“Réflexions du Comédien” en surligné — PARTIE 2

Benjamin Savalle
8 min readApr 3, 2018

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Pour retrouver la première partie, cliquez ici.

« Réflexions du Comédien » est un livre écrit par Louis JOUVET, et publié en novembre 1941. L’ouvrage est édité aux éditions ©La Librairie Théâtrale. Il fait 235 pages et est séparé en deux parties.

Dans cette seconde partie, Jouvet exprime son avis sur la thématique plus générale de « l’art théâtral » :

  • Où va le Théâtre aujourd’hui ?
  • Le Théâtre est un métier honteux
  • Problèmes du Théâtre
  • Le métier de Directeur de Théâtre
Louis Jouvet, dans une scène extraite du film “Un revenant” © Sipa / Nana Productions / Sipa

2ème PARTIE.

Où va le Théâtre aujourd’hui ?

Pour un homme de théâtre, le théâtre de l’avenir est celui qu’il fait, ou qu’il ambitionne de faire ; et il donne inconsciemment comme règles de l’art ses propres goûts ou ses propres méthodes de travail.

Et c’est la loi même du théâtre d’être contraint, d’époque en époque, à osciller dans une constante alternative entre le symbole ou le réel — de chercher son style, ses modes, son expression et sa vérité particulière entre une fiction menteuse ou un simulacre vrai — entre l’irréel de la poésie ou un tri de la réalité : c’est l’histoire du théâtre.

Le naturalisme, déjà mort-né à sa naissance, était mort parce qu’il n’était qu’un aboutissement.

Conversation entre Jouvet et Renoir :
[…] Mais qu’est-ce, crois-tu, qu’un novateur ?
-C’est un homme qui déteste ses prédécesseurs.
-Ce n’est pas mon cas, fis-je.
-Attends, il y a une autre condition : un vrai novateur déteste encore davantage ses successeurs.
-Ce ne sera pas mon fait.
-Tu n’en sais rien : tu seras peut-être pire que les autres.

Le meilleur passage du chapitre : En vrai, tout le passage est trop cool, alors lisez-le !

Le Théâtre est un métier honteux.

Je pensais que le théâtre allait me délivrer de toute une quotidienneté pauvre et irritante qu’on ne supporte à cet âge qu’en faisant retraite à toute heure du jour sous les marronniers du fond du jardin ou dans l’étrange et paisible grenier familial.

Père du cinéma, de la télévision, de la radio, ou du disque, le théâtre — qui a donné naissance à ces industries — n’est qu’un petit commerce. Il doit rester aux mains des artisans.

Ce n’est pas un métier où l’on s’enrichit, et le désintéressement y est la règle générale. Et s’il était permis d’y faire fortune le théâtre perdrait d’un coup ses vertus et son honnêteté, et c’est alors qu’il serait un métier honteux. Si le théâtre, depuis quelques années, tend à s’industrialiser, il le doit plus aux intermédiaires, aux entremetteurs, et aux organisations sociales que les Etats tolèrent ou protègent, qu’à ses serviteurs véritables.

Pour vivre et durer, le théâtre doit rester pauvre, et les hommes qui s’y consacrent devront rester purs pour pouvoir résister à la corruption de l’argent et à la vanité de la publicité.

Le passage à lire : Lors de la lecture d’une pièce et de sa distribution, un rôle avait était proposé par empathie et charité à un comédien au chômage et dans la misère depuis longtemps. À sa première lecture, tout le monde fut satisfait et le congratula. Or, le comédien content et touché par leur geste refusa toutefois le rôle : “Je ne crois pas à votre pièce” dit-il. Jouvet dans son livre lui présente ses respects : “Mon cher camarade, je te salue ici.”

Problèmes du Théâtre.

Il n’y pas, au théâtre, des problèmes, il n’y en a qu’un : c’est le problème du succès. Il n’y a pas de théâtre sans succès.

La réussite est la seule loi de notre profession. L’acquiescement du public, ses applaudissements sont, en définitive, le seul but de cet art que Molière appelait le “grand art” et qui est l’art de plaire.

L’art de plaire au théâtre, c’est l’art d’écrire des pièces ; c’est ensuite, et bien au-dessous de ce sommet, l’art de les monter et de les jouer.

Ce n’est pas la présence ou l’absence des spectateurs sur la scène qui importe, c’est l’oeuvre écrite, c’est l’imagination et le verbe du poète dramatique. Ce qui importe, c’est le rapport étroit, direct, de l’homme qui parle, c’est à dire l’Auteur, et de ceux qui écoutent, c’est à dire de l’assistance, du public.

[…] on constate tout les jours, à notre époque, sous une forme ou sous une autre, le désir de l’homme de théâtre de se pousser vers le public, de regagner par tous les moyens cette intimité d’autrefois, dont la nécessité est une des lois de l’art dramatique.

Dans la profession, nous disons : il n’y a pas de mauvais théâtre, il n’y a que de mauvaises pièces — ce qui démontre que le succès rend les clients insoucieux de leur confort.

Ça, c’est l’auteur à l’étape 1.

Vous ne savez pas le frémissement voluptueux que donne l’entonnoir d’une salle de théâtre toute enduite d’humanité, cette amplification de sensibilité, cet émoi, dont on ne sait plus s’il est fait de tendresse ou d’horreur lorsque le rideau se lève enfin dans le silence… et qu’apparaît soudain cette masse humaine, “ce monstre” disait Shakespeare, qui a des milliers d’yeux et d’oreilles et qui nous attend, dans l’ombre”.

Il y a dans un théâtre, une sorte de crasse dramatique qui se dépose peu à peu dans ses flancs, un relent ou un parfum qui s’en dégage.

Je crois qu’il est impossible d’écrire une philosophie du théâtre, mais je rêve qu’un jour quelqu’un, peut-être, écrira une physique ou une métaphysique théâtrale qui éclairera la nature de ces cérémonies, en dégageras les lois et les constantes inexplicables.

La collaboration nécessaire et aveugle d’un public qui est, en même temps, le but et la sanction de l’oeuvre dramatique, asservit le théâtre à la nécessité de plaire.

Tout ceux qui travaillent de près ou de loin à l’oeuvre dramatique sont mûs par ce besoin de plaire que seul le succès contrôle, sanctionne ou récompense.

Ça, c’est le comédien à l’étape 2.

Parmi les tourments inventés dans son Enfer, le Dante a oublié celui de l’auteur ou de l’acteur contraints d’être joué ou de jouer devant une salle vide de public, où les voix seraient muettes et où les mauvaises vocations théâtrales périraient lentement par asphyxie. Pour qu’il prenne conscience de lui, pour qu’il progresse, pour qu’il vive de son métier matériellement et spirituellement, il faut, à l’acteur comme à l’auteur, un public qui l’approuve.

Molière, contraint, lui aussi, à la loi du succès, après avoir constaté que “c’est une étrange entreprise de vouloir faire rire des honnêtes gens”, le formule avec, sans doute, un peu de mélancolie : “Le grand art est de plaire”. Tel est le nouvel aspect du succès, la réussite dans l’art de plaire.

Et c’est là la différence des points de vues, c’est qu’il faut être au départ, et courir la course, et mener le jeu pour savoir ce qu’est notre métier. Le public et la critique ne sont qu’à l’arrivée.

Les passages qui sont biens mais un peu trop longs : Jouvet a tendance à faire pas mal d’accumulations pour appuyer sa pensée. Plusieurs sont belles comme celles sur les “maux du théâtre”, la “scène libre”, et “l’émotion de l’acteur”, mais trop longues pour le format de cet article.

Le métier de Directeur de Théâtre.

Les directeurs sont des gens décriés parce qu’ils ne sont pas tous, en vérité, des directeurs de théâtre. Leur faune présente, selon les époques, tellement de diversité et de variété, qu’il vaut mieux de ne pas trop emprunter à l’anecdote.

Le métier de Directeur, je vais vous le dire en confidence, n’est pas un métier : il n’y a que des directeurs.

Ça, c’est le metteur en scène à l’étape 3.

C’est du jeu de ces trois éléments : public, acteur et auteur, de leurs influences réciproques, de leur conjugaison et de leur mariage spirituel, que sont faits le théâtre et l’histoire du théâtre. […] Le directeur est un supplément.

Le théâtre n’est qu’un dialogue entre la scène et la salle, entre le public et l’acteur.

[…] Là, surprenant un vieux figurant privé de conviction qui ne participe que très mollement aux mouvements de la foule, — sans doute parce qu’on le paie au-dessous du tarif — il s’emporte, l’interpelle avec véhémence et lui reproche de ne pas mériter son salaire. Alors, l’homme, qui, lui, est du métier, reprend toute sa dignité sociale et réplique, sans aucune déférence, en le toisant : — Vous ne pensez tout de même pas que pour ce prix-là je vais vous faire Mounet-Sully ? Non ?

— Il pleut pour quinze mille francs.

Quel que soit son talent ou son inspiration, celui qui écrit l’oeuvre est le véritable chef.

C’est par Gogol et Tchekhov, en Russie, que Stanislawski trouve son réalisme ; par Zola, Oscar Méténier et les Goncourt qu’Antoine a instauré et pratiqué le naturalisme. C’est par Shakespeare que Gordon Craig a rénové le sens de la mise en scène et de la décoration ; par Wagner qu’Adolphe Appia a crée sa conception de la mise en scène fondée sur l’expression musicale.

“Les institutions, a dit un philosophe, ne sont que l’intérim des hommes de génie”.

Mettre en scène, c’est vivre dans les affres de l’oppression et les délices de l’angoisse. C’est, dit Paul Valéry, “ la tragédie l’exécution”.

Et ça, c’est le directeur de théâtre à l’étape 4 :D

Une troupe qui répète est une famille dans l’intimité. C’est même, à ma connaissance, la plus parfaite réalisation de la famille et c’est pour cela qu’il est si blessant pour nous de voir des curieux assister à une répétions. La présence d’un étranger dans une salle ou répètent les comédiens est non seulement importune mais quasi impudique.

Et il [Jean Giraudoux] compare une oeuvre dramatique à une pièce de faïence que l’on a peint de couleurs fausses et dont les vraies couleurs et le dessin achevé n’apparaissent qu’après la cuisson ; cette épreuve du feu, c’est l’achèvement par la réalité qu’est le contact avec une audience.

Le théâtre est toujours la sécrétion d’une civilisation ; la société, dans sa forme actuelle, a le théâtre qu’elle mérite.

Le théâtre est aujourd’hui une affaire d’Etat. Reste à savoir si l’Etat veux s’occuper des affaires du théâtre.

Le passage bien sympa : Tout le début sur les différents types de directeur n’est pas vraiment mon favori, mais vers la fin, Jouvet écrit un long passage sur la mise en scène. J’ai d’ailleurs recopié l’extrait, il est accessible sur mon site web ;)

Si tu as aimé ce format, tu peux lire la première partie du livre, ou encore d’autres articles sur mon site et applaudir un peu ;) !

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