Homo ludens

Pourquoi la murder party est le meilleur des team building ?

5e Acte
7 min readMar 18, 2019

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Le manager actuel a pour objectif de cultiver la bonne qualité du vivre ensemble au sein de son entreprise. Une activité de team building moderne doit proposer aujourd’hui d’améliorer la performance sociale de l’entreprise. Dans cet esprit le divertissement et le jeu ont une fonction sociale déterminante. Pour s’en convaincre nous vous proposons une présentation de 3 personnalités des années Folles qui ont développé leur art de recevoir au point d’en être mondialement connu. Chacun fit usage de la murder party.

Alors pourquoi se passer de recettes qui ont fait leurs preuves ?

L’esprit des années folles

On désigne par années folles la période se situant entre la fin de la Première Guerre Mondiale et le début de la crise économique de 1929. Ce mouvement est international : les Roaring Twenties (années rugissantes) aux Etats-Unis et les Golden Twenties en Grande Bretagne ou Goldene Zwanziger en Allemagne manifestent une aspiration nouvelle à la liberté et à une réconciliation avec les plaisirs de la vie. Cette époque se caractérise par une grande effervescence culturelle et intellectuelle.

mptvimages.com

Le divertissement est en pleine croissance, le Jazz fait son apparition, la danse le Charleston, le Shimmy remplissent les cabarets et dancings mélangeant américains, anglais, Français et mondains parisiens à la recherche de toutes les nouveautés possibles. C’est aussi la Revue Nègre et l’âge d’or du Music Hall avec les débuts de Maurice Chevalier et de Mistinguett.

La période est au divertissement et aux rencontres, comme si un nouveau monde était à réinventer.

La publicité fait son apparition, les relations publiques aussi : cette époque marque le passage d’une culture du besoin à une culture du désir.

La murder party, l’association du roman policier et du jeu

La murder party est héritière des mécanismes des romans à énigme dont Agatha Christie est l’auteure la plus connue. Cette nouvelle forme de roman est appelée aussi les Whodunit que l’on pourrait traduire par « qui est le coupable ?». Le Whodunit est une compétition : il présente clairement tous les éléments nécessaires à la résolution de l’énigme. Le crime vient d’avoir lieu, dans un espace et un contexte déterminé et l’ensemble des suspects sont connus dès le début. Le lecteur est en compétition avec le détective ; va-t’il trouver le coupable avant que le fin limier ne le révèle ; mais aussi avec l’auteur qui tente de brouiller les pistes.

Green Manor © 2001 Vehlmann (Fabien) / Bodart (Denis) / Dupuis

La murder party passionne car elle utilise les ressorts traditionnels de l’intrigue policière avec la touche de suspens : mais qui est le coupable ? Jusqu’à la fin.

Pour pimenter les réceptions et les soirées mondaines l’entre-deux-guerres adore les jeux et défis intellectuels : c’est à cette époque qu’apparaissent et se développent le Poker, le bridge, les mots-croisées, les puzzles, le Ma-jong, le Monopoly.

Portraits de trois grands salonniers

Se divertir et se rencontrer

Nous vous présentons trois figures mondaines hors norme. Chacun devait réussir les meilleures réceptions en associant diverses personnalités et tempéraments : stars du cinéma, industriels, intellectuels, politiques, romanciers, publicitaires, inventeurs, artistes modernes, parfaits inconnus en devenir. Ils ont tous les trois contribué à de grandes rencontres en associant des personnes d’origine sociale et culturelle différentes. Afin de réussir cet amalgame, ces trois personnalités ont notamment contribué à la démocratisation des murder party, car tous s’y amusaient.

1927 : Alexander Woollcott et la variante Sherlock Holmes

Harpo Max dit à propos d’Alexander « Alec » Woollcott: « Rien … n’a jamais procuré à Alec une joie plus fière et plus épanouie qu’un bon coup au croquet. »

Alexander WOOLLCOTT : Division du théâtre Billy Rose, Bibliothèque publique de New York pour les arts de la scène, fondations Astor, Lenox et Tilden

Fanatique de jeu et amateur de salon, Alexander Woollcott (1887–1943) fut critique dans les journaux The New York Times puis The New Yorker et un homme de radio. Il était membre du très célèbre cercle littéraire Algonquin Round Table, une plume redoutée à la langue acerbe qui exerça une grande influence sur les ventes de livres. Algonquin Round Table régnait sur Broadway. Ses membres étaient spécialistes dans les jeux de mots et d’esprit.

Caricature de la table ronde des Algonquins réalisée par Al Hirschfeld . Dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir du bas à gauche: Robert E. Sherwood , Dorothy Parker , Robert Benchley , Alexander Woollcott , Heywood Broun , Marc Connelly , Franklin Pierce Adams , Edna Ferber et George S. Kaufman . En arrière plan, de gauche à droite, Lynn Fontanne , Alfred Lunt , Frank Crowninshield et Frank Case .

En 1925, Woollcott acheta l’île Neshobe pour la transformer en petite monarchie personnelle dédiée strictement au jeu. Tout ce que New York comptait d’important venait à toutes les saisons de l’année. Il fallut d’ailleurs tenir un registre de réservation pour gérer l’affluence. Le jeu favori d’Alec était « The Murder », Woollcott était d’ailleurs convaincu d’avoir inspiré le brillant détective excentrique Nero Wolfe de son ami Rex Stout.

La partie est longuement décrite par Harpo dans son livre « Harpo speaks ». Nous en décrivons longuement les principes dans notre page dédiée à l’histoire de la murder party. Dans ce jeu un invité se voit secrètement attribué le rôle du meurtrier et désigne tout aussi secrètement quelqu’un chargé de faire le mort. Quand « le corps » est découvert, les invités se rassemblent et se questionnent pour savoir qui est le meurtrier.

La question pour les joueurs était bien sûr de se rappeler qui était où et à quel moment et avec qui. Il s’agit là surtout d’une analyse des circonstances dans l’esprit de Sherlock Holmes. Généralement l’assassinat avait lieu pendant l’apéritif, et l’enquête ainsi que la résolution se déroulaient lors du dîner.

1930 : Elsa maxwell et les sensations fortes. Mise en scène, simulation et surprise.

Sur son lit de mort le père d’Elsa dit à sa jeune fille : « Tu es grosse et moche, il va te falloir miser sur d’autres qualités pour réussir dans la vie ». Quelques années plus tard Elsa Maxwell possède le plus exceptionnel carnet d’adresse de tous les temps, et une bonne humeur inoxydable qui fait d’elle l’organisatrice de soirées que le monde entier s’arrache. La société de l’événementiel est née.

Une soirée à Versailles @atelier Robert Doisneau

Active essentiellement en Europe jusqu’à la deuxième guerre mondiale, Elsa Maxwell était réputée non seulement pour ses invités chics, mais aussi pour les nouveautés qu’elle imaginait pour les divertir. On lui a attribué l’invention des « chasses au trésor ». On lui attribue aussi le terme de murder party. La Mayfair party « murder » organisée à Londres en 1930 fut appelée Clue of Duke’s cigarette. Elle correspond plutôt dans notre esprit moderne à un canular. Le stratagème dura une semaine. Des messages secrets et codés furent publiés dans les journaux, une scène de crime organisée pendant la soirée. Des comédiens professionnels et des techniciens furent mobilisés pour la réussite de la soirée qui mena à l’arrestation du Duc de Malborough. Celui-ci bien évidemment n’était au courant de rien. L’aspect théâtral de la mise en scène fit une publicité mondiale à Elsa Maxwell. Tout le monde voulu faire sa murder party.

1930 : Elsie de Wolfe et l’esprit de l’escape Game

Elsie de Wolfe est née aux Etats Unis. Ancienne actrice à Broadway, elle devient la première femme décoratrice professionnelle américaine et connu dans ce domaine un succès mondial. Karl Lagerfeld dira d’elle en 2014 que « cette petite actrice, plus chic que douée pour la scène, a sorti l’Amérique du marasme et de l’obscurité de la décoration fin de siècle ».

Le personnage était à la fois raffiné et excentrique : elle teignait ses cheveux et son chien Blu-Blu de la même couleur que ses robes. Elle fut aussi distinguée de la Croix de guerre «pour bravoure sous le feu» en tant qu’infirmière sur le champ de bataille durant la Première Guerre mondiale.

archive john Mcmullin / condé nast ed

Elsie de Wolfe a organisé des soirées somptueuses à Paris pendant l’entre-deux-guerres. En 1903, elle tomba sur une maison en ruine bordant les jardins royaux de Versailles qu’elle restaura et nomma : la Villa Trianon. Ce lieu devient une véritable légende pendant trois décennies.

L’apport de Elsie de Wolfe à la murder party est décrit par Henri Bordeaux en 1931 dans son roman Murder-party, celle qui n’était pas invitée. Le processus est moins spectaculaire que celui d’Elsa Maxwell, et apporte une dimension psychologique qui n’était pas présente dans le jeu The murder. L’énigme est écrite par un auteur, de nombreux éléments permettent de présenter les personnages. Une scène de crime présentait l’énigme. Certains invités étaient mis à contribution pour faire de la figuration, ce qui avait pour avantage de permettre à la « victime » de participer aussi au jeu. Il fallait comprendre le pourquoi et le comment du crime et les invités donnaient tour à tour leur solution.

Homo Ludens

L’historien néerlandais Johan Huizinga dans son livre Homo Ludens présente le jeu comme une activité sociale constitutive de la culture :

  • « une action libre sentie comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d’absorber totalement le joueur”
  • « une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité”
  • « une action qui s’accomplit en un temps et dans un espace expressément circonscrits, se déroule avec ordre selon des règles données et suscite dans la vie des relations de groupes s’entourant volontiers de mystère ou accentuant par leur déguisement leur étrangeté vis-à-vis du monde habituel ».

C’est dans cet instant que le divertissement est un jeu extrêmement sérieux.

Quelques liens complémentaires :

Johan Huizinga, Homo Ludens — Essai sur la fonction sociale du jeu Gallimard, 1988 (ISBN 9782702204658) ; première publication en 1938

Anonyme Beauté intérieure Article paru dans le numéro 20 de Vanity Fair France (février 2015) https://www.vanityfair.fr/savoir-vivre/articles/elsie-de-wolfe-la-decoratrice-excentrique/24848

John Simkin, avril 2013 — Alexander Woollcott https://spartacus-educational.com/Jwoollcott.htm

23 mai 2018 Carla McDonald Elsa Maxwell: La Salonnière amusante et inventive https://thesalonniere.com/elsa-maxwell/

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