La démocratie ne doit pas être confinée

Matthias Lecoq
4 min readMar 30, 2020

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Photo by Markus Spiske on Unsplash

L’épidémie de covid19 régit nos vies depuis plusieurs semaines et il y a même, fait rare, un consensus international sur la façon de s’y confronter. Le confinement s’est imposé à nous. Notre contexte a donc changé, peut-être même pour un an ou plus, et notre position d’aujourd’hui n’est pas qu’une simple aparté. Il est en effet illusoire de croire à un retour “à la normale” tant cette expression est vide de sens et peu en lien avec l’histoire. Qui pourrait dire qu’il y a eu un “retour à la normale” après le 11 septembre ? Après la crise des subprimes de 2008 ? De tels changements provoquent des inflexions, des changements de cap plus ou moins brutaux mais dont on peut choisir d’en être actrices.eurs. Car il serait faux de définir cette pandémie uniquement d’un point de vue sanitaire en omettant son caractère politique. La priorisation des besoins et donc des moyens, le modèle de société — solidaire-sanitaire-social, notre relation à l’environnement et la mondialisation sont quelques unes des grandes questions qui sont déjà présentes derrière ce drame qui, entendu comme tel, permet de faire émerger de nouvelles perspectives par ce qu’il nous lie au récit. Aujourd’hui le traitement médiatique de cette crise nous ramène à la recherche de solutions sanitaires, la course au vaccin, le dévouement du personnel de santé et au civisme de la population qui se doit de respecter les consignes. On nous le répète, le temps du bilan n’est pas encore là. Sauf que ce que Naomi Klein nomme la “stratégie du choc” peut bien nous guetter sous couvert d’une possible future omniprésence de la surveillance par exemple. Le récit de ce que nous vivons comme une unique crise sanitaire est ainsi un danger pour la démocratie car les réponses apportées seront quoiqu’il en soit d’ordre politique et cette mise à distance peut potentiellement légitimer l’infantilisation des individus et renforcer les mécanismes biopolitiques. Si le 11 septembre a eu pour conséquence de favoriser les aspects sécuritaires dans nos vies sans qu’il y ait une véritable opposition à cause du choc que cela fut pour tout le monde, on peut s’interroger sur les conséquences du coronavirus sur nos vies à moyen terme. Les réponses que l’on va donner doivent donc faire l’objet d’un débat public qui permettent de légitimer nos peurs mais aussi de les mettre en perspective pour ne pas qu’elle soit exploitée et deviennent avilissantes. La manière dont on raconte ce que l’on est en train de vivre est donc centrale au delà des éléments de bilan. Cela définit la possibilité de nos actions. En effet, si le covid19 n’est qu’une crise sanitaire, alors nous ne pouvons être que des patients collaboratifs, civiques, qui appliquent des mesures dont l’expert est maître. Mais si ce que nous vivons est aussi un enjeu politique, alors nous sommes potentiellement des individus civiques et confinés certes, mais qui peuvent aussi questionner le modèle de société dans laquelle nous sommes et serons. C’est sans doute rassurant de se dire que les experts résoudront cette crise, mais cela peut nourrir la servitude. Nous ne devons pas nous confiner dans le civisme mais avoir le courage de nous aventurer en politique. Nous pouvons nous engager au delà du civisme nécessaire pour faire reculer la pandémie et ainsi, peut-être, utiliser ce temps qui nous est offert pour redonner sens à la démocratie.

Photo by Barthelemy de Mazenod on Unsplash

Mais de quelle démocratie parle-t-on ? De celle qui se fait hors et dans les urnes. De celle qui fait le lien entre les bulletins de vote que nous avons déposés ces dernières années avec la situation de nos hôpitaux d’aujourd’hui; de celle aussi qui existe dans nos rues et sur nos places, au sein d’une manifestation et d’une réunion publique; de celle possible sur les réseaux sociaux; de celle qui prend corps dans cette solidarité entre voisins et qui questionne aussi les effets d’échelle et les articulations; de cette démocratie qui existe par nos actions, nos prises de paroles, le débat et la délibération. De cette démocratie qui écrit notre histoire et qui nous permet de comprendre que le récit n’est pas que rhétorique, qu’il est aussi performatif par son pouvoir de mise en mouvement. Comme toutes histoires, la citoyenneté — c’est-à-dire l’accomplissement de notre rôle à toutes et tous en tant qu’actrices et acteurs de la démocratie, a besoin d’un espace, d’une temporalité et d’actions. Et il s’agit bien aujourd’hui de recréer des conditions d’exercice de la démocratie. De lui redonner un espace, du temps et des actes. De nous redonner la possibilité de penser notre action politique au temps du confinement dans un espace que nous devons créer.

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Matthias Lecoq

Chercheur UNIGE // Concertation Of. Urba Genève // Fondateur lafabriquedelespace.com // #ville #democratie #anthropocene #numerique // anthropocenopolis.cc