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Guess What? Les Zèbres SONT des héros!

La Révolution de l’Ecole grâce aux DYS

Catherine Leduc

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Ceci n’est pas un pari sur l’avenir. Ceci n’est pas une prédiction lue dans le marc de café de ma machine à expresso, ce n’est pas une vision idyllique apparue un beau matin dans ma boule de cristal accrochée au plafond de ma salle de bains. Non, non! Je vous assure que je ne prends pas mes désirs pour des réalités! Ma réalité n’est peut-être pas celle de tout le monde, mais je ne l’échangerais pour rien … au monde!

Je vous l’affirme bien haut, la vraie révolution de l’école qui commence à bouillonner a de vrais héros. Ils n’écrivent pas de traité de pédagogie et ne passent pas à la télé, pourtant ce sont eux qui ont déjà tout changé. Les vrais héros de la révolution de l’éducation à la sauce des neurosciences, ce sont les DYS, les Zèbres et Zatypiques. Sans eux, les pauvres Freinet, Montessori et autres fameux précurseurs des pédagogies dites alternatives seraient restés des marginaux oubliés dans leur boîte en carton empoussiérée depuis les années 30. Pourquoi?

Souvenez-vous des histoires que vous racontaient vos parents…

Le héros est par définition un être à part, parfois étrange, toujours hors norme.

Le héros, par définition, ne sait pas vraiment qu’il est un héros, en tout cas au début de l’histoire. Il est même assez fréquent que le héros n’ait pas du tout envie d’être un héros. Ça lui tombe dessus sans qu’il n’ait rien choisi, il est bien obligé de faire avec.

Le héros est aussi celui qui souffre, qui en bave au milieu des gens normaux. La première raison en est qu’il est incompris et méconnus de tous. La deuxième raison procède de la grande difficulté des gens normaux à le reconnaître, non pas en tant que héros, mais en tant que personne au même titre qu’eux.

Le héros a ceci de particulier qu’il ressemble à première vue aux gens normaux, si bien qu’il est assez délicat de le reconnaître. Mettre une cape, une culotte rouge et un masque a pu être une option, mais mon petit doigt me dit que c’est assez stigmatisant tout de même, et pas toujours de bon goût, question assortiment des couleurs. Le héros moderne préfère user d’autres moyens moins voyants, ce qui rend sa reconnaissance plus ardue mais plus libératrice quand elle a lieu.

Le héros arrive à faire le bien de tous, malgré tous, à l’insu de tous, à commencer par lui-même. Mais il faut qu’il trouve des alliés qui comprennent la nature de sa force, alors il parvient à dompter sa force pour qu’elle serve à tous.

Certains prétendent qu’il n’y a plus de véritables héros aujourd’hui. Et bien, tenez-vous bien, ce n’est pas un ou deux héros que je vois. En réalité, ils sont des milliers, des millions sur la planète. Les estimations oscillent entre 2,5 et 5% de la population. Mes héros, ce sont les dys. Les dys-lexiques, les dys-phasiques, les dys-calculiques, les dys-praxiques…

Quand on y regarde bien, ils possèdent tous les traits caractéristiques du héros. Différents mais pareils, acculés à accepter leur condition, acculés à en baver jusqu’à ce qu’ils trouvent des alliés, heureux d’être reconnus comme de bonnes personnes, ils ont tous l’étoffe des héros. Beaucoup s’ignorent, beaucoup s’en veulent, beaucoup se cachent, beaucoup cherchent à se fondre dans le paysage de la normalité et s’y perdent en chemin. Ce n’est pas très étonnant tant il est difficile de saisir ce qu’est la normalité quand tous ceux qui se disent normaux sont d’une incroyable diversité. La planète des gens normaux est tout de même bien étrange…

Je vais vous révéler un secret de polichinelle. Il existe une planète invisible aux contours flous, cachée dans une quatrième dimension de l’espace Terrien. Les spécialistes l’appellent la planète DYS. Elle s’entoure d’une constellation d’astéroïdes dévissant parfois de leur orbite, et qui jaillissent à notre vue comme des OVNI. Les observateurs avertis savent maintenant les nommer. Ils les appellent HP (Haut Potentiel), TDA/H (Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité), TSA (Trouble du Spectre Autistique). Une petite galaxie existe parmi nous, invisible et souffrante, cherchant des alliés pour sauver…l’humanité.

Oh!oh! Ok, je me calme! Le pitch du héros sauveur de l’Humanité, ce n’est pas pour cette histoire. Sauver l’école, ce serait déjà pas mal quand même! Croyez-moi, c’est ce qu’ils font!

A côté de la galaxie DYS, pardon pour les fans, Krypton me semble un peu ridicule. Superman est quand même le seul survivant d’une planète pas très excitante, alors que DYS enfante génération après génération des milliers et des milliers d’individus dotés de vrais super-pouvoirs. Mais, on ne le sait pas. Pire, on veut les parquer dans des ghettos ou les claque-murer dans leurs soit-disant incompétences terriennes.

Il existe encore aujourd’hui un secret que les spécialistes et observateurs avertis de la planète DYS essayent vaillamment de révéler à la société. Petit à petit, avec le bouche-à-oreille, ce secret devient une rumeur qui enfle, mais il se diffuse encore sous le manteau, en chuchotant.

Dans les milieux officiels, on se contente de lâcher des communiqués laconiques reconnaissant l’existence de cette étrange planète. Ces mêmes communiqués en minimisent systématiquement l’importance et cherchent à marginaliser ses habitants, car il ne faudrait tout de même pas faire peur à la ménagère de moins de 50 ans nageant dans le bonheur de la consommation en masse. Il vaut mieux pour notre société que les minorités aux marges des courbes de Gauss de la normalité restent des marginaux, asociaux, éventuellement distrayants, si le but est de maintenir à tout jamais cette société à l’image des trente glorieuses.

Pourtant, aujourd’hui, les milieux officiels sont bien embêtés car ils se rendent compte que leurs communiqués ne vont pas endiguer la vague qui pointe le bout de son nez. Pour l’instant, ils ne changent rien, ils sont juste bien embêtés. Comment dealer avec la science, se disent-ils… Comment faire oublier cette montagne de connaissances accumulées par tous ces chercheurs en neurosciences, cherchant à comprendre le cerveau? Comment freiner tous ceux qui veulent changer les humains-robots en hommes intelligents en leur proposant une meilleure éducation? La solution de la marginalisation reste la meilleure option visiblement. Ils ont aussi un plan parallèle pour décrédibiliser les neurosciences. Laisser occuper le terrain par les tenants du transhumanisme est un excellent moyen pour faire peur aux braves gens ou les faire s’en détourner en se gaussant du scientifique fou. Le risque est pris, de toute façon. Let’s wait and see, n’est-ce pas?

Les habitants de la planète DYS sont des héros depuis plus de 20 ans. Ils sont les héros involontaires et invisibles d’une longue et lente marche vers la connaissance des principes fondamentaux de l’apprentissage chez les êtres humains. C’est parce que la planète DYS a été identifiée dans les télescopes des chercheurs que des modèles explicatifs de plus en plus élaborés ont pu émerger. C’est en étudiant ces drôles de cerveaux pas comme les autres qu’ils comprennent de mieux en mieux comment le cerveau fonctionne en général. Pendant tout ce temps, les dys, HP, TDA/H et TSA ont continué à vivre comme des extraterrestres montrés du doigt, parfois rejetés et violentés, mais ils ont commencé à trouver des alliés. Les plus impliqués d’entre eux ont été les orthophonistes. Pardon d’avoir l’air de tirer la couverture à moi, mais je n’ai pas choisi mon métier par hasard. Après les parents, les meilleurs alliés au quotidien des DYS et autres Zèbres sont les Zorthos depuis que les Zorthos Zexistent.

J’ai la chance extraordinaire d’être à la fois une observatrice privilégiée de cette planète et d’en faire partie. Je suis une HP mâtinée d’un bon nombre de traits autistiques (pardon les pro, je sais que vous n’aimez pas du tout cette locution), et pourtant je prends en charge des patients souffrant de troubles de la communication. J’ai fini par me rendre compte de cette situation parce que j’ai pu choisir d’être le meilleur allié de moi-même. Ce que je vois aujourd’hui me réjouis et m’énerve en même temps, mais je mets ma main à couper qu’il faut parier sur la galaxie DYS!

Haut les cœurs! Les Zèbres de demain seront les Dieux du stade!

Il est temps maintenant de révéler les super-pouvoirs de ces héros qu’on qualifie pourtant d’handicapés. Vous aimez les histoires de pirates?

Le pirate d’antan avait une jambe de bois, un crochet à la place de la main, un cache-œil sur l’orbite énucléé. C’était un hideux handicapé pillard pour son unique profit. C’était le vilain chasseur de butin qu’on adore malgré tout quand il est rusé, intelligent et qu’il oblige le nanti à rendre ce qu’il ne mérite pas de posséder.

Le pirate moderne est un hacker. Il est geek. Il est le jeune surdoué qui entube la NSA. Il est le révélateur des secrets que les très grands vilains cherchent à tout prix à garder pour continuer leur vilaine entreprise de domination du monde. Le héros moderne est un pirate.

Imaginez que les Dys sont des pirates. Imaginez que la planète DYS toute entière est une gigantesque entreprise de piraterie. Quel sera le butin? Qu’est donc le butin de ces héros modernes? L’école est le premier lieu de leur entreprise de piraterie, et je veux vous montrer que ces pirates seront vos héros.

Vous vous souvenez de Star Wars…

Quand un DYS va à l’école, il se fait très vite remarquer. Il est impossible de ne pas se rendre compte qu’il n’apprend pas comme les autres. La réaction la plus fréquente, il y a quelques décennies, était de le mettre au placard avec les “débiles”. Fort heureusement, l’école a compris que cela n’était plus possible, grâce à l’action de tous les alliés de la planète DYS. Il va falloir encore pousser un peu plus le mouvement pour les astéroïdes-autistes, leur cas est franchement honteux. Mais l’exemple des dyslexiques montre que la triple alliance scientifiques-parents-acteurs de terrain peut être efficace pour obliger l’école à intégrer ses enfants différents. J’ose espérer qu’il ne viendrait plus jamais à l’esprit d’un enseignant de considérer un élève dyslexique comme un attardé mental. Pour en arriver là, il a fallu toutefois user d’un stratagème avec effet pervers. Pour obtenir la reconnaissance des DYS dans l’école normale, il a fallu surfer sur la loi de 2005 obligeant le système scolaire à accueillir en son sein de la manière la plus inclusive possible tous les enfants porteurs de handicap. Les dys ont donc du accepter l’étiquette du handicap.

C’est à ce moment que l’effet pirate commence. Entrer par effraction dans l’étoile noire pour la faire imploser….

Les DYS et autres Zèbres n’ont pas besoin d’être inclus dans l’école normale puisqu’ils sont déjà dedans! Ce sont tous des enfants en apparence normaux, sans culotte rouge ni jambe de bois, qui commencent leur carrière d’élèves comme n’importe quel autre enfant. Ils sont dans la classe, donc dans la place, et il faut bien s’en occuper. Pour y rester, pour qu’on veuille bien s’intéresser à leurs besoins particuliers, les DYS et leurs parents n’ont pas eu d’autre choix que d’accepter cette étiquette. Il y a beaucoup d’inconvénients à ce stratagème à titre individuel: la lenteur du processus de reconnaissance, la stigmatisation, la violence renforcée, la douleur de se vivre comme amputé.

A titre collectif, ce stratagème se met à fonctionner de mieux en mieux. L’école et les maisons dédiées aux handicapés (chères MDPH…) se retrouvent débordées par l’afflux de demandes de reconnaissance du Handicap Invisible Pirate, autrement appelé trouble spécifique des apprentissages. Face à ce déferlement de dys étiquetés dans chaque école (statistiquement 1,5 élève dys par classe de 30), il y a deux grands courants dans le milieu scolaire.

Je ne peux contester la tendance assez forte de vouloir circonscrire drastiquement le champ de handicap, voire une tendance à nier la véracité du trouble. Il n’est pas rare t’entendre des voix mettre en doute l’existence même des troubles neuro-développementaux. Dans ce courant, la branche dure considère que la dyslexie ne serait qu’une invention pour tirer au flanc, bien pratique pour être tranquille, et surtout bien pratique pour les parents. Car, bien évidemment, la dyslexie serait un très bon moyen de se défausser de ses responsabilités parentales quand le gamin est nul à l’école. Bon, ils oublient un peu de regarder qu’avoir un enfant dys, sur la planète TERRE dans le petit pays FRANCE dans l’école de la République, c’est franchement pas du gâteau! Malheureusement, on aurait beau faire des milliers d’émissions Vie ma vie de parent d’enfant autiste, dyslexique, hyperactif etc.. que cette branche dure ne changerait rien à son opinion! Parce que cette branche dure, canal historique, préfère avoir des opinions plutôt que de lire des articles scientifiques… Soit.

Mais, dans le même temps, une frange minoritaire d’enseignants s’est penché très sérieusement sur la question des aménagements pédagogiques nécessaires aux progrès de ces petits pirates. Ils ont décidés de se former et de transformer leur pratique pédagogique. Par un deuxième effet pirate, cette frange d’enseignants pionniers a été contaminée par la démarche des scientifiques. Ils ne pouvaient que se rendre à l’évidence que chercher à comprendre comment apprennent les DYS revient à chercher à comprendre comment le cerveau fonctionne en général. Figurez-vous qu’ils se sont rendus à une autre évidence encore plus époustouflante! Tous les pionniers que j’ai rencontrés me l’ont dit avec une émotion palpable, épatés d’avoir ouvert la boîte de pandore et découvert le trésor. Tous disent, ébahis:

“C’est extraordinaire! Tout ce que je propose pour mon dys dans ma classe, ça marche pour tous les autres! Même les plus en difficulté!”

Personnellement, j’adore ce moment de l’histoire où le changement d’échelle arrive, et où le fléau de la balance “destinée” bascule. J’espère que vous allez aimer vous aussi!

Le problème de tous ces élèves auxquels on prête des besoins pédagogiques particuliers est qu’ils font rétorquer aux professeurs, en général, qu’ils ne peuvent pas individualiser l’enseignement. Si on s’arrête à cette assertion, on imagine qu’ils ont raison. Ils sont la raison. L’enseignement à l’école est pensé à titre collectif, pas du tout individuel. Sauf qu’il suffit de leur montrer qu’il ne s’agit pas de besoins particuliers. Sauf qu’il suffit de leur monter que ce qu’ils envisagent comme une particularité, une exception, n’est en réalité rien d’autre qu’une variable commune. Quand je dis “il suffit”, je ne dis pas que c’est facile. Je dis qu’il suffit de le démontrer par l’expérience. Les chercheurs en neurosciences nous disent tous la même chose: la variabilité du cerveau humain, et donc de l’apprenant, représente davantage la norme que l’exception.

La variabilité du cerveau humain représente davantage la norme que l’exception.

Que faire avec cette idée, si ce n’est d’arrêter d’envisager la pédagogie en terme de norme et d’exceptions?

Voilà que débarque au Québec la conception universelle de l’apprentissage. Regardez cette petite vidéo, cela vaut mieux qu’un paragraphe. C’est le design de l’inclusion qui gagne, parce qu’il se propage, et qui va gagner parce qu’il montre que ça marche.

Les Dys sont dans la classe, dans la place. Et ils vont y rester. Confondre le trouble avec le handicap est une ineptie. On ne peut pas guérir de dyslexie, d’autisme, ou d’hyperactivité. On peut au mieux en minimiser les symptômes, mais on le reste jusqu’à la fin de ses jours. Il ne suffit pas que le trouble existe pour qu’il y ait handicap. Le handicap naît aussi de l’environnement. Si on veut minimiser le handicap, c’est aussi et surtout l’environnement qu’il faut modifier. Quand on modifie l’environnement pour que les Dys apprennent, tout le monde apprend. Quand on met des couleurs dans les cahiers, des polices de caractères pondérées et aérées, quand on fait des cartes mentales, quand on fait des dictées à trous, quand on permet aux bons lecteurs de lire les consignes aux mauvais lecteurs, quand on permet aux “bons élèves” d’expliquer aux moins bons comment ils font, quand on multiplie les modalités d’expression des habiletés, quand on abandonne l’évaluation normative pour une évaluation formative, tous les élèves apprennent, même les meilleurs!

Les porteurs du Handicap Invisible Pirate ont un seul super-pouvoir, mais non des moindres: ils poussent l’école, aujourd’hui, et la société toute entière peut-être, vers un AVENIR.

Rien n’est plus stérile que la sclérose. Rien n’est plus excitant que l’imagination. Mes pirates sont mes héros parce qu’ils forcent l’imagination de tant de gens a priori sclérosés dans leurs idées toutes faites. Mes pirates sont mes héros parce qu’ils bousculent les idées préconçues et deviennent des moteurs. Mes pirates sont mes héros parce qu’ils nous emmènent vers demain.

Demain sera réellement divergeant, inclusif, et créatif si l’école parvient à inclure tous les enfants, si elle parvient à se transformer en un environnement pour les apprentissages, avec toute la richesse et la diversité qu’un environnement vivant peut offrir. Si elle commence par devenir la meilleure alliée des Zèbres, nous allons tous y gagner!

J’ai beaucoup pensé en écrivant ce texte à Céline Alvarez, François Taddei, Idriss Aberkane, Franck Ramus, car leur travail de communication est admirable, inspirant et absolument nécessaire. Lisez-les! Suivez-les si ce n’est déjà fait!

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Catherine Leduc

Passionnée idéaliste en quête de sens et d’énergies. J’aime les renards et les petits princes #utopieréaliste (et j’adore mon métier d’orthophoniste!)