Où en est la défense européenne ?

Le volet défense de l’Union européenne (UE) — la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) — a connu des avancées importantes depuis 2016. On peut citer le lancement de la Coopération structurée permanente (PESCO) ou encore la création du Fonds européen de défense. L’UE avance également vers l’établissement d’un quartier général permanent, un projet longtemps bloqué par les Britanniques. Par ailleurs, la Stratégie globale adoptée en 2016 souligne « l’ambition de doter l’Union européenne d’une autonomie stratégique[1] ». Cependant, bien que ces avancées soient réelles, de nombreuses interrogations persistent lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité de l’Europe. Les Européens devront ainsi répondre à au moins quatre questions.

Ifri
4 min readApr 4, 2019

Défense européenne et défense de l’Europe

La première question — fondamentale — a trait à l’articulation entre défense européenne (PSDC) et défense de l’Europe (Organisation du traité de l’Atlantique nord — OTAN), à l’heure où de plus en plus de doutes pèsent sur le lien transatlantique. Il convient en effet de ne pas oublier que la PSDC ne couvre qu’une partie de la défense du continent. Quelle sera la division du travail ? Et comment peut-on garantir la cohérence dans la mesure où les mêmes forces nationales sont sollicitées par l’UE et l’OTAN ? Derrière ces interrogations plus techniques se cache évidemment la question du rôle futur des États-Unis dans la défense de l’Europe. La sécurité collective des Européens étant largement garantie par Washington, quelles seraient les conséquences d’un retrait partiel des États-Unis, à la fois de l’OTAN mais aussi de leurs importants engagements bilatéraux en Europe ? Partant du principe que le système international est en train de changer de façon structurelle en raison notamment de la montée en puissance de la Chine, cette question se posera même si Donald Trump n’est pas réélu président en 2020. Quel que soit le résultat de ces élections, il semble peu probable que Washington maintienne son niveau d’engagement actuel. Quelle sera la réponse de l’Europe et quelles seront les implications pour la défense européenne ?

Des priorités stratégiques divergentes au sein de l’UE

La deuxième question est intrinsèquement liée à la première : comment rassembler les pays Européens autour d’un même niveau d’ambition pour la défense européenne et donc faire vivre les ambitions de la Stratégie globale ? Le débat autour de la notion d’autonomie stratégique le montre bien : les priorités de défense divergent au sein même de l’Europe. Ainsi, les pays qui regardent principalement à l’Est privilégient la défense territoriale et donc l’OTAN. Pour ces pays-là, l’autonomie stratégique de l’UE — dont les activités ne comprennent, par définition, pas la défense collective — ne répond tout simplement pas ou trop peu à leurs besoins fondamentaux de sécurité. Conscients du fait que l’Europe ne pourra pas répondre seule à une éventuelle menace russe, Varsovie, Bucarest ou encore Stockholm sont sceptiques à l’égard de tout ce qui risque de fragiliser le lien avec Washington. La question se pose évidemment moins dans un contexte français, où le terme « défense » fait principalement référence aux « opérations extérieures » et où la dissuasion est assurée par l’arme nucléaire nationale.

Rassembler tous les Européens autour d’une idée partagée du niveau d’ambition de la PSDC constitue donc une clé du succès. Il conviendrait de clarifier, dans un premier temps, l’objet même de cette autonomie stratégique européenne. Quelles sont les tâches que les Européens veulent et doivent assumer seuls, sans les États-Unis ? Et comment convaincre les sceptiques que la capacité d’agir seuls n’est pas dirigée contre Washington mais contribue au partage du fardeau transatlantique ?

L’autonomie stratégique en question

Troisièmement, et à un niveau certes plus technique, comment s’articuleront les différentes initiatives lancées ces derniers temps, certaines à l’intérieur du cadre UE ou OTAN, d’autres en dehors ? Quel lien par exemple entre la PESCO, l’Initiative européenne d’intervention lancée par Paris, le Framework Nations Concept porté par les Allemands ou encore la Joint Expeditionary Force conçue à Londres ? Quel pourra être le rôle de pays tiers dans un contexte UE, en premier lieu la Grande-Bretagne, mais également le Danemark ou la Norvège ?

Et quatrièmement, comment devront s’articuler autonomie stratégique nationale et autonomie stratégique européenne ? Dans un contexte français, cette question touche tout d’abord à la dissuasion nucléaire et à la dimension industrielle. Elle est encore loin d’être résolue.

En conclusion, les avancées de la PSDC sont remarquables. Cependant, force est de constater qu’afin d’assurer la sécurité du continent européen, il reste du chemin à parcourir. Au vu d’un environnement stratégique qui se détériore et d’un lien transatlantique plus qu’incertain, le débat ne fait que commencer.

Barbara Kunz, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri.

Pour aller plus loin, retrouvez l’étude collective de l’Ifri : Élections européennes 2019 : les grands débats. Thomas GOMART, (dir.) , Marc HECKER, (dir.), février 2019.

[1]. Lire « Vision partagée, action commune : une Europe plus forte. Une stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne », European Union Global Strategy, 2016, p. 3, disponible sur : https://europa.eu.

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