“Réflexions du Comédien” en surligné — PARTIE 1

Benjamin Savalle
7 min readApr 3, 2018

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« Réflexions du Comédien » est un livre écrit par Louis JOUVET, et publié en novembre 1941. L’ouvrage est édité aux éditions ©La Librairie Théâtrale. Il fait 235 pages et est séparé en deux parties.

Dans cette première partie, Jouvet décrit son opinion sur trois auteurs :

  • Beaumarchais vu par un comédien
  • Victor Hugo et le Théâtre
  • La disgrâce de Becque

Le seconde partie aborde le théâtre dans un sens plus large. Vous pouvez la retrouver ici.

Jouvet dans son avant-propos commente son livre par cette phrase : « Ces pages ne sont, en somme, qu’un livre factice, composé de conférences et de causeries, réponses à des questions que l’on m’a posées. » (p.10)

Le propos de ces articles suivants (enfin ce ne sont guère des articles au sens propre, mais passons) est de transmettre ma prise de note personnelle. À la lecture de ce livre, j’ai plusieurs fois surligné les passages qui sonnaient comme les plus intéressants à mes oreilles. Et pour fluidifier le tout, j’ai rajouté quelques phrases et citations.

Vous les retrouvez ici, mais je vous encourage à lire le livre en entier ;) Enjoy !

La couverture du livre !

1ère PARTIE.

Beaumarchais vu par un comédien.

Il n’y a qu’un moyen d’éprouver ou de contrôler la nature d’un comédien, c’est de lui confier un grand rôle. Lorsqu’on lui impose Hamlet, Alceste ou Tartuffe, quels que soient ses dons, l’élève a une façon particulière d’exproprier, ou de s’approprier le personnage. En lui faisant représenter un héros, on pratique sur l’élève une sorte d’exorcisme qui permet de le classer. Il n’a encore aucune des qualités suffisantes pour jouer Hamlet, Alceste ou Tartuffe, mais la manière dont il réagit dans ces rôles permet de déceler celles qu’il possède et d’orienter sa vocation.

Beaumarchais a aussi un prénom bien long et compliqué comme il faut : Pierre-Augustin Caron !

Le vrai héros de théâtre est un être trouble, compliqué et contradictoire — c’est à dire humain — mais quels que soient les commentateurs, les psychologues, les critiques qui l’étudient ou les acteurs eux-même qui le représentent, il reste intact et impénétrable.

Une comédie n’ai vraiment achevée qu’après la représentation.

Il est vain de chercher une inspiration ou un système dramatique dans l’oeuvre de Beaumarchais ; elle est un hasard, un merveilleux accident. Dans cette vie plein d’intrigues dramatisées, d’incidences, de pathétiques, égoïstement éprouvé, dans une absolue sincérité, Beaumarchais offre la perpétuelle contradiction qu’on trouve dans les vies des comédiens, dans les geste des grands acteurs. Pour expliquer son oeuvre et sa vie, pour en pénétrer le secret, l’idée à quoi se prend l’esprit est de rêver. Peut-être Beaumarchais a-t-il été un auteur de génie parce qu’il portait en lui, parce qu’il vivait profondément, des personnages. Figaro, Suzanne, Bartholo, Chérubin, Almaviva, la Comtesse, tous ces personnages qu’il a fait surgir sur le théâtre, il les a vécus, il sont sa véritable et multiple incarnation, ils sont à eux tous l’homme qu’il a été, ce sont eux qui ont agi sa vie.

Une version très contemporaine du Mariage de Figaro.

Le meilleur passage du chapitre : La citation de Louis de Loménie qui raconte son entrée dans la demeure de Beaumarchais des années après sa mort, et où il retrouve plusieurs de ses écrits jaunis par le temps, et couverts de poussière.

Victor Hugo et le Théâtre.

Tu crois que c’est commode à dire :
“Vous êtes deux dans ce château que j’aime.
Vous d’abord avant tout — avant mon père même
Si j’en avais un !”

Victor Hugo était tout de même un homme très photogénique.

Léon Paul Fargue écrit de lui :
“ Hugo, c’est vraiment l’honneur de la profession. Je l’ai vu, alors que j’étais à peine gamin, qui sortait un jour de sa maison de l’avenue d’Eylau. C’était un très vieux monsieur à barbe blanche dont la silhouette et la démarche électrisaient la rue. J’ai eu, ce jour-là, la révélation de qu’il était, de ce qu’il devrait être, de ce qu’il sera toujours : Un père Noël. Un père Noël qui a déposé des jouets jamais vus encore, des jouets merveilleux, des jouets insensés dans les souliers de la littérature.”

Ce même Mounet magnifique, qui, sortant de scène haletant, ruisselant de sueur, se laissait choir au Foyer de la Comédie-Francaise et chuchotait dans le plaisir de son triomphe et dans essoufflement : “Il faut jouer cela comme des enfants.”

Dans Racine ou dans Corneille, l’action conduit la pièce ; dans Victor Hugo, elle ne sert qu’à provoquer le couplet, le grand air de bravoure.

Plus tard, Francesco de Santis affirmait dans sa leçon d’ouverture à la Sorbonne : “Autant la parole comme moyen d’expression, est puissante, autant, quand elle ne s’adresse qu’aux sens, elle est inférieure à tous les autres instruments dont l’art dispose pour l’imitation de la nature et de la vie.”

Hugo est un grand poète, sans doute, et un dramaturge contestable, mais je ne lui en feras pas grief. Cependant, je songe avec mélancolie que, sans lui, Musset eut été peut-être notre Shakespeare.

Or le théâtre ne vit que de complexités. C’est dans la mesure ou un personnage reste douteux qu’il garde une apparence humaine. La psychologie d’Alceste, de Tartuffe, de Phèdre, d’Andromaque ou d’Hamlet sera toujours à reprendre. Les siècles, en passant, ne pourront que l’enrichir. Sortis du poème, Ruy Blas, Hernani, le vieux duc Job, n’ont plus rien à nous révéler.

Non, Victor Hugo avait raison, il l’a lui-même écrit : “En littérature, le plus sûr moyen d’avoir raison , c’est d’être mort.”

Le passage que je n’ai pas écrit parce que j’ai la flemme et qu’il est super long : La citation de Pierre Brisson sur le théâtre de Victor Hugo. Une synthèse correcte de la pensée de Jouvet sur l’auteur.

La disgrâce de Becque.

La vie et l’oeuvre de d’Henry Becque ne sont qu’un amas de catastrophes ou de disgrâces et je me demande avec angoisse si la malédiction qui l’a poursuivi toute sa vie ne le poursuit pas encore au-delà de la mort.

Il a une bouille sympathique sur la photo, mais ne vous y trompez pas, il ne devait pas être commode en son temps :D

Il y a une phrase que Péguy disait quelquefois et qui m’a toujours semblé avoir la vertu d’un talisman pour expliquer le secret des cœurs et des œuvres. Péguy disait : “Il n’a pas la grâce”.

La grâce : “Ce qui ne s’acquiert ni ne se perd à aucun prix”, dit quelque part André Suarès, “ce grand sourire intérieur, cet enchantement, cette magie, ce ne je sais quoi qui plait à l’âme en passant par les sens, ce charme qui vient de la nature et peut être emprunté, ce rayon de soleil, cette part de Dieu, cette prédestination des élus, cette divine visitation”. “Et la grâce, dit La Fontaine, plus belle encore que la beauté”.

Un comédien qui lit une pièce a immédiatement le sentiment de l’atmosphère dans laquelle elle a été créée. En lisant les œuvres de Becque, il me semble que j’entends inlassablement résonner un glas funèbre.

Lorsque j’ai mis un élève ou un jeune comédien en confiance, il m’arrive souvent de lui demander, pour que son “culte du héros” me révèle sa mentalité profonde : “Quel est, dans le répertoire théâtral, le personnage que tu souhaiterais être ?” Dans toutes les réponses ou les confessions qui m’ont été faites, jamais, parmi ces personnages, ces héros, je n’ai entendu le nom d’un personnage de Becque.

La Parisienne, en dépit de tout ce qui dessèche ou dessert cette oeuvre — et peut-être à cause même de cette disgrâce constante, qui atteint ici l’efficacité d’une réelle vertu — est incontestablement le chef d’oeuvre de l’époque réaliste.

Il n’est rien de tel, pour pouvoir juger de la vertu et la valeur d’un texte dramatique, que d’entendre, au matin, dans les murs nus d’une classe du conservatoire, les élèves s’essayer dans les scènes diverses que permet le règlement. De l’époque réaliste, Becque seul subsiste.

Si vous voulez aller plus loin, une autre figure importante de cette époque, c’est André Antoine.

Le passage qui est trop cool : Il y a a deux enfaîte. La première partie du chapitre parle de la vie de Becque, et c’est tristement drôle. Le second raconte les répétitions de La Parisienne, où Becque assiste et où il démonte tout le monde (comédiens, public, et metteur en scène :D ) pour finir par jouer sa pièce tout seul pendant 2 heures. Magnifique !

Si tu as aimé ce format, tu peux lire la seconde partie du livre, ou encore d’autres articles sur mon site et applaudir un peu ;) !

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