Ce que YouTube nous dit sur la télé-réalité.

Cyrus North
6 min readJan 25, 2016

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Cela fait maintenant plusieurs mois que je vois un élan d’aversion à l’encontre d’une certaine tranche de YouTubeurs, accusée de produire du contenu non qualitatif, proche de la télé-réalité, et vide. Je ne suis pas vraiment d’accord avec, et je vais vous expliquer pourquoi.

Qui en est à l’origine ?

Depuis l’arrivée de la télé-réalité à la télévision, je n’ai cessé d’entendre que de “véreux producteurs” imposaient aux téléspectateurs des programmes de plus en plus vides d’intérêt, accusés d’abrutir ceux qui les subissent. Ce sont des contenus qui sont rejetés par une tranche de la population qui considère qu’ils sont foncièrement néfastes pour la société. Pour certains complotistes, cela ferait même parti d’une volonté plus globale d’asservir la population puisqu’une population non instruite est plus facilement manipulable.

Cependant, nous pouvons observer depuis plusieurs mois, ou années, qu’un contenu très proche de ces programmes là prolifère sur YouTube, avec des vidéos comme les What’s on my Phone (une vidéo qui consiste à montrer au public ses applications préférées) ou les Room Tour (qui consiste à faire une visite de sa chambre ou de sa maison à ses internautes). J’ai même vu une vidéo où le vidéaste commente en direct des lives Périscope, ce qui souvent peut se transformer en un moment gênant pour le spectateur comme pour le créateur qui peine à créer quelque chose d’intéressant sur des lives Périscope souvent eux même inintéressant. J’appelle ce dernier phénomène le “gênanception”.

Ces contenus sont extrêmement proches du concept de télé-réalité. Effectivement on y retrouve deux caractéristiques qui sont pour moi fondamentales de la télé-réalité et je précise que même si ce sont des mots qui peuvent avoir une consonance péjorative, je ne porte aucun jugement de valeur :

  • Voyeurisme : Le vidéaste dévoile sa vie privée jusqu’à une visite de son appartement ou au contenu de son sac à main.
  • Divertissement “pur” : Ici on n’est ni dans de l’humour à proprement parler (Podcast, Sketchs…), ni dans de l’information (DIY, Tutos, Tops…), ni dans l’éducation (Vulgarisation de philosophie par exemple #TMTC) ni même dans du contemplatif. Non ici il n’y a pas de script, ce qui intéresse n’est pas travaillé, c’est sa personne que l’on transmet aux internautes, “de manière brute”.

Or, sur YouTube nous sommes dans une logique différente de la télévision. Nous sommes sur un média pull et non un média push, ce qui signifie que ce n’est pas une poignée d’individus qui décide de ce que les spectateurs regardent, mais qu’au contraire, ce sont les spectateurs, individuellement, qui décident de ce qu’ils veulent regarder.

Dire que ce sont les producteurs qui sont responsables du phénomène de télé-réalité et non le public, c’est faux.

Ici, on voit bien grâce à YouTube que lorsque les gens ont le choix, ils se dirigent aussi vers ces contenus. Ce ne sont absolument pas les contenus les plus regardés, mais ils se sont fait une place importante à travers le temps et rassemblent assez de spectateurs pour que l’argument des producteurs coupables ne soit pas fondé.

La place du créateur ?

Et la première cible de ceux qui critiquent ces programmes est ici facile à deviner, il suffit de transposer le phénomène télévisuel à YouTube : le vidéaste. Car le producteur sur YouTube, l’immense majorité du temps, c’est bien le vidéaste. Et ce point me pose problème pour deux raisons.

  • La création doit être plus forte que les critiques et bien qu’on puisse critiquer l’art (car c’est bien de ça dont il s’agit), à mon sens, il est hors de question de le brider. Les vidéastes qui font ce type de contenu n’ont pas à arrêter de le faire sauf s’ils le souhaitent. Blâmer les créateurs c’est aussi envoyer un message négatif à ceux qui voudraient se lancer et faire possiblement la même chose. C’est donc se priver de talents qui pourraient faire avancer cette industrie créative, et parfois de manière incroyable. La création doit toujours être valorisée.
  • Critiquer les vidéastes c’est rejeter la responsabilité sur autrui. Ce n’est pas le vidéaste qui est responsable de ses milliers de vues. Il le sait, je le sais, vous le savez. Ceux qui sont responsables de ces vues ce sont les spectateurs. Le vidéaste propose, le spectateur dispose.

Il est beaucoup plus facile de critiquer les vidéastes plutôt que la foule. Car à l’inverse d’elle, il est identifié, il est dissocié de nous, et il est simple à appréhender.

La seconde cible des critiques, c’est YouTube en soi. En effet, la plateforme pousse des vidéos sur sa page d’accueil et fait des recommandations. Mais il faut être pragmatique, il y a 400 heures de vidéos uploadées sur YouTube par minute. Une page d’accueil est un espace limité, ce qui signifie qu’il n’y a de toute façon qu’une partie du contenu qui peut être mis en avant. Si vous trouvez le modèle actuel discriminant, sachez qu’il ne peut pas ne pas l’être. Il faut donc maintenant trouver un élément simple, légitime et neutre pour mettre en avant du contenu. Si vous voulez du simple, du légitime et du neutre, dirigez-vous vers les chiffres. Cet élément c’est le watchtime, temps de visionnage, et plus celui-ci est élevé, plus la vidéo a de chances de s’afficher sur la page d’accueil. Ce qui fait que le type de contenu dont on est en train de discuter s’y retrouve régulièrement, et d’après des observations personnelles qui sont a priori partagées, ce phénomène s’est accru ces dernières semaines. Une fois encore YouTube n’est qu’un reflet d’un comportement global, et en faire un bouc émissaire, ce serait être de mauvaise foi.

Il serait temps d’être honnête avec nous-même et d’accepter qu’une partie des spectateurs préfère ce type de divertissement, qui n’apporte aucune réflexion, qui n’a pas de recherche, qui n’est pas scripté, et il faut arrêter de penser que c’est un problème. Que le premier qui n’a jamais profité d’un divertissement “pur”, sans contenu, me jette la première pierre.

Mais, est-ce que c’est grave ?

J’anime tous les jours depuis près d’un an une émission pour 20 minutes où j’anime un zap de vidéos insolites et virales. Je me souviens d’une fois où j’ai pu faire un Rewind sur un seul sujet, qui était plutôt sérieux puisqu’il s’agissait du conflit Uber vs Taxis. En dehors de l’expérience intéressante d’écrire seul ce type de contenu en trois heures, j’ai lu un commentaire qui m’a particulièrement touché : un internaute me remerciait pour la vidéo mais m’expliquait qu’il préférait ceux de d’habitude, car après une longue journée de travail, il aime “se décrocher le cerveau”. Et je l’ai compris. Les journées peuvent être longues et difficile, suivant l’emploi, et tout le monde n’a pas la même envie de faire travailler son cortex cérébral.

Au delà de ça, ce sont des émissions qui permettent de créer des liens forts avec les créateurs puisqu’on est dans le visionnage de leur vie. Ce sont des gens à qui on peut s’identifier. Globalement, on peut le dire, elles procurent du bien être à ceux qui aiment les regarder, elles alimentent les conversations, elles procurent du plaisir. Alors est-ce si grave qu’elles existent ?

Ces vidéos ou émissions, qu’elles soient à la télévision ou sur YouTube font écho à des constituantes de la nature humaine. Quel est la frontière entre le voyeurisme qui est pointé du doigt, et la curiosité qui est une qualité à développer pour quiconque souhaite apprendre de nouvelles choses ? N’est-ce pas quelque chose que l’on a toujours fait ? Ne nourrissait-on pas ce besoin d’abord dans la rue, puis la presse, la télévision, et enfin aujourd’hui sur YouTube ?

“Le voyeurisme est une curiosité appliquée à l’humain et, spécialement, à son intimité. Quoi de plus compréhensible ? L’humanité n’est-elle pas le sujet le plus intéressant ? Et quoi de plus intéressant, en l’homme, que son intimité ? Etrange paradoxe ! Je devrais m’intéresser aux plus lointaines galaxies, à la vie des insectes ou des grenouilles, et pas à celle de mes contemporains ?” — André Comte-Sponville

Je vous remercie de m’avoir lu, je m’appelle Cyrus North et vous pourrez me retrouver ici, sur YouTube.

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