L’Europe face à la Chine

Ifri
4 min readMar 25, 2019

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Alors que les tensions entre Chine et États-Unis se renforcent, Pékin tente de se rapprocher de l’Europe. Une offensive de charme a été lancée depuis près d’un an à l’égard de nombreux États membres, y compris la France. La communication officielle chinoise évoque l’existence d’un « triangle stratégique États-Unis — Chine — Europe », en soulignant les points de divergence entre les États-Unis et l’Europe, et en insistant sur les points de convergence entre la Chine et l’Europe. Si celles-ci sont toutes deux critiques vis-à-vis de certaines décisions de l’administration Trump (retrait de l’accord sur le nucléaire iranien, de l’accord de Paris sur la lutte contre le changement climatique, mise en cause de l’Organisation mondiale du commerce, et blocage de l’« organe d’appel » de l’« organe de règlement des différends » de cette même institution), force est de constater que les divergences entre l’Europe et la Chine demeurent plus fortes que celles existant entre l’Europe et les États-Unis, et qu’elles tendent à se renforcer sur les questions économiques, politiques, idéologiques, mais aussi technologiques et de gestion urbaine, dans un contexte de contrôle accru de la population chinoise sous la présidence de Xi Jinping.

Divergences économiques persistantes

Fin 2018, les pays européens sont parvenus à un accord sur la mise en place d’un mécanisme de contrôle des investissements directs étrangers. Pour remarquable qu’il soit, notamment en raison de la rapidité avec laquelle il a été négocié, le dispositif demeure relativement peu contraignant. Toutefois, il atteste des inquiétudes qu’a suscitées la multiplication sur le sol européen des investissements étrangers — en premier lieu chinois — dans des secteurs considérés comme stratégiques par les États membres (énergie, télécommunications, nouvelles technologies, robotique, etc.). Ces inquiétudes émergent dans un contexte plus général d’asymétrie persistante en termes d’accès au marché — le marché chinois demeurant plus fermé aux entreprises européennes que l’inverse — et d’omniprésence du Parti communiste chinois dans l’économie.

Divergences technologiques émergentes

Un point de divergence émergent concerne l’usage, par les États, des nouvelles technologies et des données des citoyens. La montée en puissance de la Chine comme un des pays leaders du big data et de l’intelligence artificielle, et la place des entreprises numériques chinoises dans le tissu économique européen (à l’instar de Huawei dans le développement des infrastructures 5G) soulèvent de plus en plus d’interrogations. Alors que la Chine promeut son propre concept de smart cities (villes connectées, intégrant systèmes de vidéo-surveillance, de reconnaissance faciale et potentiellement de fichage et notation des habitants), la question du mode de gestion de certaines villes européennes, notamment celles qui pourraient être assistées par les entreprises chinoises dans leur modernisation, se pose.

Questions de méthode pour 2019

La relation Europe-Chine demeure en outre complexe compte tenu des désaccords persistants entre États membres quant à l’approche à adopter vis-à-vis de la Chine. Ainsi, certains pays comme la Grèce ou la Hongrie ont adhéré officiellement et avec enthousiasme au projet phare du président Xi Jinping dit des « Nouvelles routes de la soie », tandis que d’autres se montrent plus circonspects, comme la France ou l’Allemagne.

Dans ce contexte, plusieurs questions d’ordre méthodologique se posent à l’Europe :

Tout d’abord, face à l’activisme chinois (dans le domaine économique mais aussi institutionnel et conceptuel), l’Europe est-elle condamnée à n’agir qu’en réaction ? Ne devrait-elle pas être plus souvent force de proposition ? C’est dans cette logique que la Commission européenne a proposé en septembre 2018 une « plate-forme de connectivité Europe-Asie », dont l’objectif est de renforcer l’offre européenne en matière d’infrastructures (transports, digital, etc.) et de normes. C’est également dans cette logique que l’Europe pourrait renforcer son offre en matière de smart cities, selon sa propre conception de la gestion des villes et de la protection des données personnelles.

Plus concrètement, comment l’Europe peut-elle mieux formuler et défendre ses intérêts face à une diplomatie chinoise qui n’hésite pas à aborder les États membres en bilatéral ou dans le cadre de groupes de pays européens qu’elle a créés (tels le « 16 + 1 » qui réunit 16 pays d’Europe centrale et orientale, et peut-être un jour la Grèce) ? Un moyen pourrait être de renforcer les échanges de bonnes pratiques d’ordre méthodologique face à la Chine. Cela a été fait à l’occasion du premier sommet sur les Routes de la soie de mai 2017 : les pays déjà sollicités par la Chine pour signer un accord-cadre (Memorandum of Understanding) ont partagé leur expérience avec d’autres États membres approchés à leur tour par Pékin. Les sollicitations de Pékin devant s’étendre à l’avenir, surtout dans la perspective du forum des Routes de la soie en 2019, une telle coordination est d’autant plus utile.

Alors que les États-Unis ont opté pour une politique de sanctions, considérant que les tentatives de dialogue développées auparavant avec la Chine n’ont pas mené à des résultats probants notamment en termes d’ouverture du marché chinois, l’UE a choisi jusqu’à présent le dialogue. Mais la question des conditions du maintien de ce dialogue reste posée.

Une chose est pourtant sûre : dans un contexte de tensions renforcées entre Pékin et Washington, l’importance du marché européen pour les entreprises chinoises apparaît d’autant plus cruciale. Les capacités de négociation de l’Europe face à la Chine sont aujourd’hui significativement plus importantes que par le passé. Reste à voir comment en tirer le meilleur parti.

Alice EKMAN, Françoise NICOLAS et John SEAMAN, Centre Asie de l’Ifri

Pour aller plus loin, retrouvez l’étude collective de l’Ifri : Élections européennes 2019 : les grands débats. Thomas GOMART, (dir.) , Marc HECKER, (dir.), février 2019.

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