Perdre de vue le sens du végétarisme pour les animaux et du véganisme, pour transformer ça en identités, est certainement dommageable.

L’Animaliste
7 min readJan 3, 2016

--

Les identités se vivent comme des idées figées, ça bloque la réflexion, et ça interdit à autrui d’y réfléchir (en tout cas, ça le freine). Quelqu’un qui ne veut pas s’identifier comme “végétarien” ou “végane”, et qui perçoit ces mots comme des identités distinctes de la sienne, aura beaucoup de mal à réfléchir réellement aux idées que sont censées transporter ces mots.

Végétarisme et véganisme ne devraient pas être perçus comme des identités.

Le végétarisme pour les animaux, c’est le boycott de la chair animale, dans le but de voir disparaitre les abattoirs. (Ça peut être un choix informé qui tient compte des difficultés sociales, ou un choix mal informé puisque beaucoup de végétariens ne savent pas -encore- qu’il faut tuer poussins et poules, veaux et vaches, pour produire laits et œufs de manière rentable.)

Le véganisme, c’est le boycott des produits animaux et de l’exploitation animale, dans le but de voir disparaitre l’exploitation animale. (Sachant que 99% des victimes de l’exploitation animale sont les victimes de l’industrie de la viande.)

C’est la revendication d’abolition (de la viande/de la mise à mort/de l’exploitation animale) qui est le vrai sujet.

Végétarisme pour les animaux et véganisme sont avant tout des stratégies de boycott, dont l’objectif est la revendication d’abolition (viande ou exploitation animale). L’objectif, c’est de faire en sorte qu’on ne torture et ne tue plus les animaux par centaines de milliards (en comptant les poissons) pour le simple caprice des humains.
L’objectif, ça n’est pas de “convertir” la totalité des humains au véganisme, ni même au végétarisme, ça n’est pas de faire sorte que 100% des humains s’identifient comme végétariens ou véganes.
L’objectif, c’est qu’il n’existe plus d’organismes, d’institutions, d’acteurs économiques, d’humains qui torturent et tuent les animaux. Ce qu’en pensent les consommateurs, une fois que ces pratiques auront disparu, est totalement secondaire.

Lorsqu’on parle d’abolition, sur n’importe quel sujet (esclavage, peine de mort, violences parentales, prostitution ou autres), on parle essentiellement de lois qui interdisent (ou interdiront) ces pratiques, pas du fait de travailler à convaincre 100% des participants à ces pratiques et leurs clients d’arrêter par bonne volonté.

Dans le monde actuel, le végétarisme et le véganisme sont des stratégies militantes de boycott qui ont un poids important, puisqu’on sait que l’industrie de la viande et les industries de l’exploitation animale trouvent leur force dans leur poids économique.
Une industrie économiquement forte peut travailler à formater les consommateurs, déformer les croyances, les rendre dépendants, les convaincre. (Tous les publicitaires le savent, l’offre n’apparait pas simplement pour répondre une demande, les “besoins” des consommateurs n’apparaissent pas spontanément de leur part. La plupart du temps, ce sont surtout les acteurs économiques qui créent les nouveaux produits et réussissent à générer une demande pour ces produits.)
Rien que l’argument « Mais si on abolit la viande, ça fera des milliers de gens au chômage. » provient du poids économique de l’industrie de la viande. C’est son poids économique qui normalise la chose dans l’esprit des gens.

Ce sont donc des stratégies militantes importantes dans le monde actuel… Mais ce ne sont ni des stratégies parfaites, ni des stratégies suffisantes.
Un boycott n’est jamais parfait. On ne réussit jamais à boycotter à 100% et on ne réussit jamais à convaincre 100% des gens de boycotter. Et plus le boycott est complexe à définir (plus il y a de produits à boycotter), plus il est difficile de le propager, de le maintenir et donc de le rendre efficace.
Pour le rendre efficace, il faut le simplifier. Il faut que la société évolue pour faciliter sa mise en pratique.

Et pour faire évoluer la société, il y a donc d’autres stratégies militantes pour le compléter : viser les institutions et les politiques, faire des pétitions, développer les alternatives à proposer aux consommateurs et aux acteurs économiques, pousser les acteurs économiques à évoluer, faire évoluer les discours et les croyances, utiliser les lois déjà en place pour affaiblir ce qui peut l’être, faire voter progressivement de nouvelles lois, etc.

Les consommateurs sont responsables de l’exploitation animale, c’est vrai. Mais les exploiteurs sont responsables aussi. Les circuits de distribution aussi. Les politiques aussi. Personne n’est plus responsable que l’autre. C’est une conjonction, une succession de responsabilités qui fait exister l’exploitation animale. Et cette conjonction de responsabilités nous permet aussi d’agir (et de choisir d’agir) à toutes les étapes successives de la chaîne de responsabilités. Pas seulement sur les consommateurs.

NDLR: Je pense que des organisations comme, en anglais, Animals Australia, qui sont devenus “mainstream” et touchent des millions de gens avec un message calibré et publicitaire représentent un progrès considérable et un atout majeur pour l’animalisme. Le message n’est pas l’abolition de la viande mais les pas en avant sont bénéfiques pour les animaux, vers un changement culturel et rendent l’exploitation animale plus couteuse.

Je ne connais pas très bien la situation en France mais j’imagine L214 ratissant plus large, récoltant ainsi plus de fond et menant des campagnes précises rassemblant un très grand nombre de personnes de tous bords. A partir de là, l’organisation est davantage connue, récolte donc plus d’argent, peut donc faire davantage de campagnes et c’est un engrenage positif.

Bref, la question qu’il faut se remettre en tête aussi souvent que possible (pour ne se perdre dans des débats sans fin qui ne font plus rien avancer, et qui sont en fait hors sujet), ça n’est pas « Faut-il ou pas boycotter le lait du petit éleveur (très très hypothétique) qui ne tuerait aucun de ses animaux (et ne vend certainement pas ses produits dans le commerce) ? », ni « Quelle est mon étiquette ? », ni « Quelle est la liste précise de ce que je dois boycotter ? », mais « Comment faire disparaitre les abattoirs -d’animaux terrestres et de pêche- ? » (et mettre fin aux diverses pratiques qui tuent, mutilent et torturent les autres animaux).

Ça n’est pas le pourcentage de véganes qui détermine la volonté entière de la société de se diriger vers le projet d’abolition. Beaucoup de gens mangent encore de la viande et souhaitent pourtant l’abolition de la viande. J’en ai moi-même rencontré.

Je remets les choses dans le contexte :
- A mon pot de départ, un collègue me demande ce que je vais faire plus tard.
- Un autre collègue dit, sur le ton de la blague, que je vais me présenter aux élections présidentielles.
- Je renchéris par un « Oui, et je vais abolir la viande. », à moitié sur le ton de la blague.
- Le premier collègue répond « Oh non, hé, quand même… »
- Une troisième collègue, qui mange de la viande le midi, mais n’en achète plus (après une longue discussion qu’on avait eue sur le sujet) renchérit : « Oh si, ça serait bien. » sur un ton tout à fait sérieux.

Enfin, je ne sais pas quel est leur pourcentage exact, mais il ne faut pas tenir pour acquis que c’est la pratique alimentaire, ou l’étiquette que se donnent les gens, qui va définir leur mode de pensée et leurs souhaits. Tout le monde ressent de l’empathie pour les autres animaux. Il y a des gens qui arrêteraient la viande si la viande in vitro existait, et qui seraient contents que l’abolition de la viande ait lieu. Il y a des gens qui arrêteraient la viande s’ils ne subissaient plus la pression sociale, et qui seraient d’accord pour l’abolition de la viande aussi. Il y a des gens qui arrêteraient la viande si les substituts végétaux étaient plus développés, et qui seraient d’accord pour l’abolition. Il y a des gens qui aimeraient être mieux informés sur les bonnes pratiques à avoir pour manger végé sans menacer sa santé, etc. Il y a aussi des éleveurs qui seraient d’accord pour l’abolition de la viande si on les aidait à se reconvertir (il y en a, j’en ai lu, vu, entendu), ceux qui pleurent quand ils emmènent leurs animaux à l’abattoir, ceux qui ne mangent pas leurs animaux, ceux qui ont peur de voir vaches, moutons et chèvres disparaitre (alors qu’on peut parfaitement imaginer vivre en communauté avec vaches, moutons et chèvres, sans pour autant les exploiter — ça existe déjà).

Bref, toutes ces personnes peuvent déjà réfléchir, débattre, voire revendiquer l’abolition de la viande, sans pour autant être végétariennes.

Notons, bien sûr, que tout ceci n’implique absolument pas de refuser d’user de psychologie, de diplomatie, de dialogue (de Communication Non-Violente) pour échanger les idées. Il faut être capable d’ouvrir le dialogue quand on veut transmettre ses idées.

Les « véganes identitaires » sont des gens qui se focalisent sur leur identité, et se mettent en conflit avec l’identité des « non-véganes », parce qu’ils ont la plupart du temps oublié que l’objectif, ça n’est pas de culpabiliser chaque personne individuellement et la pousser à changer ses pratiques alimentaires, mais bien de se rappeler qu’on veut une transformation collective de la société, sur un objectif précis, qui peut être atteint en utilisant diverses stratégies activistes (sans pour autant connaitre le temps qu’il faudra pour réaliser ce projet).

Ces gens sont justement focalisés sur le véganisme en tant qu’identité, et ne visualisent pas (ou plus) l’abolition en tant que projet de société. La plupart du temps, ils sont même opposés à tout ce qui peut ressembler à des campagnes visant ou utilisant les lois (donc des réformes).

Pour faire une autre comparaison sur les réformes qui suivent un processus démocratique sans pour autant avoir le soutien unanime immédiat de la population : Pour légaliser le mariage pour tous, on n’a pas eu besoin que tous les français soient d’accord avec cette réforme. Il a fallu une proportion suffisante pour qu’on n’ait pas une révolution -réellement- violente qui s’y oppose, certes. Et on a eu quand même des manifs réactionnaires. Mais si on regarde la situation actuelle, en seulement trois ans, tout le monde est à peu près d’accord pour son maintien, les opinions ont évolué, personne n’envisage plus sérieusement d’abolir le mariage homosexuel. Les lois existantes à un instant T ont aussi un impact sur les mentalités.

Article rédigé principalement par Nyl Personne, revu, édité et mis en page par Vincent Berraud pour L’Animaliste.

--

--

L’Animaliste

Tout comme humaniste, sans les préjugés justifiant qu’on ignore les animaux sous prétexte qu’ils ne sont pas humains.