Les poissons sont-ils conscients comme les humains ? Ont-ils des perceptions, des sensations, du vécu, comme les humains ? Question embarrassante à laquelle s’accolent deux amis.
Imad — Je ne dirais pas qu’ils sont conscients comme les humains. On ne peut pas comparer leur vécu au nôtre… Ils sont conscients, à leur manière.
Rosaline — Que veux-tu dire par là ?
Imad — Ben, ils n’ont pas le même type de sensation que les humains.
Rosaline — C’est quoi une sensation ?
Imad — Comme tu l’as dit tout à l’heure : le fait d’éprouver subjectivement quelque chose.
Rosaline — Tu crois que les poissons n’en sont pas capables ?
Imad — Si… mais pas comme nous.
Rosaline — Tu veux dire qu’ils n’ont pas les mêmes sensations ?
Imad — C’est ça.
Rosaline — Tu sais, deux humains n’ont pas non plus les mêmes sensations. Pourtant, les deux possèdent de la conscience. Ou, comme je l’appelle, de la sentience. Chaque être explore une partie du monde de la sentience. Ces parties sont différentes. Mais tous les êtres sentients ont en commun d’appartenir à cet univers-là.
Imad — Ah, tu veux dire que les poissons…
Rosaline — De même que nous, ils sont conscients. Mais leurs états de conscience ne sont pas les mêmes que les nôtres.
Imad — Ah ouais, bien dit !
La discussion resta en suspens quelques instants. Puis Imad eut une illumination.
Imad — Mais alors, peuvent-ils ressentir la souffrance comme les humains ?
Rosaline — Même réponse.
Imad — Comment cela ?
Rosaline — Si par « souffrance » tu entends une sensation désagréable en général, alors très certainement ils peuvent souffrir. Comme nous.
Imad — Mais pas comme nous.
Rosaline — Disons qu’ils n’auront pas la même sensation exactement. Quand on laisse un poisson s’asphyxier dans l’air, je ne peux pas me représenter ce qu’il éprouve. Peut-être est-ce une sensation similaire à celle que j’aurais en me noyant ; ou peut-être pas. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il a mal.
Imad — Mais avoir mal, c’est un concept purement humain.
Rosaline — Tous les concepts sont humains, mais la réalité à laquelle ils renvoient est universelle. « Avoir mal », ce n’est pas une sensation précise. Il y a d’innombrables façons d’avoir mal. Un déchirement de la peau. Une compression dans l’œil. Un chagrin profond. Toutes ces sensations accompagnées d’une charge négative, la souffrance, dont les humains ne connaissent que quelques variantes.
Imad — Donc les poissons…
Rosaline — Comme nous, ils peuvent expérimenter cet état général qu’est la souffrance. Mais ils l’éprouvent en des sensations particulières qui nous sont inconnues.
Imad — Bien dit.
Il y eut un long silence.
Imad — Mais alors, peuvent-ils être heureux comme nous ?
Rosaline — Même réponse.
Noé Bugaud