LA règle qui va changer votre vie — Partie 2

Benjamin Savalle
9 min readMay 3, 2017

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Avant-propos : L’article initial étant super long (aux alentours des 5000 mots), j’ai pris la décision pour favoriser et améliorer la lecture de le séparer en trois articles distincts. Pour lire la première partie de l’article, rendez-vous sur ce lien.

AUX ORIGINES SOCIALES DE LA RÈGLE

Toutes les sociétés humaines reposent sur des règles morales.
Rappelons que suivre une morale, au sens descriptif du terme, c’est suivre un ensemble de règles qui dirige une conduite; (a contrario, la morale au sens normatif signifie plus un état de valeurs, d’idéaux et de vertus).
Ainsi, les règles morales ne sont plus seulement celles énoncées par le droit et les lois (qu’on appelle alors “règles de droit”). Des règles non écrites définissent également ce qui est bien, et ce qui est mal.

Les règles et normes relèvent de la culture et varient selon les sociétés. Toutefois, le fait qu’il y ait des règles est bien une notion universelle. Par exemple, l’interdit de l’inceste est une règle commune à pratiquement toutes civilisations.

Selon Claude Lévi-Strauss (anthropologue et ethnologue français), cet interdit est même le fondement de la société humaine, car il oblige les hommes à nouer des relations avec des étrangers. Les hommes se trouvent dans l’obligation de trouver des femmes en dehors de leur communauté, ne pouvant fonder de famille avec leur sœur ou mère. C’est la prohibition de l’inceste (et les règles de parenté qui en découlent), qui lie la norme et la nature. Cette jonction représente donc le fondement social de notre société.

La règle représente un principe de vie en société. Vivre selon des règles, c’est vivre selon des normes acquises en société par un apprentissage régulier et générationnel.

Comme par exemple dans l’apprentissage d’un langage, je ne connait la signification d’un mot que lorsque je sais l’utiliser, et que cette utilisation fut approuvée par une appréciation publique. Ici, j’apprends la règle en l’appliquant.

UNE APPROCHE EXTERNE DE LA RÈGLE

Toutefois, si j’apprend effectivement la règle en l’appliquant, cette-dernière ne sous-entend pas l’application qu’elle énonce. C’est à dire qu’elle se détache du résultat.

La règle régit une signification, ce qui lui confère une valeur. Par exemple, la règle -ne parle pas- contribue à donner une signification au fait de rester silencieux; donc une valeur qui permet d’apprécier le fait de rester silencieux selon l’application de la dite règle, et de notre conformité (ou non) à celle-ci.

“ Sous ce rapport, la règle prend donc un double sens : elle fonctionne à la fois comme source de la signification dont les actes sont investis et comme critère de la valeur qui leur est attribuée.”
JEAN-PIERRE COMETTI — Qu’est-ce qu’une règle (2008) — Page 139–148.

Mettons cette relation en rapport avec un autre domaine : les mathématiques. Les règles de l’arithmétique “font doublement jouer le sens et la valeur (du point de vue de l’exactitude) de toute opération sur des nombres.” Ainsi, l’opération ne se définit que par la règle qui lui donne un sens.

Sans cette condition, “1+1=2” ne serait qu’un acte sans aucun sens particulier. Cette opération est exacte, car la règle la souligne en tant que telle. De même, connaitre la règle me fait supposer que je suis en mesure de connaitre tous les résultats possibles qui en découlent, sans pour autant les avoir au préalable expérimentés.

Ainsi, comprendre cette relation, permet de comprendre que “l’attribution d’un sens à un acte, ou un geste, présuppose une norme (…) et entre donc dans le champ d’application d’une règle.” En d’autres termes, signifier quelque-chose ne peut se concevoir que de façon dépendante vis à vis d’une norme.

LE PARADOXE DE LA RÈGLE

Comment peut-on suivre une règle ? C’est le propos de Wittgenstein (philosophe autrichien du 20ème siècle) qui aborde au cours de ses travaux, la notion de “suivre une règle” dans son livre les Recherches Philosophiques (1953).

Ainsi, selon Wittgenstein, “suivre une règle, transmettre une information, donner un ordre ou encore faire une partie d’échecs” sont des coutumes. C’est à dire, des usages et des institutions.

En prenant l’exemple d’une partie d’échec, Wittgenstein tend à vouloir démontrer que le fait de “suivre une règle” consiste à se conformer à sa représentation. C’est à dire celle qui nous fait sens. Or, comment puis-je me conformer à cette règle, sans cette dite représentation ?

Le paradoxe de la règle se trouve ici : “Une règle ne pourrait déterminer aucune manière d’agir, étant donné que toute manière d’agir peut être mise en accord avec la règle.”

“On peut certes imaginer que deux membres d’une tribu où l’on ne pratique aucun jeu s’installent autour d’un échiquier, qu’ils exécutent les coups d’une partie d’échecs, et qu’ils le fassent même avec tous les phénomènes psychiques d’accompagnement. Et si nous les voyions, nous dirions qu’ils jouent aux échecs. Mais imagine maintenant qu’une partie d’échecs soit traduite, d’après certaines règles, en une suite d’actions que nous n’avons pas l’habitude d’associer à un jeu — des cris et des trépignements par exemple. Et imagine qu’au lieu de pratiquer les échecs sous la forme qui nous est habituelle, nos deux hommes se mettent à crier et à trépigner. Ils le feraient de telle manière que ces processus seraient traduisibles en une partie d’échecs au moyen de règles appropriées. Serions-nous alors enclins à dire qu’ils jouent à un jeu ? Et de quel droit pourrait-on le dire ?” WITTGENSTEIN — Recherches philosophiques — Pages 126- 127.

Le paradoxe de la règle met en évidence le fait qu’il est impossible de considérer le fait de “suivre une règle” comme une interprétation. Et ici interpréter une règle signifie seulement substituer cette “interprétation d’application de la règle” à une autre. Ainsi, suivre la règle est une pratique.

De ce fait, chacun peut pratiquer une règle comme il le souhaite. Ce qui définit le fait que l’on respecte une règle, c’est parce que l’on obéit à une majorité qui admet que telle application de la règle est correcte.

LA RÈGLE DE LA RÈGLE

Nous pouvons résumer l’essentiel en deux points :

  • La règle n’existe pas sans son application.
  • La règle ne contient pas par avance l’ensemble de toutes ses applications possibles.

De plus, parler de règle en tant que telle, appartient à l’idée, au domaine de la pensée. De ce fait, elle ne possède pas de caractère obligatoire et prédominant. Ainsi, il n’existe pas de “règle naturelle”, car nous ne sommes contraint que par les normes que nous pratiquons.

Dans la même mesure, l’idée même de la règle n’existe que dans un domaine social. C’est notre contexte public, qui détermine la source de nos codes, de nos normes. Nos relations, notre environnement dictent la façon dont nous comprenons ces règles. C’est ce qui nous permet de connaitre implicitement une règle, avant de connaitre son statut explicite. A partir de ce moment, nous ne faisons plus qu’appliquer une règle, en suivant un schéma pré-établis.

Pour étayer cette réflexion, prenons exemple du problème fictif appelé le “Théorème des singes”. Ce dernier est une version modifiée d’une recherche effectué par G. R. Stephenson dans son écrit “Cultural acquisition of a specific learned response among rhesus monkeys” — Progress in Primatology (1967).

  1. Une vingtaine de chimpanzés sont isolés dans une pièce où est accroché au plafond une banane. Seule une échelle présente dans la pièce permet d’y accéder. La pièce est également dotée d’un système qui permet de faire couler de l’eau glacée dès qu’un singe tente d’escalader l’échelle pour rejoindre la nourriture. Rapidement, les chimpanzés apprennent donc qu’ils ne doivent pas escalader l’échelle sous risque d’une punition.
  2. Puis, le système d’aspersion d’eau glacée est ensuite rendu inactif. Toutefois, les chimpanzés ont conservé leur expérience acquise et ne tentent pas de s’approcher de l’échelle.
  3. Un des singes est alors remplacé par un nouveau. Ce dernier tente d’attraper la banane en gravissant l’échelle, mais les autres singes l’agressent et le repoussent violemment. Lorsqu’un second chimpanzé est remplacé, il se fait lui aussi agresser en tentant d’escalader l’échelle, y compris par le premier singe remplaçant.
  4. L’expérience se poursuit jusqu’à ce que tout les premiers chimpanzés qui ont du subir les douches glacée soient tous remplacés. Pourtant, les singes restants ne tentent pas d’escalader l’échelle pour atteindre la banane. Et si l’un d’entre eux s’y essaye néanmoins, il est arrêté par les autres.

P.S : La version véridique du théorème présentée par G. R. Stephenson -mais bien moins connue- met en place deux singes dans une cage, entraînés à manipuler un objet présent avec eux. Un troisième singe est alors introduit dans la cage. Il n’a pas reçu “l’éducation” nécessaire pour manipuler l’objet, il est considéré comme “naïf”. Les deux autres singes ont alors une posture menaçante et excluent leur nouveau partenaire. Et une fois ce dernier seul, il montre vis à vis de l’objet une posture défensive.

Ainsi, l’origine du théorème des singes dont les sources sont confuses serait alors une version modifiée de cette recherche. Le théorème serait également inspiré par les expériences sur la “Résolution des Problèmes par le chimpanzé”, mis en forme par Wolfgang Köhler, et appelé le “phénomène insight”. Enfin, il se serait aussi popularisé par sa mention dans “Competing for the Future (1996)”, célèbre livre en Business Development écrit par Gary Hamel et C. K. Prahalad.

DE LA RÈGLE AU CONDITIONNEMENT

Le problème posé par le théorème des singes, s’articule autour de la notion du conditionnement. C’est à dire, qu’ils (les singes) ont appris quelque chose qui a modifié leur comportement. Cette modification, nous pouvons l’observer et l’associer à un stimulus extérieur (l’eau glacée).

Les concepts du conditionnement et des stimulis sont des notions importantes en psychologie. Le conditionnement est une procédure d’apprentissage.

Il existe deux types de conditionnement : celui théorisé par Pavlov, (surtout connu pour avoir du chien) qui se nomme le conditionnement classique ; et celui décrit par Skinner, le conditionnement opérant. C’est ce dernier qui agit dans le théorème des singes. Chez Pavlov (type 1), on parle alors de réflexe, chez Skinner (type 2), on parle de comportement.

Le conditionnement opérant présente une condition. Dans notre exemple, nos singes ne se prennent une douche glacé que SI, ils escaladent l’échelle. C’est leurs actions qui entraînent une modification de leur comportement observable.

Saviez-vous, qu’il existait aussi une “constellation de la règle” ?

Le théorème des singes reprend donc les bases de la théorie du béhaviorisme. Cette théorie affirme que l’environnement est l’élément clé de la détermination, et explication des conduites humaines. Le processus d’une procédure d’apprentissage suit un schéma reposant sur trois grandes variables :

S > I > R

S = le stimulus provenant de l’environnement (des stimulis)
I = l’individu
R = le comportement ou réponse de l’individu par suite de la stimulation

Skinner compète ce processus en rajoutant la notion de conséquence (C). De plus, l’individu (I) n’est en fait, que très peu étudié. L’objectif du béhaviorisme est de spécifier les conditions et les processus par lesquels l’environnement (S) contrôle le comportement (R). L’était inconscient, non observable, est alors mis de côté. Ce qui nous amène à ce deuxième schéma :

S > R > C

Ainsi dans notre précédent exemple, lorsque le singe grimpe à l’échelle (l’action) , il reçoit une douche froide (le stimulus). De fait, il apprend “que grimper à l’échelle = flotte” (la réponse). Par conséquent, il n’accepte plus que quelqu’un d’autre grimpe sur l’échelle, par peur de se faire mouiller de nouveau (la conséquence).

Pour lire la troisième partie de l’article rendez-vous ici. On y abordera la notion de la règle de droit. Sinon, entre temps, tu peux aller lire d’autres articles et 👏 :) !

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