Les différences entre médiation et vulgarisation
Dernière partie / La transmission comme culture
Hypothèse sur les différences entre deux actions culturelles complémentaires offrant à tous l’accès à la culture, ou presque…
Après avoir tenté de différencier la médiation et la vulgarisation à travers le schéma de Shannon & Weaver, nous nous attarderons sur trois autres notions qui semblent essentielles pour conclure sereinement cette comparaison.
Nous avons abordé la notion de vecteur de communication, à travers sa destination, les protagonistes et leurs comportements… Nous avons abordé la question des contenus transmis et de leurs sources.
Cependant, pour être complet, autant que nous puissions l’être, la communication est dépendante de trois points souvent dissociés :
- La modalité; c’est-à-dire le chemin;
- la perception; la réception faite par le destinataire;
- et l’engagement de ce dernier; car la communication n’est pas unidirectionnelle, elle est plurielle et intrinsèquement nourrie par l’échange. Sinon, elle ne serait que de l’information…
Nous tenterons donc de brosser un rapide diagnostic pour chacun de ces points.
La modalité
De toute manière, la communication, qui est à la base du phénomène social et culturel, suppose à la fois des moyens d’expression et des organes de perception. (…) Chez l’être humain, les modes de communication les plus aptes à être élaborés sont indiscutablement ceux qui s’adressent à la vue et à l’ouïe… (Jean Cazeneuve, Qu’est-ce que la communication ?, Les cahiers de la Publicité , 1963)
Que ce soit par des symboles, des icônes, des signes sous forme de messages, de citations, d’élocutions, nous sommes des êtres communicants qui manipulons/modelons de mieux en mieux nos messages sans forcément prendre conscience du panel d’outils que nous a offert, entre autres, notre culture et notre éducation.
Qui n’a jamais mieux appris par un contenu audiovisuel que par un ensemble de textes lu silencieusement ?
Nos “modes de communication”, faisant référence aux cinq sens de l’être humain (réception d’information) et aux différents moyens d’expression humains (émission d’information) n’ont jamais été aussi bien étudiés. D’ailleurs, les entreprises de l’audiovisuel l’ont bien compris et proposent de plus en plus de programmes maîtrisant les langages “para” et “non-verbal”.
Par conséquent, une modalité est une forme concrète, singulière d’un mode de communication. Par exemple, les accents sont des aspérités du langage mais avant tout des modalités du mode sonore.
Un acte de médiation passant par la rencontre physique d’individus, échangeant face à une oeuvre est avant tout un mode de communication relationnelle basée sur l’ouïe, la vue & le toucher, stimulée par la parole.
Mais intéressons nous à celles en vigueur dans les modes de communication contemporaine, facilitant la vulgarisation, c’est-à-dire ceux de la télévision, d’internet et du mobile.
On peut se rendre compte que l’action de vulgarisation s’exerce avant tout à travers des modes de communication à visée large; quand on considère l’impact, aujourd’hui encore des formats audiovisuels tels que “C’est pas sorcier”, “les dessous des cartes” ou certaines chaines de vidéastes vulgarisateurs, l’action de vulgarisation utilise pleinement des médiums de masse ou communautaire.
L’exemple de Youtube est parlant, l’activité ludique en plus : YouTube propose à chaque utilisateur de réaliser des contenus audiovisuels et de constituer des chaînes, d’ouvrir aux commentaires dans le but de générer des espaces de partage. Cette activité récurrente forme des communautés; des groupes de fans abonnés à telle chaine, des ensembles d’amateurs de tels contenus, etc.
L’action de médiation n’est pas conçue pour se diffuser largement; son coeur fondateur est l’activité sur un individu ou des groupes restreints (de la taille d’une classe de CM2 à un groupe de deux personnes). Une telle action personnalisée n’est pas encore technologiquement viable ; En revanche, sa modalité de communication historique, l’accueil en lieux d’arts est parfaitement adaptée…
Perception
La perception est tout simplement une opération des sens, sa définition l’affinant : “Opération psychologique complexe par laquelle l’esprit, en organisant les données sensorielles, se forme une représentation des objets extérieurs et prend connaissance du réel.” (définition du CNRTL)
Notre perception dépend donc des sens que nous utilisons ou ceux qui sont réquisitionnés par une action culturelle.
En dehors du fait que l’audiovisuel est sa modalité abondamment utilisée, le média de masse reste le vecteur le plus efficace dans la communication au plus grand nombre, il ne sollicite que la vue et l’ouïe; les autres sens sont laissés de côté, faute de technologies pouvant les investir. La “Télé” devenue média autoritaire trouve son Nemesis dans la rencontre, la “vraie”, c’est-à-dire l’interaction avec autrui.
Rappelons la définition du terme interaction; “Action réciproque qu’exercent entre eux des êtres, des personnes et des groupes” selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
Il est vrai que nous retenons davantage de connaissances, nous souvenons mieux lorsque nous sommes actifs face à un contenu.
Pourquoi la perception est facilitée par l’action faisant appel à une multitude de sens ou l’interaction avec autrui ?
Pourquoi l’interaction est-elle si recherchée, outre le rapport intrinsèque qu’entretient l’être humain avec le corps ?
Penchons-nous sur ce rapport humain qui facilite l’appréhension des savoirs et donc la perception que nous aurons des connaissances.
La perception est plus aisée si plusieurs de nos sens sont sollicités. L’interaction avec autrui, dans le cas précis avec une personne en charge de la médiation sollicite la vue (une oeuvre à contempler), l’ouïe (les informations transmises), le toucher (la mobilité lors d’une visite, sa place dans l’espace et par rapport aux autres). De plus, un individu est actif et fait partie d’une action de médiation; il en est le destinataire et le co-producteur.
L’acte de vulgarisation ne passe principalement que la vue et l’ouïe; car ces contenus sont majoritairement des contenus audio-visuels. Il est perçu de manière passive, souvent à son domicile dans une situation plus décontractée.
L’action de médiation serait-elle plus enrichissante que l’action de vulgarisation ? Notre perception est-elle tributaire de notre posture face aux contenus culturels ?
On entend souvent “Les Français veulent être au contact du réel”; phrase des plus communes; mais qui révèle bien une tendance profonde de notre société de communication : Nous souhaitons être de plus en plus actifs dans nos communications, ne plus subir une situation de communication mais en être acteur; faire partie d’un évènement…
Engagement
… Mais faire partie d’un évènement, c’est participer; cela signifie prendre part activement à quelque chose.
L’action de médiation et celle de vulgarisation n’appellent pas aux mêmes engagements : La médiation appelle à la participation active lors d’une visite ou d’une présentation de spectacles, par exemple.
Alors que la vulgarisation appelle davantage à un partage et aux commentaires à posteriori (sans omettre les vulgarisations sur des évènements (échanges avec la salle, etc.))
Malgré le fait qu’il soit tiré d’une application professionnelle dans le domaine du numérique, nous allons nous servir du Principe du 90/9/1 pour réfléchir à cette dernière comparaison. Rappelons rapidement ce qu’est le Principe des 90/9/1 : il illustre “le fait que sur certains espaces communautaires contributifs ou certains réseaux sociaux entendus au sens large, seule une très faible minorité des individus produit activement et régulièrement des contenus.” (www.definitions-marketing.com)
(…) On y considère alors que 90% des visiteurs / utilisateurs se contentent de consulter les questions et surtout les réponses postées, que 9 % postent ou répondent parfois et que seuls 1% sont très actifs. La règle a cependant le mérite de souligner l’importance des 1% de contributeurs qui produisent l’essentiel des contenus (…) (www.definitions-marketing.com)
Quels sont donc les différents degrés d’engagement entre ces deux actions culturelles ?
En dehors des modalités de participation, la médiation comme rencontre, la vulgarisation comme lecture d’un média audiovisuel (pour la plupart) rencontrent la même difficulté concernant l’engagement. Leur échelle semble similaires.
Un public se rend actif d’une action culturelle quand celle-ci touche à ses références culturelles, à son esprit critique et à son intérêt.
Entendons “intérêt”, sa définition de “ce qui importe à quelqu’un”, plus spécifiquement aux publics et non ceux des auteur·trice·s de ces contenus. De l’école de Marcel Mauss et Jacques Godbout et aux vues de cet engagement relativement difficile, je me permets cette remarque : nous sommes insensibles ou frileux à cette logique mercatique, issue de la logique de marché.
Cependant, si l’engagement des publics est nécessaire, il serait pertinent de s’intéresser à ces publics sans les segmenter, ni les identifier par la demande mais bien par leur intérêt : État d’attention de l’esprit, inspiré par quelque chose qu’il juge important, captivant, qui répond à sa curiosité, (…)(Définition du CNRTL)
… Qu’inscrivent-ils sous le mot “Culture” ?
La complémentarité, née de leurs différences
À l’heure où le numérique investit davantage l’expérience utilisateur que le “Contenu roi”, l’”Expérience reine” trouverait son confort dans la culture. Aux antipodes d’une logique où “culture = produit”, l’action culturelle ne cesse de privilégier l’expérience des publics.
Que ce soit par la vulgarisation ou par la médiation, la culture se voit équipée de deux actions culturelles différentes mais complémentaires :
La médiation comme un évènement, synonyme de rencontre où la personne est actrice de la médiation; où elle est active face aux contenus (et la médiation cherche de plus en plus à la rendre active face aux oeuvres).
Portée par une professionnalisation exigeante, la médiation culturelle propose un dispositif favorisant un “moment” d‘échanges où les sens sont mis à rude épreuve.
L’exercice est de se confronter littéralement aux oeuvres; la médiation aidant à se faire son opinion.
La vulgarisation comme une sucrerie, agréable instant de connaissances où la personne passive s’aventure à découvrir, installer ou étoffer des savoirs.
Séduits par la force captivante du média audiovisuel, les publics peuvent goûter à toutes les disciplines et se faire petit à petit leur avis sur leurs intérêts.
Inscrite par “ceux qui aiment”, la vulgarisation apporte une action plus horizontale privilégiant le partage et la dissémination.
L’exercice est de faire découvrir des oeuvres; plutôt que de les expliquer précisément, incitant à passer la porte des lieux culturels, elle-même ouverte par la médiation culturelle.
Merci.