HARCÈLEMENT MORAL ET SEXISME DANS LA PUBLICITÉ

Claire Maoui-Laugier
8 min readMar 6, 2019

--

©Getty Images

Bien que j’ai l’impression de le connaître à travers tout ce que j’ai pu entendre à son sujet ces dernières années, je ne connais pas personnellement Baptiste Clinet.

C’est la raison pour laquelle je n’ai pas partagé l’article qui le concerne. Je n’aime pas particulièrement l’idée de tirer sur une ambulance ni de nuire davantage à la réputation de quelqu’un que je ne connais pas vraiment.

Cependant, je dois avouer que (comme beaucoup d’entre nous, à en croire les bavardages enflammés à ce sujet depuis deux jours) cet article a déclenché chez moi une certaine forme de jubilation, mêlée à une profonde indignation, qui jusqu’alors demeurait enfouie.

Jubilation, non pas de voir la réputation d’un homme salie (je veux dire, encore plus qu’elle ne l’était déjà), mais de constater que les Walt Disney ne nous ont pas menti : tout se sait, tout se paye, et les méchants finissent toujours par tomber.

Si je ne suis pas spécialement animée d’un esprit de vengeance, je n’en ai pas moins soif de justice.

Qu’il est doux, de la sentir lentement se pointer, et comme ça va être bon, quand cette dernière s’étendra à la jolie petite brochette d’ordures qui n’a pas encore été citée.

Rassure-toi Baptiste, tu ne seras bientôt plus tout seul.

Car, ne nous mentons point : Baptiste Clinet est l’arbrisseau qui cache la forêt des trous du cul.

Ces trous du cul qui sévissent, à découvert et en toute impunité depuis tant d’années.

Ces trous du cul qui nous agressent, nous harcèlent, nous intimident, nous terrorisent, nous méprisent, nous les femmes, mais pas que.

Ces trous du cul qui assument leur connardise, voire même, qui la revendiquent.

Ces trous du cul qui se croient au-dessus de tout et au-dessus des lois.

Puisque je ne me sens pas la légitimité de parler de ceux que je ne connais pas, je vais parler ici de ceux que je connais.

Genre Farid Mokart, par exemple. Et ses quelques petites perles, dont, en vrac :

« Tu sais pourquoi je t’ai embauchée ? Parce que tu es une sous-merde. Oui. Ne me regarde pas comme ça avec ton air de bourge offusquée, c’est la vérité. Ta gueule. Baisse les yeux quand je te parle. Tu as été un moment en free et tu viens d’avoir un bébé : tu n’es donc personne. En arrivant ici, tu vas être obligée de te redéfinir. Je vais t’y aider, je vais tout t’apprendre. Ça te changera de ton ancienne agence de merde. BETC, c’est le McDo de la pub, moi je suis un petit étoilé numéro un au Michelin, les clients font la queue devant chez moi. C’est bon là ? Je t’ai bien mis la pression ? ».

« Le client est ravi des films, il t’a-dore. Il te trouve « super », « incroyable »… Je sais pas ce que tu lui as fait, mais bravo. Même si de toute évidence, il va de soi que la considération qu’il te porte n’a rien à voir avec tes compétences professionnelles. »

(S’adressant un collègue à mon sujet, un jour où j’avais mis un décolleté) : « De toutes façons, elle peut faire tous les efforts qu’elle veut pour attirer l’attention : plus personne ne s’intéresse à elle depuis qu’elle a enfanté. »

La liste de ses sarcasmes et agressions quotidiennes est longue et j’avoue m’être empressée d’en oublier la plupart en quittant cette agence infernale.

Sans parler de toutes les scènes abjectes dont j’ai été témoin, à l’égard de filles de mes équipes notamment. L’une, qu’il a fait pleurer tous les jours pendant trois semaines d’affilée en prétextant que c’était pour son bien. L’autre, tordue de convulsions, en crise d’épilepsie sur le carrelage de la cuisine…

Quelle tristesse, d’entendre ces mêmes filles, quelques semaines plus tard, lui pardonner et lui donner raison, car : « C’est vrai qu’à la réflexion, ma reco n’était pas assez bonne. » ou : « Il m’en a fait baver, c’est vrai, mais au final il a quand même gentiment accepté de signer ma rupture conventionnelle. » (Oui, car Farid sait aussi être super sympa, sinon c’est pas drôle. Souffler le chaud et le froid, c’est son dada. Le lundi je t’anéantis, le mardi, je me la joue grand prince).

Sans parler non plus de la misogynie ambiante qui règne au sein de cette agence et du flot de blagues sexistes à souhait (même pas drôles) entendues dans les couloirs ou postées quotidiennement sur le WeChat du groupe.

Enfin, sans parler de la médiocrité, du harcèlement et de la terreur entretenus par l’ensemble des managers, sous pression permanente eux aussi.

Si j’écris ces lignes — et si je les écris (que) maintenant, ce n’est pas pour profiter de la polémique (d’ailleurs, j’ai bien conscience que je ne vais pas me faire de copains), mais parce que je réalise seulement maintenant, en lisant cet article du Monde et en voyant les réactions qu’il suscite, à quel point tout ce harcèlement est banalisé.

Qui a appris quelque chose en lisant cet article ? Personne. Le comportement de Baptiste Clinet était connu de tous.

De la même manière que les personnes parmi vous qui ont fréquenté Farid de près ou de loin ne seront pas surprises par les propos que je rapporte ici.

C’est comme ça depuis des années, et on a toujours fait avec. Que ceux qui veulent éviter ces mecs-là passent leur chemin et que ceux qui ont le malheur de tomber dans leurs filets prennent sur eux.

D’ailleurs, à part à quelques amis pour relâcher la pression autour d’un verre ou à ma famille proche qui m’a vue lentement sombrer quand j’étais là-bas, je n’en ai parlé à personne. Même pas à Farid. On s’est quittés en très bon terme. J’ai prétexté que j’avais un projet perso et je l’ai joué fine pour qu’il accepte de me signer une rupture conventionnelle le plus rapidement possible aux conditions qu’il voulait pour ne plus jamais voir sa tronche.

C’était pourtant pas faute d’avoir un kilomètre d’insultes WeChat toutes prêtes pour le fumer aux Prud’Hommes, mais je n’en ai eu ni la force, ni le courage.

Comme tous les égocentriques, s’il lui arrive de penser de temps en temps à nous, les « anciens », il doit s’imaginer combien nous lui sommes reconnaissants, s’attribuer indirectement nos succès ultérieurs et se féliciter de nous avoir tout appris.

Lol.

À peine partie, j’ai retrouvé le moral, la santé et mes valeurs. Mais pendant de longs mois, j’ai douté de moi, de ma force, et de mes capacités et ce, malgré la réussite de mes projets et la bienveillance de mes nouveaux interlocuteurs.

Je pensais :

Certaines personnes semblaient beaucoup mieux encaisser les coups que moi là-bas, suis-je trop faible ?

Comment des gens ont tenu 10 ans ? Pourquoi tout le monde là-bas semble vivre cela comme si c’était la normalité ?

Comment font-ils pour que cela semble leur glisser dessus ?

Suis-je la seule à considérer que se rendre au travail ne devrait pas consister à se prendre seaux de vomi sur seaux de vomi ?

Pourquoi semblent-ils tous aussi dévoués quand ses agissements ne peuvent inspirer que du mépris ? Est-ce moi qui ai un problème avec l’autorité ?

Est-ce que, si je m’y étais prise différemment, j’aurais réussi à obtenir l’augmentation d’un tel ou une once de gratitude pour telle compétition gagnée ?

Pourquoi ai-je été la seule personne qui a été choquée quand il a dit ci ou fait ça ?

Si personne ne m’a défendue quand il m’a dit ça, c’est peut-être que ce n’était pas si grave et c’est moi qui m’offusque pour un rien ?

Ai-je perdu mon sens de l’humour ?

J’ai fini par en conclure que ça ne servait à rien d’aller chercher midi à quatorze heures : je n’étais tout simplement pas faite pour cette boite. J’avais eu le courage de la quitter et c’était très bien. J’avais fait ce qui était bon pour moi. S’il veut continuer à maltraiter des gens ou que des gens acceptent de se faire maltraiter, après tout c’est leur problème et cela ne me concerne plus.

J’ai aussi ressenti beaucoup de pitié pour lui. Je me suis souvent demandé quelle genre d’enfance il avait pu avoir pour être devenu aussi stressé, pervers, colérique, toxique et manipulateur.

J’ai bien évidemment appris par la suite qu’en fait si, tout le monde avait été traumatisé par tel ou tel épisode, que non, personne ne vivait ça bien et que les gens n’en pouvaient plus. Entre ceux qui partent de leur plein gré, ceux qui se font lourder comme des merdes, ceux qui rêvent de s’émanciper mais qui n’y parviennent pas, ceux qui perdent dix kilos en six mois, ceux qui perdent leurs cheveux, ceux qui perdent leur assurance, ceux qui perdent leur joie de vivre et ceux dont la vie privée est un abîme : les ravages physiques et psychologiques sont bel et bien là.

Tout le monde se lamente en off mais personne n’ose agir vraiment, pour les mêmes raisons que moi quand je suis partie : la peur, le doute, le manque de force ou de courage et aussi, le sentiment que cela sera inutile puisque cela dure depuis tant d’années et que de toutes façons, ils s’en sortent toujours.

Aujourd’hui, je réalise que cet état de mal-être était non seulement lié au fait que mes valeurs étaient aux antipodes de celles de cette société, mais surtout que « les valeurs » de cette dernière sont abjectes et doivent être dénoncées et punies une bonne fois pour toutes si nous voulons que cela cesse.

Amis publicitaires, dites-moi si je me trompe (pour ceux qui oseront se mouiller — les autres, je ne vous blâme pas, vous me comptiez encore parmi vous hier) mais nous savons pertinemment que si certaines agences ont la réputation d’être plus cool que d’autres, quelques-unes d’entre elles sont réputées pour être particulièrement malsaines (humainement, vis-à-vis des femmes…) et tout le monde sait parfaitement desquelles il s’agit.

Je ne crois pas connaître d’agences (ou d’entreprises, plus généralement) où le harcèlement n’existe pas, ce qui est déjà regrettable. Seulement, les quelques cas de harcèlement que l’on peut pointer dans la plupart des agences ne sont pas forcément représentatifs de « l’esprit » de ces dernières.

Or, quel est le point commun de cette petite poignée d’agences toxiques auxquelles je fais allusion ?

Leurs dirigeants, à l’égo surdimensionné et aux souffrances intimes mal gérées, qui ont tous une revanche de merde à prendre sur la vie (ou sur les femmes), soit parce qu’ils ont été pauvres, soit parce qu’ils sont rebeu, soit parce qu’ils se sont pris des zefs en 3ème B (soit les 3).

Allez consulter les gars.

Ces dirigeant(e)s dont tout le monde se plaint mais que personne ne dénonce, vraiment, ouvertement.

Ces dirigeant(e)s dont trop de gens ont encore peur alors que ce devrait être l’inverse.

Ces dirigeant(e)s dont l’odieuseté et la malveillance s’écoule insidieusement et de manière pyramidale au sein des agences, détruisant des gens, parfois même des vies.

Ces dirigeant(e)s qui ferment les yeux sur les agissements de leurs subordonnés, et qui se taisent (quand ils ne les couvrent pas).

Et, de victimes en victimes,

de burn out en burn out,

de turn over en turn over,

l’histoire se répète indéfiniment.

STOP.

Dieu merci, ces odieux personnages ne sont pas si nombreux que ça.

J’aimerais saluer ici mes amis et collègues, tous les hommes merveilleux que je croise tous les jours dans ce métier (et ailleurs) et qui dénoncent ouvertement ces comportements.

Ces hommes qui savent rire sans être gras et flirter sans être lourds.

Ces hommes qui nous considèrent et nous respectent, tout simplement.

Merci d’exister.

Je suis enceinte. D’une petite fille.

Je lui souhaite, plus tard, d’être entourée d’hommes comme vous ♥️

--

--