Pourquoi le Minitel n’aurait pas pu naître en Californie ?

Jean Michel Billaut
6 min readAug 17, 2018

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L’un d’entre vous m’a demandé de répondre à cette question..
Voilà ma réponse.. (comme j’ai du temps, que suis en vacances de type retraite officielle).

John Gage (conseiller du Président Clinton) : “ Je suis admiratif de ce que vous avez fait avec votre Minitel, vous les Français”’.

John parlait un français parfait, un peu précieux même. Je l’ai rencontré plusieurs fois aux USA — notamment chez Sun Microsystems, et à l’Atelier de la Cie Bancaire où il venait quelques fois — notamment lors du lancement de la Fête de l’Internet….). Voir photo de John.

Moi : “ Ok John, mais si vous êtes si admiratif, pourquoi vous n’adoptez pas notre Minitel ?”. Mon ami Georges Nahon, à l’époque jeune cadre (très) dynamique chez Intelmatique, la filiale de notre opérateur de telecoms historique, s’échinait à vendre notre innovation aux cow-boys.

John : “ Non, les Américains n’en veulent pas pour 2 raisons :

1/ Ils n’aiment pas trop l’Etat. Moins il y a d’Etat, plus ils sont contents !.. Ils n’accepteront pas donc que l’Etat américain comme le vôtre, fasse fabriquer en masse (ou importer) un terminal avec de l’argent public, pour le remettre ensuite gratuitement aux citoyens. C’est en-dehors de leur entendement.

2/ Qui plus est, votre business model n’est pas non plus dans leurs moeurs, avec vos paliers de paiement à la connexion (3615 au 3617). Quand Miss Smith fait l’honneur d’envoyer sa commande à son mail order habituel (genre 3 Suisses local par exemple), elle ne comprend pas qu’il lui faut payer… un montant non négligeable. Pour elle, cela doit être gratuit.

Donc, notre frétillant Georges Nahon a dû remiser ses valoches et est revenu chez nous.. Mais il est reparti plus tard comme patron du lab d’Orange à San Francisco. Il est à la retraite je pense aujourd’hui, mais il reste là bas. Je le comprends.

Voilà en gros, le pourquoi..

Maintenant un peu d’histoire..

Comme vous le savez, les Gaulois sont toujours un peu à la bourre.

1/ Les élites 1.0 de l’époque (on en avaient déjà !) ne se pressaient pas trop pour installer notre réseau téléphonique filaire sur tout le territoire (comme aujourd’hui d’ailleurs avec le très haut débit fibre, la 5G, etc.). Mes parents notamment, ont attendu 4/5 ans pour avoir le précieux appareil de téléphone. Alors que mon père créait à l’époque une agence d’assurances où le téléphone aurait été très utile, comme la suite l’a montré. Le réseau téléphonique a joué en effet un grand rôle dans l’enclenchement des 30 Glorieuses (avec les autoroutes, où l’on était aussi à la bourre !). Il se pourrait que si nous avions eu rapidement un réseau fibres optiques, peut-être que..

Mais à l’époque..

Même De Gaulle, qui n’aimait pas “se faire sonner comme un vulgaire domestique” ne poussait pas à la roue.. Et les plus anciens d’entre nous se souviennent du sketch de Fernand Raynaud “le 22 à Asnières” (qui date de 1955 !). Où il se moquait de nos belles élites de l’époque..

http://www.ina.fr/video/I06268515

2/ On a enfin rattrapé notre retard dans l’installation de notre réseau filaire cuivre.. Grâce à quelques hauts fonctionnaires (Mines Telecoms) et à quelques politicards (Giscard notamment), un peu plus dégourdis que les autres.. Donc, ces braves gens se sont mis en tête — comme ils avaient été à la bourre avec le simple teléphone — hé bien, de passer en tête au niveau mondial — , avec les technologies du vidéotex.. qui justement arrivaient à point nommé ! Suite logique dans leur esprit aux technologies téléphoniques. “Vous allez voir ce que nous allez voir !” Disent-elles quand elles sont à la bourre et qu’elles se mettent en tête de montrer aux autres peuplades que.. (c’est encore le cas aujourd’hui avec par exemple, notre “programme génomique 2025”).

3/ Mais on n’était pas les seuls à vouloir imposer notre standard vidéotex. Les Anglais avaient leur Prestel, les Allemands leur Bildschirmtext, et même les Américains avec leur NAPLPS, qui fonctionnait lui, sur un PC. Les Canadiens avec Telidon, les Italiens avec Videotel, les Japonais avec Captain.. Bref, cela se poussait au portillon..

Les élites gauloises de l’époque ont donc fait plusieurs choses.. pour montrer que chez nous… on était une peuplade qui pouvait éclairer le Monde..

Elles ont d’abord testé la chose à Vélizy (78), avec une centaine de foyers équipés “du plat à barbe” de Thomson, à savoir un hardware que l’on glissait sous l’appareil de télévision. Mais elles se sont vite aperçues que cela posait problème au sein du foyer (l’un voulant regarder la télé, l’autre se connecter à Teletel — le nom de notre réseau vidéotex). Elles ont donc décidé de faire fabriquer un petit terminal dédié : le Minitel (j’ai retrouvé dans mon grenier un de ces plats à barbe — voir photo).

Cela fait, elles ont créé un réseau d’accès spécifique (Transpac) avec une norme spécifique (le X25), pour montrer au monde que cela marchait.. Avec Transpac on créait à chaque connexion une ligne physique spécifique.. que l’on pouvait facturer donc à la seconde d’utilisation prés ! (alors qu’avec TCP/IP : pas possible !).

Et puis, elles ont voulu prendre de l’avance en adaptant le réseau Minitel à la vidéocommunication : le fameux réseau fibre de Biarritz (que j’ai eu l’occasion de visiter).. Mais là : le bouillon ! Notre technologie n’était pas à la hauteur. On y a dépensé beaucoup d’argent public (mais on a l’habitude, dans le numérique). On ne sait pas très bien combien d’ailleurs, comme d’habitude !. J’ai entendu parlé de 500 millions de Fr de l’époque. Quand on a démantelé le réseau biarrot, on m’a donné un visiophone d’Alcatel (voir photo). Très content et fier comme Artaban, je le ramène chez moi et le pose sur la table à manger.. Madame Billaut se met en pétard : “Jean Michel, tu m’enlèves cette saloperie de ma salle à manger, je n’en veux pas ! “ Comme quoi ! Aujourd’hui, Madame Billaut a un iMac et fait de la visiophonie mutli-point avec ses petit-fils.

Il n’y a pas à dire, tout cela avait un certain panache de type Ancien Régime. Mais manque de pot. Car pendant le même temps, la Silicon Valley et quelques universités américaines créaient le protocole TCP/IP, en test avec le réseau Arpanet.. Qui en très peu de temps est devenu Internet. Et qui s’est répandu dans le monde entier, contre toute attente — même Bill Gates n’y croyait pas ! — Comme personne ne s’y attendait, personne n’a penser s’approprier le protocole comme il sied en économie capitaliste, protocole qui est donc resté gratuit…Internet c’est donc répandu, y compris en France qui comme chacun sait, fait encore partie du Monde.. En fait, les Français de base ont renié leur Etat jacobin et leurs élites. Certes, certaines de ces élites ont essayé d’interdire l’Internet en France (forcément avec TCP/IP on ne pouvait pas facturer la connexion — donc pas de revenus directs pour l’opérateur et l’Etat).. Le business model était tout autre. Mais là nos belles élites sont restées le bec dans l’eau.
Peine perdue. Fin 2011, on mettait à la poubelle Minitel, X25, Transpac.. Les élites Françaises avaient perdu leur rêve de grandeur télématique..

Je rappelle néanmoins que le grand-père du protocole TCP/IP est un Français : Louis Pouzin (toujours de ce Monde — je l’avais e-interviewé il y a 2 ou 3 ans et m’avait raconté son épopée chez les élites) avec son datagramme et son réseau de test Cyclades.
Ce qui me fait dire que l’on a loupé le coche.. Enfin !

Mais d’autres aventures de type “louper le coche” nous attendent : la blockchain et les ICOs, la génomique, l’IA, le x-road et le vote on line en blockchain (et pas sur des machine à voter), pour ne citer que les plus intéressants. Comme je connais nos élites, il va ya avoir pas mal de “louper le coche” à raconter à mes petits enfants.

Voilà.

Mais savez-vous au fait, pourquoi on n’a pas inventé/fabriqué le Mac en France ? Parce que l’aurait pu.. Si, si !
Je vous raconte cela la prochaine fois..

Stay tuned comme on dit chez les cow-boys..

Emmanuel Macron Thierry Halgand Véronique Bédague-Hamilius @toutes les élites françaises

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