L’entreprise libérée “modérée”

Anaïs Victor
4 min readNov 13, 2015

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L’entreprise libérée, n’est plus un mystère, elle fait le buzz. Ainsi les médias sont envahis par une vague d’entrepreneurs, qui s’évertuent aujourd’hui à alimenter le débat et nous partagent donc leur “recette miracle”… celle qui marche, chez eux, et qui libère… les autres!

Presque deux ans après cet engagement sur le “chemin de la libération”, j’ai d’abord éprouvé un sentiment de culpabilité à ressentir les choses différemment sur le terrain. En effet, l’entreprise libérée est loin d’être une expérience facile si elle n’est pas orchestrée proprement. Cela m’a même parfois menée à de grandes déceptions et de profondes souffrances

Assumer ce positionnement et partager mon vécu, c’est surement là que commence ma propre “libération”

Des entreprises “éclairées” aux entreprises libérées

Si je m’engage fermement sur le “pourquoi” de l’entreprise libérée, c’est quelle fait sens avec les causes et valeurs héritées de mon expérience “agile”. L’opportunité de repenser intelligemment l’organisation classique vers une entreprise “éclairée”

Ce que je retiens de cette expérience, c’est que l’entreprise libérée a le mérite d’avoir amené le débat de manière radicale. Seulement, je mets mon petit bémol sur le “comment” et le “quoi”. Réinventer l’entreprise oui. En connaissance de cause, c’est mieux!

Les dangers de l’entreprise libérée

Comme toute transition, l’entreprise libérée entre en rupture avec le modèle existant et nécessite de procéder par étapes :

  1. Préparer le terrain
  2. Managers vs Management
  3. Vigilance

*Ces trois points seront traités ultérieurement dans un prochain article

Ce que je souhaite partager ici, à travers mon retour d’expérience, c’est cette “partie cachée de l’iceberg”, que je n’avais moi même pas identifiée avant de m’engager pour cette cause

“L’entreprise libérée résout des problèmes, certes… cependant elle en amène d’autres, d’une toute autre nature”

L’entreprise libérée et les individus

L’entreprise libérée, n’est pas un modèle qui convient à tout le monde. Elle peut ainsi générer différents types de départs. Voici ceux que j’ai pu observer au cours de la libération.

Des employés qui n’adhèrent pas à ce modèle, car trop radical avec l’existant. En effet, l’entreprise libérée “repose sur l’hypothèse que tout le monde a envie de prendre des initiatives et d’être flexible dans son travail”. Ainsi, elle transforme le salarié en “ intrapreneur”. Libre à l’entreprise de faire ce choix, et d’accepter ces départs ou de s’adapter pour embarquer tout le monde.

D’autres engagés sur la cause, partiront par démotivation et frustration que peuvent génèrer, la “promesse” de l’entreprise libérée. De cet écart entre le discours et l’expérience vécue sur le terrain. Alors, le soutien du “leader libérateur”, un leader qui inspire, et qui se “mouille”, est essentiel dans la démarche de libération

Attention, la pyramide s’écroule!

Alors que l’entreprise libérée dénonce le désengagement, les problèmes de performance et la déresponsabilisation en s’attaquant directement au management intermédiaire et aux fonctions supports, nombreuses sont les alternatives proposées : holacratie, système d’influenceurs… Il est alors important de clarifier ce qu’une “hiérarchie à plat” peut aussi impliquer.

A commencer par la gestion des tensions internes qui peut s’avérer lourde. Nous ne sommes pas tous formés à la communication non-violente. Ainsi la parole se libère, chacun a son mot à dire, et l’ambiance générale peut rapidement se dégrader, à en devenir invivable, sans le moindre arbitrage.

Aussi, lorsque les employés sont invités à définir leurs propres objectifs, prendre les décisions et mener les actions par eux-mêmes, alors ceux-ci doivent s’auto-motiver au jour le jour. En supprimant le cadre et la structure existante, deux cas de réactions : on libère le potentiel chez les uns, et on génére potentiellement une perte de repères chez d’autres. En terme de développement personnel, cette perte de repères peut entraîner une forme de démotivation. Attention à ce que les employés ne soient pas livrés à eux-mêmes.

La transparence est maître de cérémonie. Une entreprise libérée, c’est redonner le pouvoir aux employés par la confiance, et cela se traduit par une pleine transparence. Seulement, la transparence a ses limites. Toutes les informations de l’entreprise ne sont pas bonnes à être diffusées. Que doit-on ET/OU peut-on diffuser? Ces informations sont-elles prêtes à être reçues sans interprétation négative? Ainsi, les règles du jeu doivent être claires en matière de transparence

L’entreprise libérée, oui… mais pas n’importe comment!

Un transition s’organise. La course contre la montre n’a pas lieu d’être.

Si je partage aujourd’hui cette expérience du terrain, c’est qu’elle a aussi été en partie destructrice pour moi. Basculer radicalement, n’est pas une solution, il n’y a pas de “check-list” à compléter de l’entreprise libérée

Au contraire, faîtes l’inventaire de l’existant, engagez vos employés à co-créer dans cette démarche de libération, et soyez présents pour maintenir un cadre de sécurité. Supprimer le contrôle, n’implique pas de ne plus surveiller.

*Ce témoignage sera diffusé dans le cadre du reportage Capital du 15 Novembre sur M6 à 20h55 : Temps de travail, salaires, hiérarchie : faut-il tout casser ?

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