La démocratie nous représente-t-elle encore? — 1ère partie

Lionel Bouzonville
4 min readOct 2, 2016

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Je vous propose le résumé (en plusieurs parties) d’un débat passionnant enregistré par France Culture le 30 janvier 2016 à La Sorbonne, avec Olivier Dard, Cynthia Fleury et Pierre Rosanvallon.

Intervenants:

  • Cynthia Fleury : professeur de philosophie à l’American University of Paris, psychanalyste et titulaire de la chaire de philosophie de l’Hôtel-Dieu
  • Pierre Rosanvallon : Historien, professeur au collège de France
  • Olivier Dard : Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris Sorbonne, spécialiste d’histoire politique

Les problématiques liées à la représentation

Peut-on faire un lien entre l’abstention et la montée du vote FN avec une forme de lassitude de la démocratie, et en particulier du principe de représentation?

On considère généralement que la notion de représentation est essentielle à l’exercice de la démocratie, mais est-ce vraiment le cas?

Pierre Rosanvallon explique que la représentation est une procédure qui permet au citoyen de trouver un canal d’expression. En ce sens, la démocratie représentative est différente de la démocratie directe: elle semble nécessaire quand un grand nombre de personnes est concerné — là où la démocratie directe est très efficace avec un petit nombre d’individus. En réalité, la démocratie représentative est très ancienne et n’est qu’une “technologie de la représentation” de la démocratie. Le problème s’est toujours posé en ces termes: comment bien faire fonctionner cette technologie?

Dès la Révolution Française, les citoyens se sont inquiétés du fait qu’il était en train de se former une nouvelle “caste de la représentation”, et qu’il y avait un risque de confiscation de la parole sociale par un petit groupe.

De fait, l’histoire de la démocratie est une succession de tests et d’expérience ayant pour objectif d’améliorer cette technique de la représentation. Voici quelques exemples de moyens mis en oeuvre dans certains pays pour améliorer la démocratie représentative:

  • raccourcissement de la durée des mandats - petit rappel historique, pendant la Révolution Française, les députés étaient changés tous les ans et le président de l’Assemblée Nationale changé toutes les semaines!
  • la limitation du cumul des mandats,
  • des processus permettant de représenter les différents couches de la société,
  • la procédure de la révocation,
  • la mise en place de primaires,
  • etc.

Il y a actuellement deux problèmes principaux pour la démocratie représentative en France:

  • les partis politiques sont censés être les intermédiaires entre la société et le pouvoir, mais ils sont devenus aujourd’hui une partie des forces gouvernantes. Ils ont changé de nature et ne demandent plus maintenant que de soutenir ou de critiquer le gouvernement en place — suivant qu’ils en soient ou pas. Les partis politiques sont devenus des lieux où exercent des professionnels de la politique au lieu d’être un lieu de relais des idées de la société vers le pouvoir.
  • la représentation au niveau du pouvoir n’est plus en rapport avec la société qu’elle est censée incarner. Pour bien représenter la société, il faut des représentants qui soient capables de “mettre sur la table” les problèmes vécus par la société, ce qui n’est plus le cas actuellement, et qui explique en partie la force des mouvements populistes.

Les inquiétudes liées à la démocratie, un problème récent?

Oliver Dard effectue une remise en perspective historique de la question de la représentation, une affaire qui s’inscrit dans la durée.

Si on étudie le sujet de l’abstention, on peut noter qu’elle a surtout lieu au niveau des élections locales, régionales et européennes, mais ce n’est pas un problème nouveau. Au contraire, l’élection présidentielle, en particulier celle de 2007, dispose toujours d’un taux de participation très important — à la grande surprise des analystes.

Concernant la représentativité et la démocratie, la question est de savoir si on peut faire évoluer ce lien sans sacrifier à l’exercice démocratique?

Cynthia Fleury rappelle que la question de la représentation politique est en crise depuis longtemps et qu’il s’agit d’un problème de représentativité de la représentation. Pour y remédier, elle propose plusieurs pistes de travail:

  • améliorer la question de la parité, de la représentation des diversités et des compétences,
  • durcir les conditions relatives au cumul des mandats, introduire plus de proportionnalité,
  • en finir avec le comportement “godillot” des députés.

En attendant que la représentation politique évolue, il faut noter un autre moment de “représentation démocratique” avec l’épisode “Je suis Charlie”: il s’agissait d’un nouveau concept de représentation et de l’invention d’une représentation plus sociale et symbolique mais néanmoins politique.

Tout comme Pierre Rosanvallon, Cynthia Fleury accuse les partis politiques de désubstantialisation: ces derniers n’effectuent pas le travail pour lequel ils sont à l’origine conçus, et qui devrait permettre en particulier un renouvellement des élites et un travail programmatique — et pas uniquement de dénigrement de l’adversaire. Aucun travail de vision n’est réalisé.

Les partis politiques sont comme atrophiés par des comportements rentiers. L’outil “parti politique” est sous (et mal) utilisé: il faut inventer d’autres manières de faire le travail pour lequel ils sont conçus. On peut parler de “citoyenneté capacitaire” avec l’émergence de nouveaux outils.

A noter aussi ce qu’on pourrait appeler un “complexe statutaire” que peuvent avoir les citoyens par rapport aux nouveaux partis qu’ils appellent pourtant de leurs vœux. Ces partis doivent arriver à concilier l’efficacité et la légitimité car les gens votent difficilement pour un nouveau parti. On peut citer l’exemple des résultats médiocres de “Nouvelle Donne” alors que leur démarche est largement approuvée. Certains pays semblent plus avancés dans cette voie, on peut citer par exemple Syriza, Podemos ou encore Jeremy Corbin à la tête du Labour britannique.

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