Sur le spectre et hors radar — Ce que le diagnostic change.

BrainBitch
7 min readOct 3, 2017

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J’avais 18 ans la première fois que j’ai entendu parler du “Syndrome d’Asperger”.

Je vivais à l’époque avec ma mère, dans un petit deux pièces à Paris, et elle lisait la trilogie “Millénium” de Stieg Larsson. Arrivée au terme du premier volume, elle me le tendit en déclarant “Ah lis ça tu vas voir c’est toi dedans”.

Elle faisait référence à Lisbeth Salander, un personnage assez atypique et très important, si ce n’est l’héroïne, de l’histoire. D’autres personnages du récit s’interrogeaient à son sujet, évoquant ici et là la possibilité qu’elle puisse être atteinte du syndrome d’Asperger.

N’ayant aucune idée de ce dont il était question, j’interrogeais internet.
C’était autour de 2005 et je trouvais alors bien peu d’informations, néanmoins suffisament pour repérer des similitudes qui me poussèrent à me demander si, moi aussi, je pouvais être concernée.

Je parlais en toute innocence de ma découverte à quelques amis qui s’empressèrent d’invalider ma théorie, m’expliquant que j’étais juste bizarre mais certainement pas autiste, et que je voulais juste me rendre intéréssante.

Aujourd’hui j’ai conscience qu’ils ne connaissaient de moi que la version que je leur avait tout spécialement concoctée, j’ai appris depuis que c’est une des stratégies de compensation les plus employées par les femmes Asperger. Nous sélectionnons chez les autres (personnes réelles ou fictives) des éléments que nous imitons, et nous créons une infinités de personnas, des variations de nous même, adaptées à certaines situations ou personnes.
Mais à l’époque, j’ignorais tout cela. Je me sentis incomprise, mais aussi honteuse. Et s’ils avaient raison ?

Je continuais ma vie, en me “normalisant” autant que possible, mais je finissais toujours par faire ou dire quelque chose de travers, on me faisait des réflexions, et je continuais de me demander, et si ?

J’étais très consciente de mes différences, de mes limites, ainsi que de l’ambivalence de mon comportement social. Personne ne savait exactement mettre le doigt dessus, mais ceux qui me connaissaient depuis longtemps avaient du mal a réconcilier les aspects de la personnalité du “dehors” avec ceux de la personnalité du “dedans”.

Au fond je savais bien que mes soupçons n’étaient pas infondés, et je savais aussi quelle démarches effectuer pour en avoir le coeur net.
Mais les mots de mes anciens amis me hantaient toujours, et toujours je me demandais: “Et s’ils avaient raison ?”
Et si le psy me ri au nez et se fâche parce que je lui fais perdre son temps ? Et si c’était juste moi qui voulais une bonne excuse pour ne pas faire plus d’efforts, quand bien même je m’usais et m’épuisait à faire semblant d’être comme les autres?

Après tout en 12 ans, j’avais développé des stratégies très efficaces, et étais parvenue à prendre le contrôle de ma vie en jouant mes bonnes cartes.
J’en vins même à me demander si je voulais vraiment savoir, finalement. J’étais très fière de pouvoir passer pour une fille dite “normale”, d’autant plus que je savais combien ça me coûtais en terme de stress et d’énergie.
Prendre sur soi, et garder le contrôle, toujours.
J’appréhendais aussi que, peut être, le diagnostic ne me conforte dans mon manierisme et mes comportements étranges, que je commence à m’en servir comme d’une “bonne excuse” pour faire moins d’efforts, et que cela ne devienne contre productif.

Mais j’ai reçu un petit coup de pied au cul de la part de mon corps.
A 28 ans, un vendredi soir, j’ai fais une rupture d’anévrisme. A peine un an plus tard, on m’a diagnostiqué un cancer du sein.
Mon corps commençait à me lâcher.

Je ne pense pas que ce soit un hasard mais à cet âge, mon cercle d’amis le plus proche est composé de gens qui se sont tous “sentis différents” toute leur vie. Une bonne partie d’entre eux est plutôt HP que sur le spectre, néanmoins nous nous compenons si bien sur tant de points que nos rapports sont privilégiés, et cela inclus une grande confiance. C’est cette confiance qui m’a poussée à leur parler de mes soupçons. Et au lieu de me railler, tous m’ont encouragée à poursuivre les démarches.

J’ai donc pris ce rendez-vous.

Il n’a suffit que de 5mn dans son bureau pour que la neuropsy ne me demande si j’avais déjà entendu parler du syndrome d’Asperger.
A l’issue des tests et des entretiens, il y eut confirmation: mon profil cognitif et comportemental indiquait un “cas d’école d’Asperger chez la femme”.
Je ne réalisais pas tout de suite, à la fois je le savais et à la fois je n’en revenais pas.
J’ai même un instant remis en cause son impartialité car elle semblait si enthousiaste que je me suis demandé si elle n’était pas biaisée, si elle n’avait pas une sorte de fascination, et peut être qu’elle voyait des Asperger partout ? Je quittais son bureau avec une liste de contacts et de livres pour m’aider à comprendre et m’accompagner pour la suite.

La première chose qui a changé, le “changement originel” si je puis dire, c’est que j’ai cessé de m’en vouloir de ne pas être “normale”. J’ai arrêté de me houspiller moi même parce que soit disant “je ne faisais pas assez d’efforts” dans tout un tas de situations.

Par exemple, les conversation superficielles me font horreur. D’une façon ou d’une autre, je vais finir soit par ramener la conversation à moi et/ou mes sujets d’interêt, soit je vais avoir recours à ce que j’appelle mes “scripts pré-enregistrés”. Ce sont des morceaux de conversation “tout faits” que j’ai déjà pour certaines occasions. Malheureusement il arrive parfois que je n’ai rien de préparé pour l’occasion, auquel cas je risque de sortir un script parfaitement aléatoire de ma collection juste pour dire quelque chose.
Et même si je parviens a tenir mon rôle un certain temps, il arrive un moment ou je suis à court de stock, et n’ayant plus rien de nouveau à raconter, je m’arrête net pour ne plus jamais reparler.
J’aime rencontrer de nouvelles personnes, je suis toujours pleine d’espoir de recontrer quelqu’un avec qui ça “clique”, mais il semble que se passer de ce type de conversation soit impossible.
On ne peut décemment pas s’interesser directement à l’âme de quelqu’un sans lui parler du temps qu’il fait avant.

Pour m’intégrer, j’ai dû faire des sacrifices.
J’ai recours a une extrême politesse pour tenter de compenser toutes les petites choses dont je n’ai pas conscience mais que les autres interpretent comme de mauvaises manières.
Être considérée comme mal élevée, ou malpolie est ma plus coûteuse anxiété, car cela m’a poussée à accepter des choses que je n’aurai jamais dû.

A chaque fois que je me fais aborder, dans la rue, au supermarché ou dehors avec des amis, et alors meme que la personne nous interromps, je prends sur moi et me montre sympathique, ce qui les incite à rester, du coup je ne sais plus comment m’en dépétrer.

J’ai l’habitude de quitter les soirées sans dire au revoir, parce que je sais que sinon il y aura forcément quelqu’un pour faire une remarque, ce qui va attirer l’attention sur moi, et il y aura forcément quelqu’un pour essayer de me faire rester encore un petit peu, et même si je sais que c’est bien intentionné, pour moi c’est juste plus de pression. Alors je m’en vais discrètement, et ensuite on me dis que je suis malpolie. Je ne peux pas gagner.

Souvent je m’absente “dans ma tête”, perdue dans les circonvolutions d’une réflexion que mon esprit à commencé a construire, basée sur je ne sais quel détail qui a attiré mon attention un peu avant. Mais comme j’utilise notoirement le cannabis pour m’automédicamenter, je vais forcément avoir droit à des remarques à ce sujet.

J’ai perdu des amis parce qu’ils me trouvaient autoritaire ou exigeante quand je pensais être pragmatique, ou parce que je ne venais pas à leurs soirées quand j’avais promis 2 semaines avant, quand je me sentais bien, que je serai là.

Un daignostic n’a rien de magique et ne va pas tout changer en un tournemain. Il y a des gens, notamment quand il s’agit de séduction, avec qui je ne me sens pas capable de partager cette information, ce qui laisse des incompréhensions donner lieu à de mauvaises interpretations, des jugements erronés, et, parfois, au rejet.
C’est une telle lutte au quotidien pour les Aspies qui sont prompt à douter d’eux même et à penser que c’est forcément d’eux que vient le problème, que lorsque ce qui nous a tant couté en terme d’efforts est mal perçu, la sensation d’échec est cuisante.

Je dois l’admettre car je l’ai remarqué, mon “manierisme” m’apparait plus évident depuis le diagnostic, mais je ne considère absolument pas en avoir fait une “bonne excuse”. Au contraire, je dirais que j’apprends à choisir mes combats, et a économiser des l’énergie pour les choses qui en valent la peine.
Ce qui me semble sans importance, je décide de ne plus me forcer à le faire.

Dans ces occasions, si je me sens à l’aise, je fournirai peut être l’explication que je peux maintenant légitimement avancer
Je dois avouer à ce sujet être agréablement surprise des réactions: beaucoup de compréhension et un peu de curiosité, qui me rendent ces moments bien plus faciles.

Je suis également consciente que c’est encore frais, et qu’il est possible que je traverse plusieurs phases pendant cette periode d’adaptation.

A chaque fois que je tente d’expliquer ce qui m’arrive, j’ai recours à des métaphores informatique. Je trouve que c’est toujours très parlant. Dans ce cas je dirais que le système d’exploitation a subi une mise à jour importante, et que tout un tas de petits softs ont besoin d’être débuggés pour être parfaitement compatibles et que tout cela refonctionne sans encombres.

Si vous avez vous même reçu un diagnostique tardif, n’hésitez pas a partager votre expérience: comment avec vous découvert que vous étiez concerné(e)s ? Quel a été votre parcours avant et qu’est ce que ça a changé pour vous après ?

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BrainBitch

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