« Les métaux rares : paradoxe de la transition énergétique ? »

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6 min readSep 3, 2020

Smartphones, disques durs, écrans plats, fibres optiques… les métaux rares, composants essentiels de la plupart de nos objets digitaux, sont devenus indispensables à la transition numérique. Mais on les retrouve également dans les technologies mises au service de la transition énergétique comme les éoliennes, les moteurs électriques, les batteries lithium-ion, etc. Si ces métaux ont en grande partie permis des progrès technologiques importants, ils sont aujourd’hui au coeur d’enjeux environnementaux et géopolitiques majeurs. Les étapes de forage et de raffinage nécessaires à leur exploitation ont un coût écologique notoire, qui de fait, dégrade l’impact positif de ces technologies vertes. N’y a t-il pas ici un paradoxe fondamental dans notre manière d’envisager ce changement de modèle énergétique ?

Chez 50 Partners Impact, nous avons creusé le sujet et nous avons rencontré deux experts : Guillaume Pitron (journaliste, auteur du livre La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, Editions LLL) et Benoit Lemaignan (entrepreneur, co-fondateur de Waga Energy, et CEO de Verkor, porté par EIT InnoEnergy). Voilà ce que nous avons retenu.

Métaux rares ou terres rares ?

On a souvent tendance à confondre les métaux rares avec les terres rares, mais il ne s’agit pas exactement des mêmes éléments.

  • Les métaux rares regroupent en réalité une quarantaine d’éléments chimiques relativement abondants dans la croûte terrestre, mais présents dans des proportions souvent infimes par rapport à d’autres métaux (à titre d’exemple, on trouve 1200 fois moins de néodyme que de fer, ou encore 2650 fois moins de gallium que de fer).

Quelques métaux rares : cobalt, béryllium, indium, tungstène, vanadium.

  • Les terres rares, quant à elles, constituent une sous-famille des métaux rares, composée de 17 éléments chimiques (groupes des lanthanides, scandium, et yttrium) dont les configurations électroniques sont très proches et confèrent ainsi des propriétés électro-magnétiques, optiques, et catalytiques très intéressantes pour le développement des nouvelles technologies.

Quelques terres rares : néodyme, dysprosium, cérium, praséodyme.

Des métaux pas si rares

On retrouve des gisements de métaux rares relativement abondants sur Terre. Mais pourquoi parle t-on de rareté ?

Le gisement total des terres rares est estimé aujourd’hui à 350 millions de tonnes (selon l’ADEME) avec une occurrence géographique plutôt homogène dans la croûte terrestre ou dans les océans. La criticité de ces métaux n’est pas tellement géologique mais plutôt industrielle : une production très localisée (en Chine principalement) et un commerce international non fluide génèrent des tensions sur les approvisionnements et finalement des risques de pénuries.

Pour aller plus loin : rapport de la commission européenne sur les métaux critiques, 2017

Un panel d’applications très large

Les métaux rares s’imposent définitivement comme la ressource énergétique des prochaines décennies, après le pétrole et le charbon.

Du cobalt dans les cathodes des batteries lithium-ion, des terres rares (tungstène, néodyme, praséodyme, etc.) dans nos smartphones, dans les disques durs de nos ordinateurs, et bien d’autres. Mais l’objet qui est au centre de la transition énergétique, c’est bien l’aimant permanent. Alliage de terres rares (néodyme, dysprosium, praséodyme, terbium), cet objet permet de convertir de l’énergie électrique en énergie mécanique, et réciproquement. On le retrouve par exemple dans des générateurs d’éoliennes offshore, dans des moteurs électriques (pour voitures, vélos, ou trottinettes), ou encore dans des pots catalytiques. On estime par ailleurs la taille de marché secondaire (i.e. la somme des ventes de produits technologiques dépendant de ces métaux) à environ 7000 milliards de dollars, soit 8% du PIB mondial.

Un processus d’extraction très polluant

Lors de l’extraction, deux grandes étapes ont des impact environnementaux non négligeables : le forage, et le raffinage.

Présents souvent en faibles proportions dans la croûte terrestre, et mélangés les uns avec les autres dans la roche, les métaux rares impliquent un broyage massif de la roche terrestre.

Par exemple, pour produire :

  • 1 kg de vanadium, il faut extraire 8,5 tonnes de roche
  • 1 kg de cérium, il faut extraire 16 tonnes de roche
  • 1 kg de lutécium, il faut extraire 1200 tonnes de roche

Ce broyage modifie les paysages et perturbe les sols, la biodiversité, et le régime hydrographique local.

Ensuite, il faut extraire et séparer les métaux rares les uns des autres. Deux techniques sont utilisées aujourd’hui : la pyrométallurgie (extraction par fusion thermique puis réactions d’oxydation) et l’hydrométallurgie (extraction liquide-liquide par solubilisation au moyen d’acides).

Quelque soit la technique utilisée, l’impact environnemental est désastreux : des émissions de gaz polluants (fluor notamment) lors du traitement pyrométallurgique, et des effluents toxiques générés et rejetés dans les eaux souterraines lors du processus hydrométallurgique.

Enfin, l’énergie apportée pour appliquer ces traitements métallurgiques et miniers ne provient pas nécessairement d’une source durable. Par exemple en Chine, l’électricité provient de centrales à charbon pour 62% du mix énergétique (en 2017).

Une mine d’extraction de terres rares à Bayan Obo, au nord de la Chine• Crédits : Ren Junchuan — Sipa

Un marché immense : la Chine aux manettes

Autrefois sous leadership américain, l’extraction des métaux rares est depuis les années 2000 sous domination chinoise, grâce à une main d’oeuvre bon marché (le prix de revient d’un kilogramme de terres rares est estimé à 2,8 dollars, soit deux fois moins qu’aux Etats-Unis), et une stratégie d’appropriation des savoirs technologiques via des joint ventures créées avec des sociétés japonaises, américaines, et européennes.

Aujourd’hui, la Chine détient 86% du marché des métaux rares, et plus de 95% du marché des terres rares. Le maintien des prix extrêmement bas, défiant toute concurrence, conjugué à un manque de volonté politique et industrielle des autres pays, sont autant de raisons de croire que la Chine continuera de dominer ce marché dans les années à venir.

La piste du recyclage

Les taux de recyclage actuels sont très bas et il n’y a pas d’évolution notable depuis au moins 10 ans : entre 3% et 8% pour les terres rares, et entre 0% et 14% pour une grande partie des métaux rares. Le vanadium (44%), le tungstène (42%) et l’antimoine (28%) sont les seules exceptions, toutefois loin d’être satisfaisantes.

Le pays le plus avancé sur le sujet du recyclage des terres rares est le Japon. De nombreux instituts publics de recherche (AIST, NIES, NEDO) ainsi que des entreprises (Hitachi, Mitsubishi Electric) mobilisent des ressources et des investissements dans ce secteur. En France, même si des technologies de recyclage existent (par pyrométallurgie ou hydrométallurgie) avec des acteurs industriels sérieux, il n’existe pas de filière REP pour les terres rares notamment pour des raisons économiques. En effet, le coût de la matière première chinoise étant assez volatil et très bas, il est difficile de mettre en place des circuits logistiques lourds ou d’engager des investissements industriels onéreux sans garantie de débouché.

On l’a compris, l’impact de ces métaux est significatif et questionne réellement notre capacité à mener à bien cette transition énergétique. Toutefois, la question des métaux rares est à mesurer relativement à l’exploitation et la consommation de toutes les énergies fossiles combinées. Aujourd’hui, le pétrole, le gaz naturel et le charbon représentent encore collectivement 80% de l’énergie primaire mondiale, et sont responsables de 75% des émissions de gaz à effets de serre. Les métaux rares, un moindre mal?

Il est néanmoins urgent d’innover pour diminuer leur coût environnemental. Alors, comment appliquer cette transition vers des énergies plus propres et nous équiper de produits électroniques plus performants sans contribuer à un accroissement significatif des émissions de CO2 et à la dégradation de la biodiversité ?

Chez 50 Partners Impact, nous sommes convaincus qu’il faut soutenir les entrepreneurs prêts à mettre leur énergie et leur savoir au service de cet enjeu stratégique et écologique majeur.

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Pour aller plus loin :

  • La guerres des métaux rares, Guillaume Pitron, éditions LLL, Janvier 2018.
  • Terres rares, énergies renouvelables et stockage d’énergie, ADEME, novembre 2019
  • Stratégie d’utilisation des ressources du sous-sol pour la transition énergétique française, rapport de l’Institut de France Académie des Sciences & et de l’Académie des Technologies, mai 2018
  • Dossier enjeux des géosciences, Les Terres Rares, BRGM 2017
  • La dépendance aux métaux stratégiques : quelles solutions pour l’économie ? CESE, Janvier 2019
  • Les Enjeux Stratégiques des Métaux Rares, Rapport Hetzel, 2016
  • Le Nouvel Eldorado des Terres Rares, Emission Entendez-vous l’éco? France Culture 2018

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