3 Questions sur le décret du 05/12/2016 à Rubin Sfadj

GenerationLibre
4 min readDec 9, 2016

Dans quel contexte intervient ce décret du 5 décembre 2016 ?

Ce décret s’inscrit d’abord dans la tradition de la Ve République d’un pouvoir exécutif puissant. Le contrôle de la justice par l’Etat n’est pas nouveau : depuis le décret du 22 décembre 1958, les services judiciaires évoluent sous le contrôle d’une inspection générale sous l’autorité du Ministère de la Justice.

Depuis sa création, l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) a fait l’objet de micro réformes successives et assez régulières. Le décret du 9 juillet 2008, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, avait déjà attiré l’attention en soulevant la question de la compétence de l’inspecteur général. Le décret avait toutefois pris soin d’écarter la Cour de cassation du champ de contrôle de l’inspecteur en rappelant qu’il n’était compétent que pour les juridictions des premier et second degrés.

Si le système mis en place en 1958 était déjà contestable au nom de la séparation des pouvoirs, le décret du 5 décembre 2016 est d’une extrême gravité pour la démocratie.

En gommant la distinction entre les différents degrés de juridiction, le décret place l’ensemble du système judiciaire — Cour de cassation comprise — sous le contrôle de l’inspecteur général. En niant le caractère souverain de la Cour de cassation, et sa capacité à se contrôler elle-même, sans même parler d’effectuer en interne les contrôles disciplinaires des degrés inférieurs, ce décret porte gravement atteinte à l’indépendance de la justice.

Ce contrôle accru de l’exécutif sur le judiciaire s’inscrit, par ailleurs, dans un contexte plus large. Depuis plus d’un an, que ce soit dans le cadre de l’état d’urgence ou de la loi Renseignement, le législateur a fait le choix de confier aux juridictions administratives les missions de contrôle. C’est ainsi le Conseil d’État et non la Cour de cassation qui est compétent pour contrôler la mise en œuvre de l’état d’urgence.

En quoi consiste ce contrôle de l’exécutif sur la Cour ?

De façon assez générale, l’inspection générale des services judiciaires poursuit une mission de contrôle du fonctionnement et de la performance, une activité d’évaluation et de conseil afin de mieux évaluer l’impact ou la faisabilité d’une réforme par exemple, une mission d’audit interne pour le Garde des Sceaux.

Plus spécifiquement, c’est au sujet des enquêtes administratives que le bât blesse. Sur saisine du Garde des Sceaux, l’inspecteur est compétent pour diligenter des enquêtes disciplinaires sur des magistrats. Avec ce décret du 5 décembre 2016, le Ministère de la Justice pourra désormais arbitrairement décider de lancer une enquête disciplinaire sur un magistrat de la Cour de cassation.

Un tel dispositif, bafouant le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, n’a jamais existé dans l’histoire de la République française.

Quelle est la motivation derrière cette initiative, et quels sont les risques ?

Les magistrats de la Cour de cassation étant les juges en dernier recours en matière judiciaire, c’est-à-dire civile, commerciale et pénale, ce décret offre un moyen de pression extrêmement puissant en cas de conflit d’intérêt ou « d’affaire » contre un élu ou un « protégé » du gouvernement, par exemple.

Avant le décret du 5 décembre 2016, la Cour de cassation pouvait encore jouer le rôle de garde-fou en cas d’enquêtes administratives de l’exécutif abusives en premier ou deuxième degré. Désormais, la mainmise de l’exécutif sur le judiciaire s’étend jusqu’à l’échelon le plus élevé du système judiciaire.

À quelles suites faut-il s’attendre ?

Tout d’abord, notons la réaction très vive et inhabituelle du premier président et du procureur général de la Cour de cassation, qui ont appris en lisant le Journal officiel la parution de ce décret ! Il semble impossible qu’ils ne soient pas reçus par le Premier ministre sur ce sujet.

Des suites légales sont à attendre. Le 8 décembre, le syndicat FO-Magistrat a engagé un recours en référé devant le Conseil d’État pour demander la suspension du décret du 5 décembre 2016. D’autres syndicats devraient probablement suivre.

Au Conseil d’État désormais de se prononcer sur la légalité des pouvoirs de l’inspection des services judiciaires au regard des principes fondamentaux de l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs.

Rubin SFADJ est avocat aux barreaux de Marseille et NYC et expert pour le think-tank GenerationLibre.

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