NUMÉRIQUE : QUELLES COMPÉTENCES NÉCESSAIRES POUR LES PROFESSIONNELS DES MUSÉES ?

{CORRESPONDANCES DIGITALES]
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8 min readOct 22, 2018

Engagés depuis une trentaine d’années dans la transition numérique, les professionnels du secteur ont prouvé de longue date leur maturité en la matière. Pas toujours reconnues à leur juste valeur, les compétences de ces professionnels peuvent s’enrichir d’outils et de méthodologies utilisées dans d’autres secteurs. En réalisant ce constat, {CORRESPONDANCES DIGITALES] a vocation à former et à accompagner ces professionnels dans leurs montées en compétences.

Un engagement de longue date dans le numérique

Les musées n’ont pas encore effectué leur transition vers le numérique. Ce poncif, souvent relayé dans les médias, ne reflète malheureusement pas une réalité beaucoup plus complexe. Parmi les 1 200 musées de France, nombreux sont ceux qui se sont engagés de longue date dans un ensemble de projets innovants.

Dès 1995, un catalogue des collections numérisées des musées de France a été mis en ligne : la base Joconde. Ce portail des collections publiques, accessible à tous sur le web, est, à ce jour, composé de plus de 445 000 notices accessibles à tous.

La base Joconde, portail des collections numériques des musées de France s’enrichit régulièrement depuis 1995

Cet engagement s’est poursuivi avec la création d’une première génération de sites internet « grand public » dans les années 90, à l’instar, par exemple, de celui du Louvre. En 2018, la présence en ligne des établissements culturels est désormais avérée et les usages suivent. Selon une récente enquête du CREDOC, 44% des Français ont utilisé Internet en lien avec leurs visites patrimoniales dans l’année.

Le premier site web du Musée du Louvre date de 1995.

En complément du web et ce, dès le début des années 2000, les réseaux sociaux ont rapidement été intégrés par les professionnels du monde muséal. Le Muséum et les Abattoirs de Toulouse ont été ainsi précurseurs sur Facebook et Twitter. A ce sujet, un baromètre de suivi des progressions sur les réseaux sociaux des musées et monuments français a d’ailleurs été créé par le Club Innovation et Culture.

Baromètre sur l’engagement des établissements patrimoniaux publié mensuellement par le Club Innovation et Culture

Enfin, depuis une vingtaine d’années, un ensemble de dispositifs accessibles en ligne, en mobilité ou physiquement dans les musées viennent enrichir les actions de médiation ayant cours dans ces établissements. Quelques exemples de projets récents à consulter sur le site de veille de Correspondances.

Une veille régulière est réalisée sur le site de {CORRESPONDANCES DIGITALES]

Sans succomber à une vision angélique ou idyllique (beaucoup de projets sont encore à mener !), les professionnels du monde muséal ont acquis un ensemble de compétences solides et avérées dans la conception et l’animation de projets à composante technologique. Ces compétences sont quelquefois malheureusement peu reconnues en interne et par les médias.

Gérer un projet numérique : Quelles compétences nécessaires ?

Avec plus de 30 ans d’implication dans des projets à composante numérique, un ensemble de compétences et de pratiques ont été ou sont intégrées par les professionnels du monde muséal et patrimonial.

Des compétences en gestion et en coordination de projets

Bien que l’organisation de leurs établissements soit parfois cloisonnée, les professionnels du monde muséal ont, d’ores et déjà, l’habitude de travailler de concert et en transversalité. Monter une exposition, travailler sur des projets de valorisation des collections sont autant de projets qui nécessitent, pour être menés, d’importantes collaborations entre différents métiers : conservateurs, documentalistes, archivistes, médiateurs, muséographes, communicants…

Mettre en œuvre un projet numérique mobilise, finalement, les mêmes réflexes, les mêmes outils et les mêmes types de compétences de coordination et de pilotage. Elles peuvent être, néanmoins, enrichie par l’intégration de nouvelles méthodologies issues des domaines de l’informatique, du design ou du conseil tels que l’approche Agile, le design thinking, l’UX design… Ces outils méthodologiques ont, notamment, pour particularité de recentrer les approches sur les publics.

A titre illustratif, les équipes de la Monnaie de Paris en collaboration avec l’agence Du&Ma ont conçu 45 dispositifs numériques pour le parcours de médiation du 11 Conti. La façon dont ce projet a été mis en œuvre est tout à fait inspirante. Un site internet dédié à ce projet revient sur cette collaboration.

Le site du projet du 11 Conti retrace l’implication de l’agence Du&Ma et du 11 Conti dans la création d’un parcours muséographique intégrant différents dispositifs numériques d’une diversité et d’une richesse exemplaire.

Des compétences en production et en administration de contenus

Les professionnels du monde muséal, de par les missions qui sont confiées à leurs établissements, sont, de fait, experts dans la création et la valorisation de contenus documentaires et de médiation.

Conservateurs, médiateurs, documentalistes, archivistes, gestionnaires de communauté forment autant de métiers dont la légitimité est certaine dans la production et la diffusion de savoirs.

Développer un projet numérique de médiation nécessite donc ce type de compétences déjà présentes dans les établissements.

Cependant, l’appréhension des usages des publics, notamment en mobilité, nécessitent une approche adaptée et éditorialisée des contenus produits. Pour adapter ces contenus, un ensemble de compétences développées par des professionnels issus des industries culturelles et créatives (séries, jeux vidéo, cinéma…), du journalisme ou du secteur de l’éducation peuvent être inspirantes pour les professionnels du monde muséal.

Les équipes du Centre des monuments nationaux ont fait récemment preuve de leurs expertises en réalisant un projet tout à fait exemplaire en termes de scénarisation narrative grâce à la création d’un jeu transmédia. Intitulé http://missiongraffiti.fr, ce jeu s’inscrit dans le cadre de la saison culturelle « Sur les murs, histoire(s) de graffitis » organisée par le CMN dans 9 monuments.

Jeu transmedia accessible sur un site web, Mission Graffiti est exemplaire dans la capacité et l’expertise des équipes du Centre des monuments nationaux à scénariser, éditorialiser et “ludifier” du contenu complexe pour s’adresser à de jeunes publics.

Des compétences en design d’interfaces et d’ergonomie

Au-delà du fond, la forme est essentielle pour faciliter l’appréhension de contenus mis à disposition sur smartphone, téléphone, tablettes, sites web…

Les professionnels de la médiation ont une connaissance fine des visiteurs de leurs établissements. Cela représente autant d’atouts pour concevoir et développer des projets numériques adaptés aux publics en ligne et in situ et, aussi, évaluer les usages qui en sont faits a posteriori.

Toutefois, pour affiner ces connaissances, un ensemble d’outils et de méthodologies peuvent permettre des approches orientées publics. Développées par des laboratoires et des instituts de sondages, ces approches peuvent compléter les outils habituellement utiliser en médiation grâce, par exemple, à l’animation d’ateliers avec les publics (tels que les focus groupes), à la mise en place de protocole d’évaluation ou à l’analyse de données quantitatives et qualitatives recueillies auprès des visiteurs.

Deux exemples sont ici intéressants à partager.

Dans le cadre de la mise en œuvre de sa stratégie numérique, le Palais des Beaux-arts de Lille a été particulièrement précurseur dans l’inclusion des publics à sa réflexion. Un article du Club Innovation et Culture revient sur les modalités d’intégration des publics dans ce projet.

Le réaménagement de l’atrium du Palais des Beaux-arts a donné lieu à la mise à disposition de nouveaux dispositifs numériques mis en oeuvre en étroite collaboration avec les publics.

Autre exemple, Data & Musée est tout aussi inspirant dans le fait de mieux prendre en compte les publics dans un projet numérique en analysant les données qualitatives et quantitatives qu’ils génèrent. Piloté par la société d’audioguidage Orpheo, il associe un ensemble d’institutions culturelles (Paris musées, Centre des monuments nationaux), d’entreprises (Guestviews, Arenametrix, reciproque…) et l’Institut Mines-Télécom. Sur 2 ans, ce groupement a pour objectifs d’agréger et analyser l’ensemble des données des musées et monuments partenaires pour analyser, mesurer et créer de nouveaux services à proposer aux visiteurs.

Site de présentation du projet Data&Musée : à suivre de près.

Des compétences en programmation et en développements informatiques

Sans compétences informatiques, pas de projet numérique. Or, rares sont les établissements muséaux qui ont des compétences avérées dans la programmation et le développement.

Pour autant, certaines institutions ont créé leurs propres « usines » à site internet, applications mobiles ou cartels numériques. C’est le cas, notamment, du Centre des monuments nationaux.

D’autres établissements font appel sur ces enjeux spécifiques à des écoles, des agences, des startups ou à du mécénat de compétences pour développer leurs projets numériques. Un article spécifique sur les modèles de collaborations entre établissements culturels et écosystème créatif sera publié prochainement ici.

A titre d’exemple, depuis plus de 5 ans, Smartapps propose une solution clé en main pour concevoir un guide de visite sous la forme d’une application mobile et publier facilement des contenus.

Smartapps propose des solutions faciles d’accès pour créer des applications mobiles de visite.

Des compétences en médiation et en communication

Sur le web et les réseaux sociaux, la présence en ligne des établissements cultuels est aujourd’hui avérée.

Cette présence se base sur des métiers (tels que le community management) qui sont, d’ores et déjà, bien identifiés dans le secteur culturel mais dont les compétences ne sont, malheureusement, pas toujours reconnues en interne. Nombre de professionnels de musées se voient ainsi confier la gestion du site web et des réseaux sociaux de leurs établissements sur la base de leurs bonnes volontés sans que soient reconnues (en termes de temps et de budget) leurs capacités à recueillir, à éditorialiser et à diffuser des messages auprès des publics de leurs institutions.

Quant aux dispositifs numériques déployés intramuros, ils sont souvent déployés de façon opportuniste sans lien avec les pratiques et les autres dynamiques de médiations (humaines, sensibles, sensorielles, matérielles…) à l’œuvre dans un établissement culturel.

Depuis quelques années et, sur l’ensemble des points abordés ci-dessus, {CORRESPONDANCES DIGITALES] collabore avec des écoles ou développe des formations spécifiques pour sensibiliser les professionnels du monde muséal aux implications en termes de médiation et de communication induites par le numérique.

A titre d’exemple, un travail a été réalisé l’année dernière avec le Master Management des entreprises culturelles et industries créatives (MECIC) de la Burgundy School of Business. Dans le cadre d’un atelier, en collaboration étroite avec les équipes de la Conciergerie, les étudiants ont été invités à identifier un ensemble de pistes pour mieux intégrer et valoriser l’Histopad au sein du parcours de visite récemment réaménagé (tablette développée par Histovery permettant d’accéder à des vues modélisées en 3d d’un lieu à différentes époques). Un ensemble de conclusions ont ainsi été remises aux équipes de la Conciergerie pour aménager la signalétique, proposer des événements culturels autour de ce nouvel outil de médiation, développer de nouveaux partenariats dédiés et adapter la politique tarifaire lié à ce dispositif.

Les étudiants à l’oeuvre dans l’observation et l’analyse de l’Histopad à la Conciergerie afin de proposer un ensemble de préconisations pour mieux intégrer et valoriser ce dispositif numérique auprès des publics de cet établissement.

Si les professionnels du monde muséal et patrimonial ont un socle de compétences solides pour collaborer à la mise en œuvre de dispositifs numériques. Un ensemble d’outils, de méthodologies et de pratiques peuvent donc venir compléter et enrichir ce socle par des compétences nouvelles et valorisantes pour chacun.

Antoine ROLAND

www.correspondances.co

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