C’est dur.

Anna
4 min readMar 24, 2015

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Une dizaine de titres plus éloquents me sont venus à l’esprit, mais il ne s’agit pas là d'éloquence.

Il s’agit du moment, alors que tu pensais être capable de tout faire, où tu te rends compte de manière rapide et brutale qu’en fait non.

Il s’agit de comment ça fait d’être entrée dans cette espèce de monde des parents depuis presque 10 mois et de porter le titre de “maman qui travaille” depuis sept.

Il s’agit de la répétition des journées. Stress, anxiété, stress, anxiété, couche sur couche sur une routine de détails pratiques dont je n’avais pas anticipé le côté abrutissant.

Il s’agit de réveil-changer couche-pas de douche-attraper biberons-aller à l'école-culpabiliser-aller au boulot-trop trop fatiguée-culpabiliser encore plus-partir plus tôt que je ne l’ai jamais fait pré-enfants-culpabiliser-heure du dîner-heure du bain-heure du lit-heure de ranger le bazar-heure de rattraper le boulot-tomber au lit crevée morte-culpabiliser de ne pas rester debout plus longtemps-recommencer tout ce bordel demain.

Il s’agit de comment je scrute la feuille unique que la garderie nous donne comme si c’était un précieux talisman qui pouvait me relier à toutes les heures que je rate. Il s’agit de comment j’ai failli pleurer en recevant la feuille de vendredi parce que dans la case “ce que j’ai fait aujourd’hui” il n’y avait que “TRES BON WEEKEND A VOUS!”

Il s’agit de comment on se sent obsolète au bureau. Il s’agit de ce que c’est que de regarder tout le monde affluer autour des ventres croissants des femmes enceintes luisantes, celles qui me rendent tellement jalouse que j’en crierais, jalouse parce qu’elles vivent encore dans un monde où il n’y a rien de plus important que le choix de la bassine de bébé qu’elles vont mettre sur leur liste de naissance, tandis que je regarde, me sentant vieille, cassée et fatiguée.

Il s’agit de tous ces gens qui te disent “Votre bébé devrait dormir.” Et il s’agit de moi allongée dans mon lit à 2 heures du mat à écouter ma fille qui crie encore et encore jusqu’à ce que je cède, non pas que je sois émotionnellement faible, mais je suis tellement putain de crevée que la récompense lointaine d’avoir éduqué à l’endormissement n’est rien comparée au bonheur immédiat d’être de retour au lit dans les 15 minutes.

Il s’agit du regard que les gens te donnent quand tu leur dis “Désolée, je peux pas” ou “on peut faire ça avant 17h30?” Il s’agit du fait que tout le monde s’attend à ce que les choses soient calées maintenant. Il s’agit du fait que je m’attends à ce que les choses soient calées maintenant. Et c’est faire face au fait qu’après 10 mois, je me noie plus que jamais.

Il s’agit de la fois où j’ai avoué à mon mari que j’étais en train de craquer et il n’a pas dit “Qu’est-ce que je peux faire?” ou “Comment je peux t’aider?” Mais : “Il faut que tu arrêtes l’allaitement.”

Il s’agit de la fois où j’ai éclaté en sanglot à l’idée de perdre la seule chose que moi seule pouvais donner à ma fille.

Il s’agit du fait de ne pas vraiment vouloir démissionner, mais d’en fantasmer quand même. Il s’agit du fait de culpabiliser parceque je suis comblée par la vie mais toujours pas heureuse.

Il s’agit de quand je dis à mon mari: “Peut-être que je devrais démissionner,” en espérant de toutes mes forces qu’il dira : “Tu peux pas démissionner! T’es tellement forte à ton boulot. Comment est-ce que je peux te soutenir?” Et il s’agit de sa réponse : “Ben, ce serait vraiment plus pratique pour la famille oui.”

Mais il s’agit aussi de moi me traînant, vidée, désordonnée, froissée, ridée au bureau chaque jour, même si une partie de moi hurle qu’il est temps d’abandonner maintenant.

Il s’agit de faire confiance au fait que, même si mon moi actuel veut démissionner, mon futur moi sera tellement reconnaissant que je ne l’ai pas fait.

Il s’agit de moi croyant dur comme fer que j’ai de la valeur au delà de mon rôle de femme et de mère.

Il s’agit de montrer à ma fille que tout avoir n’est peut-être pas facile, mais c’est possible. Et que ça en vaut le coup. (Je crois. J’espère.)

Et, oui, il peut occasionnellement s’agir de moi qui dit à mon mari d’aller se faire foutre et de changer une couche à la fin.

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