Bajram — Univerval War One

L’échec de la société civile face aux populismes

Emmanuel Michel
9 min readNov 19, 2016

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Je me suis tenu éloigné de la campagne américaine. Le traitement médiatique, ne se concentrant que sur polémiques et petites phrases n’a fait que tuer ma curiosité et mon intérêt pour les programmes proposés.
Tout comme la campagne pour ou contre le Brexit. Je n’en suis pas non plus totalement indifférent et l’effet sur moi est le même : demie-surprise et consternation. Demie-surprise car à force de donner Clinton et le camp du “Yes” gagnants on en oubliait qu’une victoire de Trump était possible. Parce qu’à force d’un rabattage médiatique “contre” le camp du renferment et du populisme, sa posture de victime et d’incompris ne faisait que se renforcer. La victoire du populisme était prévisible car à force de le renvoyer vers sa propre bêtise il s’en repaît et la transforme en fierté et cheval de bataille. Comme l’a bien décrit un odieux connard la meilleure pub que l’on puisse faire pour un populiste est de se moquer de lui. Demie-surprise donc, et consternation car malgré la prévision je n’arrive pas à comprendre comment quelqu’un avec des discours aussi creux et simples puisse être élu. La raison disparaît en ces moments qui sont pourtant fondamentaux.

Puis vient la remise en question, je suis engagé à temps plein dans une association d’éducation populaire. Régulièrement depuis le début de l’année 2016 nous parlons de “2017”, moment fatidique de l’élection présidentielle française, et pour beaucoup de la domination de l’extrême-droite. A chaque sondage ou résultat d’élection (Régionales, Brexit, Autriche, Trump, etc.) la même question revient en boucle : comment empêcher cela en France ?

Dans cet article ne vais pas répondre à cette question, mais je vais faire quelque chose que je déteste faire normalement : critiquer sans proposer de solutions, parce que je n’en trouve pas d’assez viables pour le moment. Mon but n’est pas de démolir le travail effectué par le monde des associations et particulièrement de l’éducation populaire depuis 40 ans, ce serait injuste car de grandes choses ont été réalisées qui permettent de réduire certains fossés économiques, sociaux ou éducatifs de la société française. Je ne veux donc pas détruire mais plutôt essayer d’analyser les causes de notre échec face à la montée du populisme. Je n’ai pas prétention à produire du contenu universitaire sur la question mais un point de vue, qui appelle au débat et à la réflexion. Cet échec est également le mien puisque j’évolue dans le milieu associatif.

Plusieurs points me viennent en tête : le public, la complicité, la politique partisane.

Le public

Notre milieu associatif et de l’éducation populaire touche (pour faire large) trois principales catégories de publics engagés (je me concentre ici sur la jeunesse car c’est ce que je connais le mieux) : ceux qui votent ou sont engagés dans les partis, ceux qui ne votent plus et ceux qui ne votent pas.

Les jeunes qui votent et sont engagés dans les partis aujourd’hui sont ceux qui croient encore à la classe politique actuelle, ou qui croient pouvoir se faire une place dans les partis. Ils pensent que le système démocratique tel qu’il est pensé actuellement est viable et permettra un changement de société. Ils vont donc voter aux différentes primaires et aux deux tours des élections présidentielles.

Ceux qui ne votent pas ou plus sont divisés en deux catégories : ceux qui ne votent plus parce qu’ils ont le sentiment que le système est mauvais et que la classe politique actuelle n’apporte aucune solution. Ils pensent que la politique partisane est inutile et préfèrent se concentrer sur l’action associative quand ils sont engagés. Il y a dans leur réflexion une certaine haine de la classe dirigeante et des solutions proposées. On peut noter également une certaine colère contre la génération des Baby Boomers et la certitude que leur avenir sera moins bon matériellement que celui de leurs parents ou grands-parents. Aux présidentielles ils voteront peut-être au premier tour mais certainement pas au second, parce qu’ils ne veulent plus voter “contre” et qu’ils veulent un système politique qui les représente vraiment.
La deuxième sous-catégorie concerne ceux qui ne votent pas et n’iront peut-être jamais voter. Ils ont le sentiment d’avoir été oubliés par le système en place depuis au moins 3 générations et ne croient plus au discours les concernant : éducation, urbanisme, économie, société, etc. Ces jeunes viennent de milieu populaire, parfois de familles arrivées en France il y a 2 ou 3 générations. Ils sont engagés dans le milieu associatif car ils croient encore un changement possible.

Ces deux grandes catégories de jeunes engagés se retrouvent sur la nécessité de faire changer les choses : par l’engagement associatif et politique pour les uns, par l’engagement associatif uniquement pour les autres. Ils cohabitent très bien dans nos mouvements mais ont des approches politiques parfois éloignées.

Le public qui vote pour les partis populistes, particulièrement l’extrême-droite, partage l’idée de systèmes politique, médiatique et électoral pourris et n’apportant plus de solutions depuis 40 ans. Ils font parfois partie de catégories sociales défavorisées et oubliées, dans le monde rural ou dans les villes moyennes (même s’il ne faut pas oublier l’existence d’un vote extrême-droite des grandes villes, de la classe moyenne-haute). Ils croient que le vote de l’extrême-droite est une alternative anti-système, mondialisation et Europe. Ils croient au pouvoir de leur vote et du parti qu’ils soutiennent. Ils ne sont pas engagés dans le milieu associatif par manque de conviction et parce que l’offre proposée de leur convient pas.

Nous voyons une division se dessiner entre ces deux publics : d’un côté ceux qui sont engagés dans les associations ont une colère “verticale”, c’est-à-dire contre la génération du dessus, ou le système politique et économique. Ils proposent pour agir contre ces maux des solutions “horizontales” : solidarité, éducation, fraternité.
De l’autre, la colère est plus “horizontale” : l’Europe, la mondialisation, les étrangers et la solution “verticale” : confier le pouvoir à quelqu’un qui “changera les choses” et qui ose dire tout haut des “vérités qui fâchent”.

Ces deux publics semblent de ce point irréconciliables, et les associations ainsi que l’éducation populaire n’ont jamais réussi à toucher le second.

La complicité

Le monde associatif et éducatif a dans son angle mort l’électorat du Front National, il ne sait pas comment l’atteindre et se faire entendre par lui.

Au-delà de ce problème de public il y a également une erreur de posture du monde associatif qui n’a pas pu empêcher la montée du Front National. La montée du parti populiste d’extrême-droite est liée à différents facteurs, dont ce que l’on pourrait appeler la faillite étatique. Depuis le premier choc pétrolier de 1973 puis la montée des thèses néo-libérales pour gérer l’économie et l’Etat, ce-dernier s’est plus ou moins désengagé de certains secteurs et de certains combats, ou proposait des solutions inefficaces. C’est le cas par exemple dans la lutte contre le chômage, la grande pauvreté, les inégalités sociales, les discriminations, l’écologie et l’amélioration de notre système éducatif.

Pour compenser les manquements de l’Etat dans ces domaines primordiaux, le secteur associatif s’est développé, en tentant de combler les brèches d’un système prenant l’eau. C’est en effet depuis les années 70 que l’activité associative a explosé en France, après associations caritatives créées après guerre (Secours Catholique, Emmaüs, Secours Populaire, etc.) les années 1970–80 voient l’avènement de nouveaux mouvements de lutte contre la pauvreté et les discriminations ou pour la protections de l’environnement, Green Peace, Les Restos du Coeur et SOS Racisme en tête.
Ces associations, à l’action positive et rendue nécessaire par la crise économique et étatique, sont devenues indispensables à la société française. Elles mènent au quotidien une action nécessaire, et ont inspiré des association de plus petite envergure (on compte aujourd’hui près d’un million d’associations en France, toutes ne sont pas caritatives mais toutes sont animées par des passions et des buts sociaux à impact positif (à quelques exceptions près)).

L’erreur de ces associations ne réside pas dans leurs actions et leur impact social, mais plutôt dans la complicité à la faillite du système étatique. En acceptant de combler les brèches, et de vivre des subventions publiques, les associations sont devenues les béquilles du pays et empêchent la remise en cause structurelle des faillites de l’Etat et de ses raisons. Bien sûr nous les entendons régulièrement pour critiquer et mener des campagnes politiques et médiatiques contre des problèmes conjoncturels, parfois avec succès, mais force est de constater que depuis 40 ans cela n’a pas eu d’impact réel sur les politiques économiques et sociales en France et en Europe. En ce concentrant sur de l’action de terrain et sur la réponse à des crises sociales, les associations ne se sont pas donné l’occasion de réfléchir à des solutions globales pour résoudre les problèmes. Bien sûr il y a des “solutions locales pour un désordre global” et j’adhère au discours consistant à dire que le changement viendra avant tout de la base et des citoyens, mais nous arrivons à un moment où il faut savoir proposer une offre politique et systémique neuve. Les associations, par leur impact de terrain peuvent porter ces solutions et les mettent déjà parfois en pratique.

Le désengagement partisan

Devant ce vide laissé à la fois par le monde associatif et par la chute de la gauche et de l’extrême-gauche, le Front National a pu s’établir et prendre toute la place.

Le monde associatif, en plus de ne pas proposer des solutions systémiques alternatives a choisi de se désengager de la politique partisane, certains mouvement allant même à se déclarer comme “apolitique” alors que par essence toute action au service de la cité est politique !

C’est là que nous voyons le fossé se creuser petit à petit entre le monde politique partisan et le monde politique associatif, ancré sur le terrain. A cause de ce fossé, les associations, regroupant de plus en plus de bénévoles et militants, n’ont pas pu peser comme elles l’auraient dû sur le monde politique et sur les propositions électorales. Cela est aussi lié au développement de l’idée selon laquelle la seule politique qui compte est celle menée par les partis. Les médias ont également leur part de responsabilité dans cette image du monde politique, préférant mettre en avant des hommes et des partis plutôt que des actions efficaces. Les partis ont de plus une responsabilité dans cette division, en mettant en avant des logiques carriéristes et en ne remettant pas en cause la faillite étatique. Les partis semblent appartenir de plus en plus à une élite détachée des problèmes que combattent les associations et dont sont victimes certains citoyens.

Comment devant cette logique partisane les associations auraient pu trouver leur place ? En mettant de côté certains de leurs différends idéologiques et en proposant une offre politique commune et claire qui reprend les solutions données sur le terrain.

Les silos

L’évolution vers une vision de la société en “silos” n’a pas permis une lutte efficace à la fois pour résoudre les problèmes sociaux et lutter contre les populismes. Les grand silos que sont le monde partisan, les associations, les entreprises privées, la fonction publique, et les médias ne communiquent pas entre eux, ne travaillent pas ensemble et ne proposent donc plus de solutions concrètes. Le Front National profite de cette division fondamentale (auxquelles s’ajoutent les divisions sociétales, sociales, économiques, etc.) pour prendre de la place et gagner des voix et du poids politique et médiatique.

Aujourd’hui nous sommes devant ce constat d’échec : nos associations ne savent pas comment atteindre l’électorat d’extrême-droite, nous ne savons même pas comment lui parler, nous sommes incapables de proposer un vrai changement structurel et de nous engager dans un monde politique partisan gangrené par les logiques carriéristes.

J’avais dit que je ne proposerai pas de solution mais en tirant la ficelle de cet article des idées me sont venues. Il est clair qu’aujourd’hui il est trop tard pour empêcher le résultat des prochaines élections, qui, quel qu’il soit, n’empêchera pas la faillite de notre système étatique qui accroît les inégalités et ne propose pas de justice sociale. Notre seule chance avant les élections est de trouver un moyen de parler à la fois aux partis et aux électeurs.
Si nous essayons de voir plus loin que les prochaines élections, pour sortir justement de cette logique électoraliste, nous devons, nous, associations, réfléchir à une proposition globale. Un proposition qui fasse le lien entre tous les silos et qui comblent les fossés sociétaux. Il nous faut une proposition qui n’oppose pas entreprises et associations, partis et associations, secteur public et secteur privé, et dans lequel le système médiatique comprenne l’urgence que nous avons à réagir. Nous devons pour cela sortir de nos logiques individuelles et idéologiques et penser la lutte de manière globale et multi-sectorielle. Des initiatives existent déjà et il nous appartient de les rejoindre et les encourager (, et par exemple). Il est temps que l’engagement de millions de citoyens, que ce soit dans le bénévolat, le Service Civique ou le salariat associatif serve à avoir un impact plus grand et politique, que nos militants de terrain puissent avoir un réel impact global. A nous, associations, de faire le lien entre les silos et de sortir de notre dépendance à la faillite de l’Etat, pour le questionner et le redresser. C’est notre dernière chance pour prouver réellement notre impact.

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