwebel :

“La publicité “paid” traditionnelle a du plomb dans l’aile. De plus en plus d’annonceurs préfèrent créer des contenus de qualité, ou des évènements qui sauront faire parler de lui, plutôt que d’acheter un espace publicitaire à une régie spécialisée. C’est par exemple le cas de Red Bull.”

Mais attention. Il n’y a pas dichotomie entre paid et earned — recherche de puissance via les médias de masse et ciblage comportemental sur le web vs créativité et production de contenus par les annonceurs — mais complémentarité. Ils ne remplissent pas les mêmes objectifs. Le débat du Paid vs le Owned ne fait que réveiller le débat du quanti et du quali, des anciens contre les modernes, et les oppose alors que la logique est intégrative.

Oui l’entreprise et l’annonceur deviennent médias, les média deviennent agence. Quid des agences ?Des productrices déléguées ou éditrices déléguées pour le compte de l’annonceur” comme l’affirme Gabriel Dabi-Schwebel dans un autre article parut hier ? Certainement.

Oui les annonceurs et leurs agences ont longtemps misé essentiellement sur l’achat d’espace et le marketing direct, et oui la concentration des agences est forte. Mais l’efficacité de la publicité, à défaut d’être mesurée, est constatée encore actuellement en terme de vente. En tout cas pour la TV.

Car finalement, quel est le rôle de la publicité ?

Déclencher une mémorisation par la répétition d’un message, mémorisation qui doit engendrer un comportement donné ou un changement de comportement de la cible déterminée. L’erreur commise a été de croire que la créativité du message suffisait à cet objectif de mémorisation. L’erreur commise par les Mad Men a été de croire que ce comportement quasiment pavlovien pouvait être rationalisé et industrialisé au niveau de l’approche média, alors que les études menés aux Etats Unis depuis une dizaine d’années par des neurologues et sociologues montrent que le cerveau fonctionne par association. Plus on matraque le cerveau des conso avec un message créatif et/ou porteur de différenciation, plus les objectifs devraient être atteint. Parce qu’on ne convoite que ce que l’on voit. Plus on le voit, plus on le convoite.

L’impact de cette approche traditionnelle est l’émergence d’une notoriété, un gain ou un déficit d’image, qui peut se traduire par un comportement de consommation. On s’acharne sur le stimuli, mais quid de la motivation ? On maîtrise les symptômes mais pas ses origines. C’est là qu’internet et les médias sociaux entrent en jeux. Ils nous permettent d’écouter ce que les individus ont à dire mais aussi d’identifier et analyser leurs comportements consécutif à un stimuli. Le signifiant s’ajoute au signifié. Le User Centric s’ajoute au Brand Centric. L’individu reprend sa place longtemps minorée dans des schémas industriels fondés sur les process, la standardisation et la rationalisation. Mais l’individu n’est pas rationnel !

Paid : qu’achetons nous réellement et pourquoi payer ?

Derrière ce “Paid” se cache en fait toutes les prestations payantes destinées à émettre et diffuser le plus fortement et le plus rapidement possible un message afin de :

  • Faire connaître une marque, une entreprise, un service ou un produit
  • Véhiculer une image positive
  • Développer la préférence de marque
  • Maintenir la présence à l’esprit
  • Pousser une promotion
  • Influencer un acte d’achat ou de souscription à un service

Jusqu’à présent, le moyen le plus communément utilisé par les entreprises pour atteindre tout ou parti de ces objectifs consistait à investir massivement dans des médias puissants de masse pour être sur de ne pas rater leurs cibles. Comme le dit le fondateur de Buzzman, Georges Mohammed-Chérif, dans une vidéo sur les stratégies digitales les annonceurs avaient recours à la bombe atomique pour être sûr de toucher le plus grand nombre :

“Avant, le système, c’était Hiroshima. Tu balançais une bombe, et tu imaginais bien que tu allais éclater quelques mecs. Aujourd’hui, tu peux balancer un truc plus chirurgical”.

Les annonceurs disposent d’un arsenal composé de :

  • Publicité : l’achat d’espaces publicitaires dans les médias traditionnels (TV, radio, affichage, encart presse…) parfois en bi média print et Web, mais aussi dans les comparateurs, sur les plateformes d’affiliation, sans oublier les Adwords de Google et le programme Google Adsense. La longue traîne publicitaire en somme. Intégrer l.étude Kantar.
  • Marketing direct
  • Achat de rédactionnel : publi rédactionnel, billet sponsorisés
  • Événementiel

Pourquoi payer ? Parce qu’il n’y avait jusqu’à présent pas d’autres moyens plus direct et puissant de capter autant de monde en un délai réduit. La temporalité média accompagne et pousse la satisfaction du besoin à court terme.

Pourquoi continuer à payer ? Parce que cela demeure vrai. Et l’arrivée du RTB (Real Time Bidding, ou achat de bannières ciblées en temps réel à partir du comportement des internautes sur le Web) qui transforme le système publicitaire online du display (les bannières) avec la promesse de cibler très précisément les individus à partir de l’analyse de leur comportement ne fait que renforcer cette tendance.

Graph du RTB Dépenses du display en France

Certains affirment même que nous passons de l’époque des Mad Men à celle des Math Men. Des publicitaires aux analystes publicitaires. Derrière cette formule bien marketée par le monde de la publicité destinée à vendre le nouveau paradigme se cache une réalité moins tranchée. Les deux systèmes continueront à coexister, seule la granularité changera en fonction des objectifs.

Mais cela ne suffit plus. Les moyens colossaux consacrés au Paid illustre l’impuissance des annonceurs à repenser leur modèle et leur difficulté à repenser leurs stratégies. Les budgets doivent être réarbitrés pour plus d’efficacité et de ROI, et les réallocations s’orienter en partie vers la gestion du rapport direct entre la marque, les entreprises, et leurs cibles dans une logique de proximité, et d’utilité. Soyez les bienvenus dans le monde du Earned Média !

Earned Média : quand l’engagement relationnel mutuel remplace la pression publicitaire interruptive ou intrusive

Internet est le petit grain de sable devenu montagne qui a grippé les engrenages bien huilés des stratégies médias. Si tout le monde devient média, à commencer par les individus et les entreprises elles-même, quelle valeur ajoutée exceptionnelle des médias traditionnels justifierait de ne rien changer ? Internet et les médias sociaux mettent les usagers, nous tous, au cœur du système et se substituent aux médias classiques. Nos propres opinions, nos propres contenus produits et partagés en masse sans contrainte de temps, de langue, ni d’espace, et sans l’intermédiaire de ces médias, provoquent un raz de marée, où le meilleur côtoie le pire, qui submerge en quantité leurs propres contenus et ceux de leurs annonceurs. Il est donc nécessaire de canaliser le rapport entreprise — client, marque — consommateur, rôle que les médias ne peuvent plus jouer autant qu’avant.

Mais un paradoxe marketing s’est établi avec l’émergence et le développement d’Internet. Paradoxe incarné par le Earned Média. Comment faire coexister voire associer Paid (puissance, répétition, rapidité à court terme par campagnes) et Earned (différenciation, permanence, temps réel et long terme par dispositifs) ? L’entreprise est-elle capable de faire face à cette dualité ?

Paradoxe Marketing

Les médias et les réseaux sociaux l’ont déjà fait pour vous puisqu’ils associent les deux. Pour gagner et émerger dans ce bruit ambiant, il faut payer. Le marketing des médias sociaux permet de palier les contraintes imposées par les algorithmes de Facebook, Twitter, YouTube qui favorisent par nature les individus, au cœur du système rappelons-le. Ils sont conçus pour les individus, utilisés et alimentés avant tout par les individus et ces plateformes proposent aux entreprises l’opportunité de les atteindre dans un contexte de pratique personnelle.

Vers un nouveau paradigme pour les stratégies de communication :

Le changement de paradigme ne fait que remettre le message publicitaire à sa place au sein d’un écosystème de communication plus riche mais aussi plus complexe avec l’omniprésence d’Internet et l’adoption des médias sociaux.

Désormais, le consommateur a son mot à dire, le Earned média est son porte voix, et cela est exposé au plus grand nombre, les masses de niches (cf la longue traîne de Chris Anderson) côtoient les mass médias, le marketing se fait bi directionnel et non plus seulement descendant, inbound et outbound marketing sont associés, les UGC comptent autant que les médias traditionnels. Mais attention, le Earned média n’est pas gratuit. Il permet de gagner en notoriété, en préférence de marque, de créer de l’empathie, de fidéliser, mais à quel prix ? Le coût de la production des contenus aux formats variés (texte, photos et images, vidéos), celui des plateformes qui les accueillent (site, blog, plateforme communautaire, applications Facebook…), celui de leurs gestionnaires (Community manager), sans compter le fait que les plateformes sociales qui les accueillent souvent, telles que Facebook, Twitter, YouTube, oblige à recourir à du Paid (achat d’espace, social ads…) pour pousser ces mêmes contenus afin d’être bien visibles.

Tout le monde cite toujours les mêmes exemples de marques ayant su adopter cette convergence média et utiliser les médias sociaux, Oasis, Starbucks, Red Bull généralement, mais les exemples sont si peu nombreux qu’il serait judicieux de se demander s’ils ne sont pas l’exception qui confirme la règle. Le contenu et la créativité y joue un rôle fondamental, mais ces marques là s’arrêtent-elles pour autant de faire de l’achat d’espace traditionnel ? Non ! Elles réarbitrent leurs budgets pour s’adapter à la nouvelle donne, elle cherche à utiliser les moyens et canaux les plus adaptés à leurs cibles, et parfois elles cherchent à les comprendre. Mais que pèsent ce contenu et cette créativité dans les réarbitrages des marques ? Peu, quelques pourcents de leurs investissements pour la majorité des annonceurs. On est encore loin de la révolution stratégique chez les annonceurs.

Que représente la part du digital pour des grandes marques, comme le groupe Orangina — Schweppes, dont la marque Oasis leader sur Facebook fait partie ? En 2012, seulement 9% des investissements totaux, la moyenne marché se situant aux alentours de 12% (ce qui est le pourcentage pour Oasis). Dans un interview du directeur marketing du groupe, Stan de Parcevaux, sur le site e-marketing.fr en décembre dernier, l’année 2012 était pourtant présentée comme “l’année du digital et du brand content”.

Le nouveau paradigme prend la forme du recentrage autour de l’humain, de la créativité et du contenu. Cela n’a rien d’antinomique avec la publicité mais y avoir recours de manière systématique et disproportionnée est certainement en passe de disparaître au profit du consommateur.

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Nicolas Bariteau
Nicolas Bariteau

Fondateur deNB Consulting — Conseil et formation en stratégie marketing digitale. Curieux insatiable