“Spamouflage” ou l’échec de la masse ?

Bertrand Boyer
3 min readFeb 17, 2024

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C’était à la fin du mois d’aout 2023, le groupe Meta, maison mère de Facebook et Instagram, annonçait, le démantèlement partiel d’un réseau diffusant de fausses informations et de la propagande pour le compte de la Chine. Cette campagne avait été partiellement identifiée dès la fin de 2019 par Graphika en particulier et qualifiée de “réseau de spam”. Visiblement le réseau a continué son expansion conduisant les équipes de sécurité de Meta à identifier, sur Facebook, 7 704 comptes, 954 pages et 15 groupes liés à cette campagne, ainsi que 15 comptes sur Instagram. Les chiffres sont importants, au regard des campagnes habituellement détectées. La campagne était également active sur d’autres plateformes comme TikTok, Quora, YouTube, Reddit, Tumblr ou encore X.

« Si l’on regarde l’ensemble de leur activité sur Internet, nous pensons qu’il s’agit de la plus grande et de la plus ample campagne de désinformation au monde » Ben Nimmo

Les narratifs déployés ont évolué avec le temps mais suivaient les préoccupations de Pekin. Comme le souligne Sébastian SEIBT pour France 24:

Cette campagne de désinformation a d’abord tenté de dénigrer le mouvement prodémocratie à Hong Kong au moment des manifestations de 2019. L’apparition du Covid-19 a ensuite fait évoluer les priorités de “Spamouflage” : il fallait présenter la Chine comme l’exemple à suivre en matière de réponse à une pandémie.

A bien y regarder, nous avons l’ensemble des éléments nécessaires à l’analyse d’une campagne de manipulation de l’information : le narratif, les vecteurs de diffusion, le comportement “inauthentique” (puisque visiblement au-delà de la masse, la volonté d’automatisation est matérialisée par l’usage de bots).

Mais pour quels résultats ?

L’activité du réseau correspond aux heures de bureau “heure de Pekin”…

Les chercheurs s’accordent à dire que la campagne n’est pas parvenue à toucher des cibles hors de la propre “chambre d’écho” des comptes générés. En “boostant” artificiellement leurs contenus, les auteurs de cette campagne misaient sur les biais algorithmiques des plateformes pour percer le plafond de verre et toucher leurs objectifs. Au-delà, cette campagne dans la durée n’a pas modifié la perception de la Chine à l’international (en occident comme en Afrique).

#fail visiblement…

L’automatisation sans contexte a desservi le fond des messages, à privilégier la masse à la viralité, il semble que la portée du message soit réduite. Les lignes narratives n’étant pas déclinées, les opérateurs se contentaient de copier et coller sans grande finesse les messages ne laissant ainsi que peu de place au doute sur le caractère inauthentique de la démarche.

Que peut-on en retenir ?

  1. D’abord qu’il ne faut pas sous estimer un acteur au prétexte qu’une de ses campagnes semble peu efficace et maladroite. L’usage des réseaux sociaux étant extrêmement contrôlé en Chine, la méconnaissance des pratiques et des usages des réseaux occidentaux est sans doute à l’origine d’une partie des erreurs commises. On apprend toujours de ses erreurs… et la diminution des moyens de modération laisse la place à un renouvellement des dispositifs sur les grandes plateformes comme X par exemple.
  2. La masse ne fait pas tout mais elle contribue à créer un substrat informationnel si les contenus sont travaillés. Ainsi, les faux rapports scientifiques sur l’origine du COVID-19 qui ont été diffusés par cette campagne, n’ont pas disparu, ils “sédimentent” quelque part dans les abysses des Internets et ils resurgiront à l’appui des thèses complotistes ou autres. Ne pensons pas que l’information est fugace, qu’elle passe. Avec la numérisation, la capacité de sédimentation informationnelle augmente et les campagnes de désinformation se nourrissent de ce substrat.
  3. Ne pas confondre audience et efficacité. Les auteurs de ces campagnes étaient visiblement satisfaits (puisqu’elle a duré plusieurs années sans véritablement changé de mode opératoire). “Les chiffres étaient bons !” . Les opérateurs pouvaient certainement rendre compte à leur hiérarchie de “milliers de vues” et de “millions de like”…sans vraiment convaincre.

Next step ?

En matière de désinformation et de cybersécurité, les acteurs ne restent pas longtemps sur un échec. Au regard des évolutions des outils de génération de contenus et des possibilités de micro-ciblage cumulées à l’ajustement des narratifs, il y a fort à parier que la “masse” sera un facteur déterminant.

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Bertrand Boyer
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Written by Bertrand Boyer

M82_project founder, cybersecurité cyberdéfense and FIMI, https://github.com/M82-project

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