Singburi

5_Volontariat, Quotidien et Quiétude 4/4

Hood
5 min readMay 25, 2016

La situation s’améliorera, lors du déménagement pour la Twin House, épicentre d’une micro-activité, principalement un bar/restaurant détenu par Dan et sa femme. Proches de Greenway, leur affaire est lucrative, possédant aussi le bar de la Brown House.

Leur fils de treize ans les aide servilement à satisfaire toutes les requêtes des volontaires, aussi bien culinaires qu’éthyliques. Tout moyen est bon pour gratter quelques baths, aussi proposent-ils de laver les vêtements, de masser les corps douloureux, de réserver des taxis, d’organiser des excursions à Kanchanaburi pour découvrir fameuse pour son parc naturel et ses cascades, sa rivière Kwaï et son mythique pont.

Faites régulièrement appel à leurs services, soit pour fuir la fade nourriture végétarienne offerte à l’heure du thé, soit pour tromper l’ennui en compagnie de bières et buckets, surtout en fin de semaine.

Les distractions sont limitées. Le samedi matin, un songtheaw dépose quelques désireux en ville. Il n’y a rien de plus à y faire, des allers-retours entre la piscine et le centre commercial, de rares excursions dans les bars locaux en soirée. Sans moyen de transport, difficile d’y parvenir. Une fois un taxi s’en chargera, une autre l’entraîneur de boxe thaï se proposera, la dernière une des coordinatrices conduira le groupe sur les chemins de l’ébriété.

Le déroulement de la soirée est sensiblement le même, à chaque occasion. Un premier bar, un second, puis échouez finalement dans la boîte de nuit locale. La première expérience s’est révélée d’un grand burlesque. Traînez — avec le même gang qu’à Bangkok dans un bar miteux — vierge de toute présence, où un chanteur local s’égosille face à ses chaises vides.

Décampez prestement, trouvez du réconfort dans un bar animé — le plus populaire de la ville — où un match de football anglais est diffusé en direct, sur une grande bâche. Un groupe joue des classiques d’ici et d’ailleurs, le souvenir de ces heures enjouées demeure confus aujourd’hui, quant à l’origine et la langue des chansons. Etaient-elles chantées en thaï, reprenaient-ils des « tubes » anglophones à leur sauce, ou bien n’étaient-ce que des succès thaïs, inconnus des profanes ?

Restez-y jusqu’à atteindre l’état propice à endurer des lumières tamisées et une musique d’un goût douteux, pour partir hanter les pistes de la boîte locale. Très vaste, elle se remplie progressivement ; avec une part importante de lady boys, ne manquant pas de mettre mal à l’aise, par leurs regard appuyés, leurs sourires évocateurs, et les caresses qu’ils déposent sur vos mains, lors des brefs frôlements sur le chemin des toilettes.

Tom, présent à ce moment, tirera une grande fierté, une immense joie dionysiaque, trop fier d’en embrasser un avec Janina. N’étant pas de nature à tenter ces rapprochements, ni dans l’ambiance, le reste du groupe décide vider les lieux ; où la plupart des yeux sont tournés dans votre direction, laissant vos deux congénères à leurs occupations.

Naïvement, pensez qu’il reste encore des taxis traînant à la gare routière, en cette heure avancée de la soirée. Bien heureusement, ils ont tous retrouvé leur femme et logis depuis longtemps.

Pour pimenter à la situation, n’ayez strictement aucune idée ni de l’emplacement de la Lemon House, ni le nom du plus proche village, ni même la plus faible intuition quant à la direction à emprunter. Lemon House est votre seul référence, répétée comme un mantra abscons, incompris par vos divers interlocuteurs. Près de la station de gare réside votre seul espoir, un 7/11 encore ouvert.

Si, historiquement, cette chaîne fut baptisée de la sorte, ce fut pour sa propension à indiquer ses horaires dans son sigle, trouvaille ingénieuse.

De l’histoire ancienne aujourd’hui, les horaires d’ouverture et de fermeture demeurent incertains, soupçonnez que ce concept ne soit plus qu’un vague et indéfini souvenir. Armé de votre désespoir, de votre téléphone intelligent, et de votre anglais balbutiant, tentez de communiquer avec les employés. Aucun d’eux ne parvient d’ailleurs à comprendre, ils essayent d’aider, une conversation sans issue.

Cherchez à leur montrer une carte sur une application de géolocalisation mais ne possédez ni Internet et eux ni le wi-fi. Cuisant échec, une impasse se profile, il semble que personne n’ait jamais entendu le nom de Greenway, ni même Lemon House.

L’espoir est presque éteint, au moment débarque de l’inconnu, un thaï — tel un Deus es Machina — prétendant savoir où se trouve la résidence. Il a d’abord une affaire à conclure, et promet de revenir avec son pick-up, d’ici à vingt minutes. Outre l’essence étrange d’une course tellement urgente qu’il doive l’accomplire à deux heures du matin, le groupe n’est pas perturbé. Son faible talent de négociateur, rabaissant son prix à la première proposition, aurait alerter vos attentions.

Dans une confiance aveugle montez à l’arrière, dès son retour hatif. Les notions géographiques du groupe nulles en temps normal, inutile de préciser qu’elles flirtent à cet instant, avec le néant. Il roule, dix, vingt, trente minutes ; suspectez-le d’une ignorance complète et totale sur la position de la Lemon House, face à l’absence criante des points de repères habituels du trajet, malgré tout familiers.

Au moment où il s’arrête à une station essence pour demander son chemin, réaliserez son total égarement dans la sombre et campagne thaïlandaise, silencieuse et menaçante.

Il roulera encore, au gré de son instinct et de l’insouciance générale. Restez sereins, insouciants, pensez que la situation est sous contrôle, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Reconnaissant sa faillite, le chauffeur arrêtera son embardée insensée à un poste de police, plus au fait de la géographie locale.

Chantal, une allemande, se charge des négociations durant une demi-heure ; persistez lâchement avachi à l’arrière du pick-up, en charmante compagnie. Après ces longues minutes, elle réapparaît accompagné d’un policier. Pensez qu’il indiquera la route à votre chauffeur de fortune, loin s’en faut, il se chargera lui-même de raccompagner le groupe surpris, dans son véhicule de fonction.

L’infortuné chauffeur, restera là, pantois, penaud, perdu dans la cambrousse, sans même s’être enrichi un peu, la majorité du groupe refusant de lui laisser une quelconque rétribution. Somnolez sur le chemin du retour, s’avérant le bon.

Vos deux collègues précéderont votre arrivée de quelques minutes à peine, eux aussi raccompagnés par la police. Plaisante coïncidence. L’esprit apaisé, corps éreinté après ce périple nocturne d’une heure et demi, plongez dans le royaume des songes, refuge merveilleux face à l’ennui dominical inexorable.

Car, dès le seuil de la porte franchi, le dimanche impose sa mélancolie crasse. Personne pour mener les désireux en ville, et quand bien même il y aurait, les distractions sont toutes épuisées le samedi.

Les nouveaux volontaires n’arrivent que le soir, et ceux en vadrouille décuvent encore dans leur piteuse guest-house sur Khao San Road. Attendez la nuit, et le retour de l’animation dans la résidence, retrouvant la routine confortable de la semaine s’annonçant. Un éternel recommencement.

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