Benoît Hamon : le retour de la Gauche ? (Script #QuiChoisir)

DanyCaligula
11 min readApr 20, 2017

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La série #QuiChoisir ayant été abandonnée, je décide de vous partager le script de l’épisode sur Benoît Hamon, qui à travers le candidat Hamon, s’intéresse à ce qu’il reste de la notion de “gauche” après le quinquennat Hollande.

Ce texte n’est évidemment pas cent pour cent littéraire. Il manque un certain nombre d’illustrations qui auraient normalement accompagné le script et sa compréhension. L’intonation de la voix, les extraits vidéos, le sarcasme que peut apporter l’habillage graphique... Toutes ces nuances disparaissent forcément. Pour ceux qui ne connaissent pas la série, la vidéo aurait normalement du avoir cette forme :

Néanmoins, malgré tout, l’essentiel de la réflexion y est. J’ai rajouté quelques illustrations pour les moments où elles étaient nécessaires. J’espère que l’épisode vous plaira quand même, et n’oubliez pas qu’il est disponible sous la licence libre CC0, si quelqu’un se sent de l’adapter...

Benoît Hamon : le retour de la Gauche ?

Pendant la primaire dite “de gauche”, Benoît Hamon a réussi à susciter un fort enthousiasme : face à Valls, il paraissait forcément progressiste, et avec une mesure aussi phare que le revenu de base il a apporté une vraie bouffée d’air frais aux débats classiques sur le travail et le chômage. Sur le moment, il était d’ailleurs compliqué pour nous d’en parler tellement une partie d’entre vous semblaient vouloir y croire. Nous avons préféré choisir de retarder l’épisode et d’attendre que le soufflé retombe pour regarder cela avec un peu plus de recul et d’éléments concrets. Alors, avec Hamon, la gauche, la vraie, est-elle vraiment de retour ?

I) La gauche, au-delà du mot

Le plus gros problème de notre système politique actuel revient au brouillage total entre gauche et droite dans le discours politique quotidien. Ce n’est pas pour rien que beaucoup d’entre vous pensez peut-être que “gauche et droite, ça veut plus rien dire aujourd’hui”. Bon, le truc, c’est que ce genre de discours est loin d’être nouveau.

Longue vidéo d’Histony sur le général Boulanger, l’un des premiers qui se déclara “Ni de gauche, ni de droite”…

Le problème, c’est qu’en France, contrairement à pas mal d’autres pays, le fait d’être “de droite” a longtemps été très mal assumé, jusqu’à Sarkozy et à sa “droite décomplexée” ; alors qu’au Royaume-Uni, par exemple, la droite est conservatrice, et l’assume depuis longtemps jusque dans son nom.

Myriam El Khomri, ministre de nationalité française et marocaine, jeune, contemporaine, symbole malgré elle du retour en arrière que prévoit la loi qui porte son nom.

Il faut dire que la droite a longtemps eu à composer avec son passé monarchiste, qui la plaçait du “mauvais côté” dans un pays à forte culture révolutionnaire : il a toujours été plus vendeur, chez nous, de se placer du côté du progrès, même quand le progrès vendu est en réalité un retour en arrière. Tout cela crée des flous sur lesquels nos politiciens jouent, en particulier quand le parti socialiste se présente comme socialiste.

On l’avait vu avec l’épisode sur Valls, qu’on soit d’accord ou non avec le socialisme, une chose est sûre : les nationalisations d’entreprises, la défense des travailleurs, une meilleure répartition des richesses, l’autogestion dans les entreprises, vous pouvez les chercher longtemps dans les programme de Hollande… ou de Hamon. Il est assez évident depuis le début des années 1980 que le Parti Socialiste s’est converti totalement à l’économie de marché et applique finalement la même politique que la droite institutionnelle. On le voit d’ailleurs quand on pense à tous ceux qui, d’un côté comme de l’autre, se retrouvent dans le programme de Macron… Rien d’autre, finalement, que la même soupe qu’on nous sert depuis trente ans. En réalité, les seules variantes sont les sujets sociétaux : famille, immigration, sécurité, sur lesquels les camps suscitent les débats pour dissimuler leur proximité économique et sociale.

Du coup, il faut être clair à un moment : le PS n’est pas un parti de gauche. Ce n’est pas grave, d’être de droite : ce qui l’est plus, c’est de le cacher, car cela entretient une confusion qui silencie toute alternative réelle au néolibéralisme. Cela contribue par exemple à enraciner l’idée que “la gauche” est portée par des journaux comme Le Monde ou Libération, alors que, clairement, des éditorialistes comme Laurent Joffrin ou Arnaud Leparmentier sont loin de l’être.

Et on y vient, journalistes et éditorialistes ont tous été un peu sidérés par le programme de Benoît Hamon, durant la primaire : il était le candidat de “l’utopie”, face à un Valls “réaliste”, et, notamment pendant le débat, les animateurs ne se sont pas privés de montrer à quel point il leur était impossible de prendre ses propositions au sérieux. C’est encore une fois à ne plus rien y comprendre : contrairement au PS, Benoît Hamon serait-il donc de gauche ?

Hamon, le renouveau du PS ?

Le programme d’Hamon, justement, parlons-en. Dans ses discours, dans les débats, notamment pendant la primaire, Hamon s’est clairement inspiré du phénomène Bernie Sanders, dans l’idée de surfer sur la vague d’un désir de véritable gauche, pas juste du néolibéralisme à peine camouflé pratiqué par le PS et les démocrates depuis des années et qui ont déçu leur électorat. Hamon s’est ainsi présenté en écolo inquiet de l’avenir de la planète plus que de la dette ; il a incarné la tolérance et l’ouverture face à un Valls ultra-sécuritaire qui ne dissimulait même plus son islamophobie… Et puis il y a a le point symbolique de son programme, le revenu universel d’existence, qui a enfin permis de mettre le sujet sur la table. Franchement, prendre en compte l’évolution de la société, remettre en cause le discours classique sur la valeur travail, tout ça, c’était presque inespéré. Cette critique de la société du travail, même Mélenchon ne l’a pas osée.

Hamon a beaucoup modifié en cours de route son Revenu universel… à tel point, qu’aujourd’hui, il soit plus individuel (en fonction des revenus) qu’universel…

Sauf qu’en fait, dans le détail, c’est pas trop ça. Déjà parce que contrairement au salaire à vie, le revenu de base est une idée qui est très appréciée aussi par la droite, dans une de ses versions qui permet de faire sauter les aides sociales et de licencier à tour de bras. Un tel revenu de base, loin d’être émancipateur, serait un recul social. Ce n’est pas celui qu’a proposé Hamon, mais il est très vague là-dessus, il change d’avis, il avance, il recule, comment veux-tu que je t’en… Et c’est encore plus vrai depuis la primaire ! Le problème, en plus de commencer à légitimement se demander si l’idée même peut voir le jour avec lui, c’est qu’une proposition pareille ce n’est quand même pas rien, mais la disparition programmée du travail pour tous, dont on a déjà parlé dans d’autres vidéos.

Épisode 3 de ma série sur le travail où j’explique comment la mécanisation de l’emploi risque d’aggraver le chômage…

C’est pas juste un truc qu’on bricole à l’arrache deux mois avant la présidentielle pour faire un coup de comm : c’est un projet de société concret qu’il faut élaborer solidement tant il change les règles du jeu, et ça, les éditorialistes et les pontes du PS l’ont bien compris, et c’est pour ça qu’ils en avaient si peur. Bref, pas sûr que ce soit la bonne équipe pour marquer le point, mais, l’idée a au moins le mérite d’avoir existé dans le débat public et on ne peut qu’espérer qu’elle se développe à l’avenir.

Sur le reste, Hamon reste tout aussi flou : la loi El Khomri ? Pendant les primaires, il voulait l’abroger. Oui, mais voilà, Valls et El Khomri, justement, ils se sont investis avec son accord pour les législatives. Difficile d’abroger la loi avec ce genre de députés, et encore plus quand Valls assume cash de ne pas voter pour le candidat de son parti. Et d’ailleurs, l’abroger, vraiment ? Non, finalement, il veut la “réformer”, garder quelques dispositions, dont le fameux Compte personnel d’activité, qui a justement été très critiqué pendant le mouvement social. Et dans la foulée, il se félicite du soutien de Bernard Cazeneuve. Oui, le ministre de l’intérieur qui a orchestré la répression très violente des mouvements sociaux. Charmant signal.

J’ai pu interroger Benoît Hamon sur ce sujet, qui a esquivé la question plus qu’autre chose. Interview complète disponible ici : https://t.co/v9B1NnwuIR

Mais bon, pour Hamon, l’important, c’est de rassembler “la gauche”. Mais attention, pas la gauche de Mélenchon, non. La gauche PS. Bref, cette gauche qui n’est pas de gauche. Ça ne vous rappelle rien, ces discours fédérateurs, emportés : “Moi, président de la république, je changerai tout ce qui a été fait par mon prédécesseur” ?

Si Hamon avait réellement eu à cœur de faire mener enfin une politique de gauche, il aurait certainement eu intérêt à tenter coûte que coûte avec Mélenchon. Il ne l’a pas fait, et se condamne de fait très certainement à la défaite… ce qui pourrait lui permettre de devenir ainsi un leader d’opposition charismatique, rôle qui avait bien marché pour Hollande, souvenez-vous. (Ou de jouer un rôle central dans les négociations entre le PS et Mélenchon en cas de victoire de ce dernier.) Manque de bol, une partie des gens qu’il veut réunir autour de lui sont déjà en train de partir se réunir avec quelques dissidents républicains autour de Macron. Vous savez, celui qui croit qu’il n’est ni de droite ni de gauche. Quand on vous dit qu’on y comprend plus rien ! Mais au final, cette issue est-elle si surprenante quand on sait comment fonctionne ce monde-là ?

III La fabrique des apparatchiks

Hamon a pu compter sur un atout : il était peu connu. De nos jours, alors que nos politiques font face à une forte défiance, c’est une grande chance car cela permet d’incarner le renouveau, à prix discount. Pourtant, comme renouveau, on a vu mieux, puisqu’il sort, lui aussi, du gouvernement : deux ans à l’Économie sociale et solidaire et à la consommation, quatre mois à l’éducation nationale. Son premier ministère a surtout servi à accoucher d’une loi pour la défense du consommateur. Quant à son passage à l’Education nationale, il a surtout servi à calmer les différentes oppositions, notamment en enterrant définitivement le fameux ABCD de l’égalité qui devait permettre de lutter contre le sexisme dans les écoles. Un bilan finalement assez insignifiant, qui n’a laissé de souvenirs à personne et permet à Hamon de sortir très propre de ce gouvernement PS où il est malgré tout resté deux ans.

Hamon (tout à gauche), sur cette photo des jeunes rocardiens, pose notamment avec… Manuel Valls et Jean-Luc Mélenchon.

Alors qui est Hamon ? Difficile de le cerner, même en allant chercher un peu plus loin. Quand on regarde son parcours, on retrouve tous les traits classiques d’un apparatchik : UNEF, Mouvement des Jeunes socialistes, il est passé par toutes les usines à cadres du parti, et a commencé à militer dans le courant des jeunes rocardiens ; un mouvement qui, à l’époque, était présidé par Manuel Valls. Le monde est petit. Il a ensuite gravi les échelons en soutenant Fabius, puis Aubry, et est devenu porte parole du PS, puis ministre de Hollande, en se forgeant une image d’homme de gauche opposé au virage libéral du PS. Cette position était elle sincère ? Peut-être, mais elle a aussi trouvé certaines limites, comme lorsque, fin 2013/début 2014, lui et Arnaud Montebourg se sont alliés avec Manuel Valls pour torpiller Jean-Marc Ayrault, et mettre ce bon vieux Manu à la place. Ce remaniement a en effet été l’époque d’une étrange alliance entre les deux représentants actuels de la “gauche” du PS, et celui qui incarne à la perfection sa droite. Comme quoi, les idées sont probablement secondaires face à la possibilité de monter en grade…

Parce que quand on parle des cadres du PS, Hamon comme les autres, il est naïf de ne pas prendre en compte leur formation, qui leur apprend à soigneusement construire une image, à travailler leur carrière. Évincé du gouvernement avec Montebourg et Filippetti, Hamon a bien vite compris laquelle devait être la sienne : rester jusqu’au bout dans ce bateau à la dérive aurait été du suicide. Il est donc passé du côté des “frondeurs”.
Mais ces frondeurs, qu’ont-ils réellement fait ? Les gros yeux, un peu d’obstruction. Jamais, ô grand jamais ils n’ont réellement mis le gouvernement en danger. Ils ont proposé une motion de censure dont l’échec était certain, mais ils n’ont signé à aucun moment la motion de censure citoyenne, ou celle de la droite qui elles, avaient de réelles chances de bloquer Valls.

Mais il ne faudrait pas croire que Hamon, comme Valls, Hollande, Royal, voire Rocard et Mitterrand avant lui, sont individuellement les problèmes. Le souci est comme d’habitude plus large. Comme on l’a dit, le fonctionnement du pouvoir ne permet l’ascension que des candidats qui le serviront, d’une façon ou d’une autre et, du reste, si un candidat vraiment différent arrivait par hasard au sommet, il serait probablement assez vite transformé par son nouveau milieu, entre les pressions subies, la part de ceux qui auront financé sa campagne, et de façon générale les milieux installés. Avant même sa possible élection, Hamon baigne déjà en plein dans ce système de jeux d’alliances, de stratégies et de promesses : il fait de la politique, au sens bas du terme et, dans cette politique, les idées et les convictions ne sont pas plus que des appâts à électeurs. Difficile dès lors de croire en une quelconque résistance de sa part lui permettant d’appliquer une mesure aussi radicale que celle du revenu de base.

À nouveau, il semblerait que tout repose sur notre foi ou non dans le vote, tant cela reste un acte de croyance, sans aucune garantie. Dans le cas d’un candidat qui recule déjà pendant sa campagne, la question mérite d’être posé : cette foi est-elle ici raisonnable ?

Pourtant, si sa victoire rappelle quelque chose de concret, de tangible, c’est qu’il existe une gauche réelle, vive d’alternatives et d’idées nouvelles, dans la population. Une gauche dont les idées sont en permanence ridiculisées, silenciés, que ce soit à la télévision ou ailleurs, travesties par des journaux et des candidats qui prétendent porter son nom, comme en témoigne le passage récent de Philippe Poutou chez Ruquier.

Une gauche qui n’a pas oublié ce qu’était le progrès social, qui pense à la planète et l’écologie, qui n’a pas oublié les travailleurs et, de façon générale, celles et ceux qui souffrent. Cette gauche, qu’on a tenté de faire disparaître derrière la gauche caviar, de Libé au Monde, de Hamon à Macron, elle existe encore, qu’elle s’exprime dans les urnes ou par l’abstention, sur Internet ou dans la rue.

Le phénomène Hamon en tant que tel n’a rien d’étonnant : ce n’est pas la première fois qu’on nous soumet des solutions préfabriquées par un parti qui ne mérite même pas son nom. Mais derrière le faux espoir créé, il reste justement ceux qui ont espéré, qui croient en un véritable programme de gauche, qu’ils se réfugient dans l’abstention, ou continuent à placer leurs espoirs dans le vote. C’est sur ces gens, qui gardent de profondes convictions, qu’Hamon a voulu surfer. Or, ici, comme souvent, l’important, ce n’est pas le surfeur, mais la vague.

Auteurs : DanyCaligula et Histony.

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DanyCaligula

Vidéaste solitaire et internaute solidaire. En quête de plénitude par la connexion et la compassion. https://www.youtube.com/DanyCaligula