Repenser l’humain dans l’espace — François Meunier, cofondateur et dirigeant d’Attitudes Urbaines

Cap Digital
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9 min readDec 5, 2018

— Cet article fait partie du dossier de veille sur la construction et l’aménagement de la Ville Durable. Retrouvez l’édito et les autres interviews ici et retrouvez le dossier complet ici !

François Meunier, architecte de formation et urbaniste OPQU est dirigeant d’attitudes urbaines, agence d’AMO en programmation urbaine, architecturale et d’espace public, et co-fondateur d’aptitudes urbaines, département de formation continue et de diffusion autour de la démarche de programmation urbaine. Il est par ailleurs membre du comité scientifique écoQuartier, Professeur associé au CNAM et enseigne également à l’Ecole d’urbanisme de Paris depuis 2001. François intervient sur des thématiques variées l’ayant amené à pratiquer à différentes échelles, des contextes variés et étendus de production du cadre de vie et du cadre bâti. Ainsi, soit très en amont ou très en aval des projets, il conçoit son métier au carrefour des questions stratégiques, techniques et opérationnelles des projets et se situe en médiateur averti des préoccupations de chaque partie prenante. Pour ce dossier il partage avec nous son expérience et sa vision du secteur, des interactions entre acteurs.

La création d’Attitudes Urbaines remonte à 1994, lorsque moi et mes associés avons pris des parts chez Affluents, qui opérait dans l’aide à la décision des Collectivité pour l’aménagement du domaine fluvial. L’objectif était de faire évoluer les pratiques des acteurs sur ce domaine sensible et complexe (VNF et Collectivités notamment) : la question du système d’acteurs a toujours été au centre de nos préoccupations.

François Meunier, cofondateur d’Attitudes Urbaines

Notre agence s’est ensuite positionnée plus largement dans le champ de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, avec les moyens de la démarche de programmation. Nous avons élargi nos activités à l’aménagement l’urbain (renouvellement urbain, écoQuartier…), aux équipements (médiathèques, théâtres, musées…), à l’immobilier d’entreprise (Manufactures, bureaux…) et aux espaces publics. Nous avons eu la chance d’intervenir des projets iconiques (place de la République, Cité du Théâtre Berthier, Université Condorcet, Ile de Nantes…) mais avons un gout prononcé pour des projets de rayonnement locaux tels que les établissements scolaires, cœurs de villes moyennes… Récemment nous avons participé à de nombreuses équipes sous mandats de promoteurs qui répondaient aux Appels à Manifestation d’Intérêt ou Appels à Projet. Dans tous les cas cette pratique du projet par la programmation exige de nous de conduire et articuler une grande diversité d’échelles et de processus.

La programmation inscrit dans le projet la commande de la maîtrise d’ouvrage, traduisant les attentes du territoire politique et habité dans l’aménagement de l’espace qu’il soit architectural ou urbain. Elle n’a de sens que comme démarche incluant l’ensemble des acteurs concernés, des élus aux habitants en passant par les services ou les opérateurs.

Moins connue que la programmation des équipements publics et d’espace public (car régit par la loi relative à la Maîtrise d’Ouvrage Publique (MOP) qui rend obligatoire en France la programmation lorsqu’on réalise un ouvrage public) la programmation urbaine pour répondre à l’échelle urbaine est encore aujourd’hui une pratique émergente de projet.

Attitudes Urbaines

Face à cela, les enjeux de promotion, de déploiement d’un réseau et de formation à cette démarche élargie à l’urbain nous a amené en 2010 à créer un nouveau Département à Attitudes Urbaines : Aptitudes Urbaines. Attitudes Urbaines et Aptitudes Urbaines sont les deux faces d’une même pièce, l’une justifiant l’autre.

Le travail avec les citoyens

La démarche de programmation est centrale : elle est le moyen pour la Collectivité d’élaborer et définir son projet. C’est son appareil intellectuel d’action. Il ne s’agit pas ici uniquement des élus qui sont évidemment importants dans le contexte de démocratie représentative, mais pour nous, la « chose politique » se partage entre élus et habitants.

Notre rôle est celui de passeurs d’une connaissance que l’on partage avec eux, que l’on croise avec leur capacité à se projeter.

Les habitants sont concernés parce qu’on traite de leur cadre de vie, ils ont une place de choix dans les démarches participatives. Ils contribuent à définir le projet en révélant leurs connaissances des usages, nous aidant à comprendre la façon dont les pratiques évoluent en fonction du contexte. De notre côté, on a une connaissance des pratiques au niveau international en lien avec le numérique, l’Histoire… Il nous manque les micro-situations locales pour s’approprier un projet. Notre rôle est celui de passeurs d’une connaissance que l’on partage avec eux, que l’on croise avec leur capacité à se projeter.

Le programme, expression de la commande, ne peut pas être complètement figé : il y a des invariants qu’il faut certes savoir faire émerger au carrefour des jeux d’intérêts de chaque acteur, mais il y également des questionnements qu’il faut savoir partager pour les lever au fur et à mesure. En somme il faut éviter les angles morts, être tenté de demander à l’architecte ou au paysagiste chargé de dessiner le projet de porter en même temps les intentions de la maîtrise d’ouvrage ! On est donc là pour accompagner l’architecte ou le paysagiste, à penser un espace le plus en adéquation avec les nécessités du territoire. D’ailleurs, de notre point de vue, l’espace sert le projet de territoire. Il en est l’outil d’épanouissement social, économique, environnemental, en somme politique !

Programmiste, nouveau métier ?

On est dans une phase de conquête : on cherche à faire de la programmation qualitative qui prenne en compte la vocation des lieux, les projets de vie, les usages et les enjeux de gestion. Ce n’est pas naturel dans l’aménagement de l’espace. Depuis 1985, la loi MOP a motivé la constitution de la profession de programmiste. Mais il y a une limite : la loi ne détermine pas que le programme soit déterminé par une démarche. La programmation urbaine (à l’échelle du quartier) n’a pas de référence à la loi, c’est une démarche volontaire.

Je suis praticien depuis 1998. Les métiers du secteur sont dans une certaine inertie. Si on prend l’exemple de l’architecte, les attentes que l’on a à leur égard (conscientes ou non) nous viennent d’une histoire ancienne. On peut même remonter jusqu’à la Renaissance pour parler de l’architecte comme figure ! Les métiers sont historiques et persistent avec des avantages et inconvénients puisqu’ils peuvent s’avérer inadaptés aux situations actuelles, difficiles à positionner en dehors d’un contexte. Le métier répond à un moment donné à un besoin. La programmation a certes une histoire ancienne aussi car il y a toujours eu des commanditaires (exception faite de l’architecture vernaculaire sans doute). Elle a aussi une histoire récente, marquée notamment par la création des Villes Nouvelles de la fin des années 60 ou par l’invention du Centre Georges Pompidou, qui, avant d’être un bâtiment, était un programme support de pratiques interdisciplinaires sans précédent dans le monde.

Notre particularité c’est d’être une innovation méthodologique, mais aussi posturale, presque politique. Il y a des enjeux conséquents, mais on parle surtout de concrétiser enfin la question de la ville durable.

La programmation se réinvente aujourd’hui telle une pratique plastique qui tente d’outiller le projet de manière agile et de valeurs pérennes, en relation avec la complexité des contextes. Des institutions même assurent la promotion de cette pratique telles que l’ANRU (Agence Nationale pour le Renouvellement Urbain), la MIQCP (la Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques) ou l’ADEME.

Je parlerais de « pratique » plutôt que de métier. Un métier peut très vite se formater, je préfère l’idée de pratique parce que ça veut dire que l’on s’invente en permanence. Le fait d’être en conquête permanente nous oblige à avoir les mêmes ressorts qu’une start-up, que ceux qui sont dans des processus d’innovation. Notre particularité c’est d’être une innovation méthodologique, mais aussi posturale, presque politique. Il y a des enjeux conséquents, mais on parle surtout de concrétiser enfin la question de la ville durable. L’holistique de notre démarche est le fait que l’on place les acteurs, les individus au cœur du dispositif. De manière très innervée, c’est là que commence la ville durable.

La ville durable peut-elle être sociale ?

Concernant la ville durable, on dialogue depuis longtemps avec les acteurs concernés. Pour moi, il y a trois choses qui ne communiquent pas : les discours politiques très ambitieux qui ne se matérialisent pas, les procédures mises en place et les fabricants de solutions (im)matérielles. Il manque un sens aux actions, et, évidemment, « l’habiter » qui va déterminer la manière de rendre les choses circulaires et fluidifier le rapport entre les trois polarités. S’ajoutent les projets environnementaux ambitieux, pour lesquels il faut intégrer des solutions en amont des processus pour les retravailler du point de vue de l’usage, et peut-être d’amener toutes ces idées à mieux dialoguer entre elles. Quand on parle de procédure, c’est la haute qualité environnementale, l’approche environnementale de l’urbanisme… Mais toutes ces procédures ont tendance à segmenter la démarche. De notre côté, grâce à la démarche de programmation, on essaie de dé-segmenter ces séquences.

Aujourd’hui, on est dans une phase très archaïque de la ville durable au sens où on l’évoque, de manière intellectuelle. Elle est encore à inventer pour se concrétiser vraiment avec profondeur.

Pour cela, on prend une autre position : on part de l’habiter au sens large pour travailler avec le reste des acteurs. La programmation fabrique le sens du projet. Aujourd’hui, on est dans une phase très archaïque de la ville durable au sens où on l’évoque, de manière intellectuelle. Elle est encore à inventer pour se concrétiser vraiment avec profondeur. La ville durable est sociale ou ne sera pas. Il faut recomposer les actions, la méthodologie, avec une vraie posture. Plus que d’inventer de nouvelles solutions, c’est plutôt la façon d’y aller qui compte. On entend beaucoup de fabuleux discours, on voit de superbes tours dessinées, de l’agriculture urbaine sur les murs… Mais il faut aussi penser à la copropriété qui paiera un mur végétal, ce dernier courant le risque d’être complètement dégradé quelques années plus tard. Il y a des enjeux marketing, des promesses autour de la ville du futur, mais quid des précaires, des manques de moyens, des sans-abris… L’application des procédures nous promet de toucher des subventions mais ne constitue pas un projet. Il ne faut pas oublier de quoi on parle, et ici, c’est d’habiter l’espace dont il s’agit. Le fond est de penser l’habiter de l’avenir, la programmation est le cœur du projet de transformation de l’espace.

La place du numérique dans la programmation

Même si le numérique n’est pas au centre de nos activités, quand on programme l’espace et notamment du service, on ne peut pas négliger l’intégration de nouvelles technologies :

  • La gestion de l’espace. Il faut prendre en compte que la programmation se fait en présentiel et à distance. Par exemple, avant de réaliser l’espace définitif on peut le préfigurer, on peut produire avant de construire les murs. Lorsque l’on a le matériel nécessaire, on peut également faire du « hors les murs », l’activité peut se déployer ailleurs pour un temps (pour un festival par exemple). Cependant, on est toujours reliés à ces murs, même si on a cette nouvelle notion d’espace, on ne devient pas programmateurs d’applications. On est dans une culture du lieu physique dans lequel on évolue puisque c’est le support effectif de nos vies ! L’espace et l’habiter sont déterminants.
  • La coproduction. Le numérique facilite le travail collaboratif que l’on met en place avec les élus, les services, les habitants dans les processus de programmation. On est capable d’amplifier la démarche, de toucher plus de monde grâce aux enquêtes en ligne, d’organiser une forme de dialogue permanent (un blog par exemple) pour maintenir le lien entre les ateliers. L’avantage c’est qu’on peut tester de nouvelles technologies comme l’AR tout en sensibilisant à la transformation d’un lieu en visualisant les changements. Pour moi c’est ludique, ça reste de l’amorçage, mais il faut reconnaitre que le numérique est central dans les processus de travail
  • La formation. On développe avec Aptitudes Urbaines le e-learning pour notre réseau dans une forme qui peut profiter du format numérique pour l’échange. On est naturellement concernés, en veille sur toutes les solutions pour avoir les vecteurs les plus intéressants. On a d’ailleurs créé des supports pour l’agence nationale du renouvellement urbain. On œuvre à ce que cette formation devienne du blended learning.

De manière générale, il y a encore du chemin pour la reconnaissance de la profession et la mise en place de dialogues entre acteurs. Mais ça ne fait que refléter l’état du développement durable, de la segmentation, des rapports de force… On peut être considérés comme un baromètre dans l’aménagement de l’espace. Tant que la programmation aura une place partielle ça voudra dire qu’en réalité la question du développement durable reste partielle, diminuée.

Dossier de veille Ville Durable

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