“Je vis ici, je reste ici”

Depuis septembre 2013, les sans-papiers Afghans squattent l’église du Béguinage à Bruxelles. Ils y vivent “comme des gitans” mais ne partiront pas sans leur titre de séjour.

Jade Lemaire
3 min readMay 15, 2014

À l’extérieur, une église comme les autres. Un peu grande peut-être… Mais une fois passée la lourde porte rouge, on tique face à la multitude d’affiches et de tracts qui ont envahi le narthex. Et surtout face à cet écriteau, simplement posé à terre :

Et puis on avance, timide, vers la nef. Quel côté choisir ? Les deux ont été soigneusement séparés, une ribambelle de paravents au milieu. La droite est presque normale : des rangées de chaises attendent bien tranquillement les fidèles sous l’imposante chaire de bois somptueusement travaillé. À gauche : des tentes, des couvertures… et des cerfs-volants.

“Le Béguinage, c’est une église politique.”

Jeudi 8 mai. L’excitation est à son comble. Demain, c’est la journée de l’Europe, mais surtout la “manifête” de “l’église des pauvres”. Les Afghans réfugiés là pourront une fois de plus exprimer leur désir de solidarité. Cette fois, pas de grande marche : on mettra plutôt à l’honneur la richesse de la culture et de l’artisanat afghans. D’où les cerfs-volants.

Zohrodin vient d’un village à 30 km de Kaboul. Un “endroit sûr” d’après les autorités belges. Mais s’il a quitté famille et travail, c’est bien parce que là-bas, il avait peur. Peur de mourir.

“J’ai été honnête avec eux, moi. J’ai pas menti en disant que je venais d’ailleurs, de quelque part où ça craint vraiment, pour qu’ils me donnent des papiers. Ça fait maintenant six ans que je suis ici et j’ai eu sept réponses négatives à ma demande d’asile.”

Il tend l’enveloppe qui contient le dernier refus :

“Ça tu vois, c’est pire qu’une arme.”

Quand on lui demande jusqu’à quand il compte rester ici, il répond d’un air décidé :

“Au moins jusqu’aux élections. Si Maggie De Block (voir note ci-contre) reste, alors on reste aussi. Elle n’a qu’à y aller à Kaboul, elle, et voir si c’est pas dangereux. Aref a été expulsé, et il est mort là-bas.”

“On veut pas la guerre”

Zahim vient lui aussi de Kaboul… et sa demande a été rejetée pour la même raison : Kaboul est une ville sûre.

“Mais qu’ils réfléchissent deux secondes ! Si c’était si sûr, on ne serait pas partis ! J’avais un travail moi, je n’avais pas de problème d’argent… si je suis parti c’est parce que je risquais ma vie là-bas.”

“Le pire, c’est que maintenant on ne peut plus aller ailleurs. On est coincé ici : ils ont nos empreintes digitales.”

Le mouvement a réuni plusieurs centaines d’Afghans au sein de l’église. Mais ils ne sont plus aujourd’hui qu’une trentaine à tenir bon, coûte que coûte.

“Ici, il n’y a pas de douche, pas de toilettes, pas de cuisine… heureusement qu’il y a des Belges pour nous aider.” Zohrodin baisse la tête sur son survêtement : “Mais quand même tu vois, je suis pas très propre. J’ai honte de sortir comme ça”.

Et si Maggie De Block est réélue ? Silence gêné… “Je sais pas. Je sais plus trop où j’en suis.”

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