Khao San Road

4_ Bangkok, Khao San Road 2/3

Hood
7 min readApr 20, 2016

Le groupe s’y retrouve, à l’heure convenue, parsemé dans cet entre-deux, cet espace indéterminé. Il n’existe pas de limite entre le trottoir et l’intérieur de l’hôtel, juste trois pauvres marches, l’air circule, le regard traverse, aucune porte ne marque l’entrée. Une caractéristique récurrente des bâtiments, idéal pour les ventiler, pour diluer la chaleur pesante.

Utile pour les hôtels, les résidences, préoccupant pour les hôpitaux publics. Encore plus lorsque les oiseaux y volent paisiblement, sans déranger personne, les divertissant au contraire, les amusant. L’exotisme n’est toujours pas mort. Il a la peau dure.

Le programme du jour est un classique du genre : virée dans un de ces gigantesques centre commercial dont Bangkok regorge, balade en tuk-tuk, arrêt inévitable chez le tailleur, visite d’un marché local. Le touriste dans toute sa grâce, peinant à rentrer son fessier boursouflé à l’arrière du tuk-tuk, le cousin motorisé du pousse-pousse.

Trois personnes peuvent y rentrer, plus le chauffeur, péniblement protégé des caprices de la météo par une frêle bâche sur le toit. Le touriste se plaît à conter ses exploits d’entassement, d’agglutination dans ce véhicule étroit, vos compatriotes porteront le chiffre à 7, glorieux fait d’armes burlesque.

Le prix se fixe au départ, négociable bien heureusement, une fois et demi plus cher qu’un taxi lorsque les combines sont ignorées. La plus connue consiste à faire un arrêt pendant la course dans un quelconque magasin, le chauffeur empochant alors un ticket d’essence gratuite. Ou sinon, il fonctionne à la commission, justifiant le tarif dérisoire pour se rendre à une attraction immanquable, prix qui décuple magiquement pour le trajet en sens inverse.

En résumé, une arnaque aisée, pour des avantages limités. Une vitesse réduite, guère plus qu’un taxi, les sensations en plus, entre demi-tours sauvages et passages forcés. Le seul bénéfice sera le sentiment d’avoir fricoté avec le danger, de s’être encanaillé, de raconter une anecdote savoureuse. Risibles motifs.

Aujourd’hui le groupe en a décidé ainsi, aujourd’hui il est impératif se rendre au Siam Center en tuk-tuk, une expérience unique. Ne contrariez pas leur plan, mais sous ce ciel menaçant un taxi aurait mieux fait l’affaire. Doute raisonnable, confirmé par la lourde pluie accompagnant la demi-heure de trajet. Une manière originale de prendre sa douche matinale. Seuls ceux laborieusement installés au milieu en échapperont.

Enfin arrivés, grimpez prestement dans le Siam Center. Sage décision. Franchir dix milles kilomètres, subir six heures de décalage horaire, atterrir dans un pays intriguant, pour finalement retourner dans sa zone de confort, en voila un choix intelligent. Enfermés pour deux heures dans un de ces temples de la consommation mondialisée, tous plus similaires les uns aux autre, errez sans but avec Tom.

Contemplez ces formes rondes, « futuristes » selon le Routard, testez tous les escalators, déambulez dans cet immense frigo, alignant dans une grande tristesse les mêmes enseignes occidentales, à peine plus abordables. Tuez le temps. Faites le tour de tous vos potentiels points d’intérêts, soit presque rien. Sortez du complexe, parcourez le pâté de maison, ou plutôt de gratte-ciel, retournez servilement à l’intérieur attendre l’heure convenue.

Découvrez avec grand bonheur, toute l’immensité sémantique cachée derrière la triviale expression « va et vient ». Malgré l’immensité des lieux, la promenade se boucle vite. Paradoxal pour 10 000 m² de surfaces commerciales. La réalité n’arrive pas à rattraper l’abstraction. Sept niveaux différents, avec des liens à deux autre centres commerciaux de même envergure, et deux lignes de métro.

Un microcosme, un micro-état. La seule devise : le baht. Devise abondante pour vos quatre compagnonnes devaient s’empresser de dépenser dès la première heure du premier week-end bangkokais. Comprenez, faire leur shopping était un désir irréfrénable, à satisfaire dans l’immédiat. L’attente n’était pas envisagée. La vôtre guère plus.

Après deux heures d’ennui, retrouvez, soulagés, vos comparses. Exprimez vos réserves sur l’organisation matinale. Séparez alors le groupe en deux, pour satisfaire le plus grand nombre, marquant le rendez-vous du groupe en fin d’après-midi. Le duo masculin est augmenté par l’arrivée de Justine et Iris. A quatre, l’inertie n’en est que plus grande.

Embarqués sur un tuk-tuk, partez vers le fleuve, sa traversée constituant une activité louable. Arrivés sur les quais, le chauffeur intime au groupe de monter sur le bateau, pour un prix prohibitif annihilant toute velléité. Il insiste assez lourdement, refusez, restez sur cet embarcadère le temps nécessaire pour observe le Wat Arun trônant sur la rive opposée.

Face à cet échec cuisant, retournez sur vos pas. En chemin, un rabatteur s’approche, tout sourire, prêt à aider le groupe en détresse, tendant un plan de la ville, détaillant toutes les activités possibles. Lorsqu’il comprend que ses services ne seront pas requis, il retire brusquement la carte de vos mains, exposant votre vulnérabilité dans ce milieu hostile.

Elle s’amplifie à l’instant où le tuk-tuk, pour le même trajet dans le sens inverse, annonce un prix fantastique. Devant la suspicion générale, il expliquera les rouages du pernicieux système. Son truc à lui, c’est un tailleur, relégué entre deux axes infernaux. Justement, Tom cherche à se procurer un costume à bas prix, pour un mariage. Il en commandera deux, disponibles d’ici trois semaines.

Durant le trajet du retour sympathisez avec le chauffeur. Au guidon de son triporteur, il est hilarant et volubile. Un condensé de clichés. Il connaît vos villes respectives, Eindhoven et Marseille, il parie sur le foot, l’Olympique joue ce soir même. Serviable, souriant, prêt à rendre service, devançant vos plus profondes attentes.

Un joyeux guignol divertissant. Comme la plupart des chauffeurs de tuk-tuk, il possède un de ces dépliants vantant les mérites de ces prétendus salons de massages traditionnels et en fait une promotion dévote. Il ne prend même pas la peine de mentir. C’est un bordel. Point final.

Mais le déguisement est assez délicieux, la pudeur est de mise. Les attributs de ces femmes de grande vertu sont délicatement dissimulés derrière de grossières étoiles rouges à bords jaunes. Au cas où le doute subsisterait quant à la fonction cet honorable établissement.

Deux heures de plaisir intense, massage, douche, et bien sûr l’inévitable happy ending, avec deux charmantes demoiselles, le tout pour un montant de 3000 baths, ou 75 euros. Quoiqu’il ne soit plus certain du prix, voila bien deux années qu’il ne fréquente plus le salon, en ancien habitué repenti.

Il insiste plutôt lourdement, montre constamment les photos du dépliant, appuyées par de larges œillades, l’offre en cadeau, au cas où. Amusés par cet extravagant, prenez son numéro au moment de la séparation, il ferait un bon chauffeur, à condition qu’un de ses détours ne mène vers un de ces salons décadents. Quelques uns en ont fait déjà l’expérience fortuite.

Arrivés à l’hôtel, soyez le seul à profiter de la piscine, répit bienvenu après une journée de sueur continue. Le reste du groupe préfère mettre leurs corps à l’épreuve, en visitant un marché local à proximité, fixant le rendez-vous final à vingt heures. Barbotez paisiblement, faites la connaissance d’un couple français, glissant des conseils de voyages, ils reviennent du Nord, d’un petit village charmant, Pai. Conversez un peu, avant de rejoindre la chambre.

20 heures arrivent avec la promesse d’un nuit débauchée. Premier arrêt, des plus évidents, le restaurant. Premier réflexe de Janina, l’allemande, déclenché à l’approche de chaque restaurant où l’attente sera plus que passagère ; la recherche effrénée d’un réseau wi-fi libre, la quête de son mot de passe providentiel.

Une peine d’en arriver là, d’essayer en vain de capter cette onde volatile, ce Saint Graal de la connexion avec son douillet et sécurisant chez-soi. A ce compte là, autant ne pas voyager, rester à la maison, ne pas prendre de risques, ne pas sortir du droit chemin, ne pas faire d’erreur, avoir une vie propre, policée, rangée fuyant l’aventure comme la peste.

Elle aurait économisé un peu d’argent si chèrement gagné, pour, qui sait, prendre un crédit sur 30 ans et se condamner à un éternel ennui. Elle éviterait ainsi d’étaler sa profonde bêtise devant vos yeux et de provoquer un dévastateur effet Domino. Comme lors d’une réception mondaine, doté de son élégant buffet de petits fours et de coupes de champagne, encore vierges de toute attaque vorace, quand un vaillant pionner s’élance de tout son être briser cette si belle et paisible harmonie. Dans une ambiance silencieuse, chacun consacre plus d’attention à ses amis virtuels qu’à son plat ou même son voisin. L’ignorance est de mise.

La seule résistance possible est d’engager la conversation, autrement qu’en pianotant débilement sur son clavier virtuel. Qu’il est loin le temps où l’on sabotait des rails pour résister. A chacun son époque, à chacun sa gloire. Sauf que la votre prend un tour bien ridicule.

Regrettez de n’avoir envoyé un coup de pied retourné dans le portable de cette berlinoise, en souvenir des légers différends entre vos deux patries. Par respect de son risible rectangle noir satiné ,estampillé d’une prétentieuse pomme croquée, et de vos adducteurs, écartez cette vision martiale de votre esprit, pour se concentrer sur votre cocktail, faute d’options plus alléchantes.

Après un repas passable et deux cocktails opportuns, l’heure de se mettre aux prises avec la nuit, de défier Khao San, est arrivée. L’heure d’entrer dans un anonymat le plus complet, autorisant une liberté inédite, une perte totale de dignité. La déchéance humaine s’y exprime pleinement, il suffit de se poser pour l’observer, dans ses nuances.

Une récurrence est la corrélation entre les gens festoyant dans Khao San et les personnes fréquentant les divers établissement ayant à voir de près ou de loin avec l’industrie du sexe. Votre groupe n’y fera pas exception, connaissant déjà sa destination finale : le Ping Pong Show. Une préparation, un échauffement est souhaitable avant de passer les portes de ce lieu sordide.

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