“Les Russes rattrapent leur retard rapidement, mais les opportunités sont réelles dans le retailtech pour les entreprises françaises”

MEF Moscow
5 min readFeb 27, 2020

--

Après des années de disette, le secteur du retail redémarre en Russie. Sur ce marché où les entreprises françaises sont déjà solidement implantées, quelles opportunités pour les nouveaux arrivants ? Éléments de réponse avec Yannick Tranchier, fondateur de la MEF Moscow.

« Derrière les mauvais résultats d’Auchan, le retail français se porte plutôt bien en Russie »

Auchan est certes le plus grand groupe étranger en Russie, et quand il annonce de mauvais résultats tout le retail français tousse. Mais les résultats de Leroy-Merlin sont bons. Pourtant, l’entreprise fait face à une concurrence plus variée et plus agressive qu’à son démarrage, avec deux marchés concurrents : le marché de proximité d’une part, dans lequel ils ont eux-mêmes expérimenté avec des magasins dans les nouveaux quartiers résidentiels de Moscou ; d’autre part internet. Avec un peu de retard, Leroy-Merlin a pris le virage des ventes en ligne. Pour l’instant, les ventes représentent moins de 5 % de son chiffre d’affaires global, contrairement à des concurrents russes comme Petrovitch, qui, issus de l’online, approchent 50 % de ventes en ligne. Mais en réalité, la plus grosse menace pour Leroy-Merlin sur le marché internet s’appelle AliExpress, qui est aujourd’hui le premier site d’e-commerce de Russie, sur lequel il est possible de commander n’importe quoi à des prix défiant toute concurrence.

Derrière Leroy-Merlin, qui reste leader sur le marché du DIY en Russie avec entre 30 et 50 % de parts de marché, il y a également Décathlon, solide dauphin du russe Sportmaster, avec environ un quart du marché russe, une croissance forte, une rentabilité rapide et un modèle qui essaie de s’adapter à l’évolution de la consommation russe avec de nouveaux formats de magasins et de nouveaux produits.

« Les consommateurs russes n’ont pas déserté les magasins »

Certains acteurs du retail russe, principalement Auchan Russia, n’ont pas su s’adapter aux nouveaux modes de consommation et aux nouveaux formats de distribution, à savoir les formats de proximité. C’est paradoxal, car en France, Auchan a pris le virage des formats de proximité il y a plusieurs années. Auchan a inventé le format hypermarché en Russie, et ce format a très bien marché dans les années 90 et début 2000, quand la consommation et l’abondance de choix étaient une nouveauté en Russie. Mais ça ne veut pas dire que les Russes ont abandonné leurs habitudes de consommation, qui étaient plus proches des habitudes asiatiques, basées sur la consommation de proximité.

Aujourd’hui, la consommation de proximité est le moteur de croissance de tous les concurrents d’Auchan, et la raison principale pour laquelle celui-ci, qui était leader il y a 5 ou 6 ans, est redescendu à la 4ème place. Devant lui, deux géants, les groupes Magnit et X5, multiplient les ouvertures de petits magasins. Ceux-ci leurs permettent de maintenir un croissance régulière, là où Auchan a été impacté de plein fouet par la crise économique.

En réalité, cette crise est surtout un problème d’approvisionnement et d’inflation. Oui, il y a eu une baisse du panier moyen suite à la baisse du pouvoir d’achat ; mais les consommateurs russes n’ont pas déserté les magasins. Ils ont continué à consommer tout ce qu’ils gagnaient : c’est juste que les produits importés se sont retrouvés doublement plus chers, en raison de la chute du rouble et des produits de substitution.

Les commerces de proximité, dans ce contexte, ont certainement perdu un peu en marge, mais pas en volume, et ils continuent leur croissance car les Russes continuent à consommer. Avec l’embellie économique, la remontée du rouble et l’apparition de produits locaux, les perspectives sont plutôt positives. On devrait voir une stabilisation de l’inflation, une augmentation probablement importante du pouvoir d’achat.

« Les Russes ont rattrapé leur retard en termes de productivité, de transformation numérique et d’expérience consommateur, mais la logistique reste un problème. »

En ce moment, on observe une reprise des investissements dans l’innovation dans le retail russe. C’est un domaine dans lequel la Russie est en retard sur l’Europe, et en est consciente : cette année, 90 % des entreprises russes que nous avons rencontré ont annoncé vouloir investir dans la solution omnichannel (OMS) de l’un de nos clients.

Les russes ont déjà rattrapé leur retard en terme de productivité, de transformation numérique et d’expérience consommateur. Maintenant, les premières livraisons express sont en train d’apparaître, mais la logistique a toujours été un problème en Russie à cause des distances, des bouchons, d’un manque d’organisation, de planification, d’outils numériques. La plupart des chaînes parisiennes proposent aujourd’hui de la livraison express ou du click&collect en moins de deux heures, parfois beaucoup moins. En Russie, la livraison dans la journée est toujours impossible, et les amplitudes horaires sont inacceptables pour un consommateur européen. La grande majorité des chaînes russes se concentre aujourd’hui sur cet aspect et ses différents modes, click&collect, livraison express depuis le magasin… Ce n’est qu’une question de mois avant que les Russes soient à peu près au même niveau que les Européens, grâce à leur puissance financière impressionnante. Le secteur est très consolidé, et des groupes comme Magnit, X5, Lenta, Dixy… possèdent des milliers de magasins.

« Les opportunités françaises en Russie sont plutôt sur les marché de niche, le haut de gamme, et surtout sur la technologie »

Difficile, dans ces conditions, d’imaginer un nouvel entrant parvenant à se positionner sur le marché de masse. Même Auchan, avec toute ses 50 000 employés, ses réserves financières très importantes et son implantation sur tout le territoire, n’a pas encore réussi à inverser la tendance. Les opportunités françaises en Russie sont plutôt sur des marchés de niche, des segments très spécifiques (ameublement, chocolaterie, thé…) avec un positionnement plutôt haut de gamme, parce qu’avec un rouble encore très bas, il est très compliqué de se battre sur le mass-market avec les acteurs historique.

La deuxième opportunité porte sur la technologie, ce que l’on appelle le retailtech. Même si les russes ont la capacité de rattraper leur retard rapidement, le rythme d’innovation est extrêmement élevé dans le retail. Certaines innovations très récentes ne sont pas encore déployées en Russie. Par exemple, l’OMS : nous avons constaté, dans nos discussions avec les entreprises russes, qu’elles sont encore en retard sur le sujet. Pour elles, l’OMS est essentiellement un CRM, la capacité de suivre le client sur internet et en magasin, alors qu’en fait, dans sa valeur ajoutée, l’OMS c’est la synchronisation des clients et des produits, la gestion en temps réel des produits et des commandes.

Sur ce secteur technologique, les solutions étrangères, et en particuliers françaises, sont appréciées a priori. Les retailers russes nous accueillent très bien et préfèrent toujours travailler avec un Français qu’avec un Russe… ou un Américainn. Il y a une vraie défiance envers le made in Russia, les produits des start-ups russes sont considérés comme peu matures… ce qui n’est pas faux !

--

--

MEF Moscow

Guichet unique pour l’implantation des entrepreneurs et entreprises françaises en Russie. Développement commercial et implantation. www.mef.moscow