À Montrouge, dessine-moi une ville !

Céline Autin
6 min readOct 1, 2019

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La carte OpenStreetMap Montrouge permet de se promener dans la ville comme si on y était ! | Capture d’écran Mapillary

Des arbres aux poubelles, des boîtes aux lettres aux boîtes à livres, rien ne leur échappe : quatre Montrougiens mettent leur ville en carte avec le projet collaboratif OpenStreetMap et le font connaître sur Twitter avec le hashtag #OpenDataMontrouge. Ou comment tenter de repousser les limites de la carte, en regardant autrement Montrouge.

« Tiens, on a oublié un banc ici ? ». François tape vivement l’information sur son téléphone portable. Devant lui, le parc des États-Unis de Montrouge baigné par le soleil, et plusieurs bancs en bois le long d’un sentier. Un aménagement qui avait échappé à François. Pour lui, ça n’est pas rien, un banc de plus dans une ville qu’il connaît comme sa poche. Et pour cause : François est un « Open street mappeur » méticuleux, un contributeur montrougien au projet mondial de cartographie participative OpenStreetMap. Son but ? Créer une carte du monde entièrement libre de droit, utilisable et modifiable par tous. Un banc, c’est donc un élément de plus à placer sur la carte qu’il est en train de construire avec trois autres Montrougiens.

« Mon obsession, c’est les parcmètres »

Baskets aux pieds, François aime se balader à Montrouge pour en cartographier les moindres aspects. « Il faut sortir, passer du temps sur le terrain et vérifier les informations qu’on a » explique le trentenaire, un brin maniaque. Rien de plus normal donc, que de le voir arrêté dans la rue pour prendre des photos, par exemple, des bornes incendies. « La question c’est : qu’est-ce qu’on peut faire de ça ?, explique François. On peut par exemple collecter les numéros de référence pour essayer de comprendre la structuration du réseau, et l’intégrer à la carte. » Pour obtenir la liste complète des bornes incendie, François envisage d’écrire aux pompiers de Paris.

Rien n’est laissé au hasard, car tout peut devenir matière à alimenter la carte. Le défi, pour François, c’est qu’« il y a tout le temps des nouvelles choses à ajouter sur Montrouge. La mairie est très active sur les aménagements urbains. Les bacs de jardins partagés, les bornes de recharge électrique, les caméras de surveillance : c’est sans fin. » Pas de quoi doucher son enthousiasme pour autant, car Montrouge n’est qu’un rectangle de deux kilomètres carrés : « à quatre, on est suffisamment nombreux pour une surface relativement petite, insiste François. Il y a de l’émulation qui se crée. »

En un peu plus d’un an d’activité à Montrouge, les quatre contributeurs ont ainsi recensé les bâtiments publics, listé les commerces et les parcs, fait le tour des lignes de bus et du métro, répertorié les places de stationnement. Mais ils ont aussi inventorié les boîtes à livres de la ville et sont en train de dénombrer les poubelles. « Chacun a son obsession », explique François. « Moi, c’est les parcmètres [197 recensés jusque là]. Pour un autre contributeur, ce sera les voies cyclables et les parkings pour les deux roues, parce qu’il fait beaucoup de vélo. » Les quatre cartographes, tous bénévoles, se rencontrent parfois physiquement, mais leur conversation se fait surtout par écrans interposés, pour faire le point sur leurs avancées respectives et établir le plan de bataille suivant.

Sur la carte OpenStreet Montrouge, rien n’est laissé aux hasard | Capture d’écran osmontrouge.fr

L’équipe compte un doctorant en physique, un cartographe professionnel et un professeur d’informatique, tous passionnés par l’Internet libre et collaboratif. François, lui, est développeur. Il travaille à distance, et organise ses sorties cartographiques comme il l’entend. OpenStreetMap, il est « tombé dedans » en voulant corriger le nom d’un restaurant de la ville. Puis en continuant morceau par morceau, jusqu’à s’apercevoir que le projet passionnait trois autres Montrougiens. Il s’est alors mis à organiser des « cartoparties » : des virées thématiques dans la ville, à plusieurs, pour cartographier Montrouge.

Fact-checking et transparence

La dernière victoire en date du groupe ? Les sacs à déjections canines. « Ils n’étaient pas au bon endroit sur les plans de la mairie, détaille François, sourcils froncés. En plus, on en a trouvé 31, au lieu des 27 annoncés par leurs services. » Les sacs sont désormais correctement placés, à la plus grande satisfaction de François. « Ce qu’on fait, c’est du fact-checking, sourit-il. Il y a un nombre important d’objets qui ne sont pas bien comptabilisés, ou bien on ne sait pas où ils se trouvent précisément, comme les sacs pour crottes de chiens. » Idem pour les pistes cyclables : « la mairie communique sur le sujet et avance un nombre de kilomètres de pistes qu’on a pu vérifier par nous-mêmes ». OpenStreetMap pour François, c’est un peu comme le dirait Borgès, « l’art de la cartographie poussé à la perfection » : il ne se sent jamais aussi heureux que lorsqu’il parvient à corriger ou compléter des données manquantes.

Les « Open Street Mappeurs » montrougiens partagent régulièrement leurs avancées sur Twitter | Capture d’écran @OSMontrouge

Pour atteindre cette perfection, le groupe s’appuie sur les données déjà disponibles. « Au début, raconte François, on est partis des renseignements de la mairie. Personnellement par exemple, je trouve le Montrouge Mag’ [le magazine de la ville] très bien fichu, c’est une mine d’informations sur les travaux en cours. » Seulement les plans varient, les espaces sont revus et corrigés par les chantiers, les promesses tenues plus ou moins rapidement. Les « Open Street mappeurs » sont donc à l’affût de tout ce qui change à Montrouge. « Cet été, le soir même où la mairie a inauguré les allées Jean-Jaurès, on était là, se souvient François. On a tout de suite commencé à compter les arbres et les bancs ». Pour assurer la suite de leur projet, le groupe voit plus grand : « La mairie ne publie aucune base de données, c’est complètement contraire à la loi sur la République numérique. L’objectif, c’est de leur demander l’ensemble des documents administratifs, qui sont légalement communicables et consultables par tous. »

Le groupe a donc envoyé des courriers à la mairie, parlé brièvement de leur projet au maire lorsqu’ils l’ont croisé dans la rue, sans plus de résultats. Jusqu’à cette rentrée de septembre, où ils ont enfin obtenu une réunion avec les services municipaux : « Ils ne savent pas à quoi s’en tenir avec nous, on est des aliens pour eux, sourit François. Pourtant c’est un super moyen de promouvoir leur politique ! Ils annoncent qu’ils vont doubler le nombre d’emplacements de parking vélo, ils pourraient le prouver facilement avec notre carte. » Dans sa quête de précision, il espère pourtant compter sur des échanges d’information : « Si la mairie annonce qu’elle vient d’installer 350 nouvelles poubelles, c’est qu’elle doit bien savoir où elles sont, ces poubelles. »

Sur les utilisateurs de cette carte collaborative montrougienne, François sait peu de choses. « Géovélo, un GPS pour vélo, se fonde sur les données d’OpenStreetMap, décrit-il. Il y a aussi pas mal d’entreprises qui les utilisent [notamment depuis 2018, quand Google a commencé à faire payer ses services de cartographie jusque-là gratuits]. L’outil est libre et ouvert : n’importe qui peut utiliser ce qu’on fait, à des fins commerciales ou non. » Pour François, l’important est ailleurs. « On n’a pas de panneaux biches [les panneaux de signalisation sur le passage d’animaux sauvages, très appréciés dans la communauté OpenStreetMap] mais des impasses et des voies piétonnes rarement recensées par d’autres services de cartographie. » Le bonheur pour ce défricheur compulsif, qui veut maintenant faire connaître OpenStreetMap Montrouge : avec les autres contributeurs du groupe, il lance le « mois de l’open data » sur les réseaux sociaux. Chaque jour pendant un mois, les « Open Street Mappeurs » mettent en valeur un élément de leur carte, pour « montrer ce qu’on peut faire, et surtout montrer qu’on construit des communs utiles à tous ». Et pourquoi pas, susciter des vocations, à Montrouge ou ailleurs en Île-de-France.

Céline Autin

Cet article est écrit dans le cadre du programme d’immersion du Master 2 de l’École de journalisme de Sciences Po.

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