Comment nous avons enquêté sur une possible cohabitation homme-loup

Nice-Matin digital
9 min readFeb 2, 2016

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Avant de rentrer dans le making of du thème du mois de janvier…on rembobine un tout petit peu…Nice-Matin et Var-matin viennent de lancer une nouvelle édition abonnés numérique, #monjournal, avec notamment une offre de contenu particulière. Il s’agit de rechercher collectivement des solutions! Ce que nous voulons proposer c’est un média utile qui, au-delà de dénoncer les problèmes, aspire à devenir un journal solidaire et qui fait bouger les choses dans sa région. « C’est ça le rôle d’un média local aujourd’hui. Ne pas seulement rapporter des faits et donner des éclairages, mais mettre le lecteur en situation de comprendre, de choisir, de participer et de s’impliquer dans la vie de son territoire. » Et ça c’est Denis Carreaux, directeur général et directeur des rédactions du groupe Nice-Matin, qui le dit.

Donc…

En quête du loup, on a multiplié les interlocuteurs : les fédérations ovines des A.-M. et du Var, la chambre d’agriculture des A.-M., la DDTM Rhône-Alpes (en charge du plan national loup), les DDTM des A.-M. et du Var, l’ONCFS régionale, les ONCFS des A.-M. et du Var, la sous-préfète montagne du 06, les associations pro-loups Férus et Green, un éleveur de loups de cinéma, le parc Alpha, des scientifiques… On a été en Italie, dans les Alpes-de-Hautes-Provence. On a lu des articles, des rapports, des comptes-rendus. On a tenté, en vain, d’interviewer des membres ou responsables de la nouvelle “brigade loups”. On a demandé à participer à une battue au loup. “Ok, mais il faut attendre la neige!” nous a-t-on répondu. Raté pour cette année.

On s’est fait chambrer tous les jours par nos collègues qui s’enquéraient de savoir si on avait “vu le loup”.

Philippe a eu froid sur le terrain malgré son bonnet, Sophie est tombée sous le charme de l’Italien Maurizio, Caroline s’est battue avec les chiffres, Cédric en a mal dormi, Aurore a dû vite se glisser dans la peau du (pro)loup et Guillaume a failli se faire croquer (ou lécher, on ne saura jamais). Tout cela, on ne l’a pas écrit dans notre dossier. Bienvenue dans les coulisses.

L’équipe “solution” fraîchement débarquée c’est nous: Caroline Ansart, Sophie Casals, Aurore Malval, Vincent Rozeron et Guillaume Aubertin.

Sans oublier Philippe Bertini, Richard Barsotti et Cédric Ragnolo, la dream-team de la vidéo-animation. Notre feuille de route: faire avancer les choses. Rien que ça. Alors forcément, dans l’open space de la rédac, on nous chambre. Gentiment évidemment. “Vous les trouvez les solutions?” Au milieu des Minions géants et des petits canards -mascotte de la nouvelle offre abonnés- on commence à prendre notre envol, en essayant de ne pas perdre trop de plumes… Couvés par Damien Allemand, on ne craint personne! Pourtant, le premier dossier s’annonce semé d’embûches. A la réunion de rédac’ du mardi, notre “boss” Denis Carreaux nous envoie sur la piste du loup. L’homme et le prédateur peuvent-ils cohabiter? Ce sera le dossier du mois de janvier. On se lance.

Début décembre, au salon de l’élevage à Nice, on prend le pouls. Côté éleveurs, la tension est extrême. Les nerfs à vif. “On n’en peut plus du loup.” Les solutions? Ils n’en voient pas. Enfin si: des tirs. Mais ils savent que les pro-loups, hostiles à cette mesure, ne céderont pas. “En com’ ils sont meilleurs que nous”, lâche un berger.

Le terrain est miné. On se retrouve au coeur d’une guerre que se livrent les deux camps, dans laquelle chaque partie tente de nous convaincre.

“On a testé des fox-lights pour protéger les troupeaux la nuit, ça marche”, se félicite Jean-François Darmstaedler, président de l’association pro-loup Férus. Un pas vers une cohabitation?

On demande à voir.

C’est à Auzet, dans les Alpes-de-Haute-Provence, que l’éleveur Jérôme Béridon nous montre ces petits boîtiers. “En estive, on a pas eu d’attaques la nuit, le bilan est positif”. Mais pour voir ces lumières s’allumer, il faut attendre que la nuit tombe. Philippe a prévu le coup: gants et bonnet. Sophie des bottes fourrées. Mais ce ne sera pas suffisant. Le froid est glacial. L’attente entre chien et loup, un supplice. “Vous ne voulez pas rentrer un moment à l’intérieur pour vous réchauffer?”

On ne remerciera jamais assez Mathilde, la grand-mère de Jérôme, d’avoir volé à notre secours.

De retour dans les Alpes-Maritimes, l’effaroucheur lumineux et autres systèmes de prévention sont balayés d’un revers de la main par Jacques Courron, président de la fédération ovine du 06. “On a essayé, ça n’est efficace que quelques jours, après le loup s’habitue.” C’est sur ce constat d’échec mis en avant par l’éleveur que Caroline et Philippe redescendent de Gourdon.

Alors qui croire?

On décide de poursuivre l’enquête de l’autre côté de la frontière. Comme le loup est revenu d’Italie, comment gèrent-ils là-bas la cohabitation? C’est Sophie et Philippe qui tracent la route. Destination Chiusa di Pesio, à 135 km de Nice.

Réveil à 5 heures du mat… Frissons, yeux collés. Autant dire l’enfer pour Sophie, la marmotte de l’équipe. Vite sortie de sa léthargie par l’enchaînement des lacets de la vallée de la Roya, Impossible de piquer du nez.

Maurizio Mauro, berger, nous attend, dans la plaine, au sud de Cunéo. Un brin étonné de voir deux journalistes débarquer de France pour parler mouton et loup.

Philippe, le franco-italien du service, jongle entre caméra, appareil photo et traduction simultanée. Sportif.

Maurizio nous raconte comment il tient le loup à distance de son troupeau. Il nous donne rendez-vous après déjeuner à San Gregorio pour poursuivre la discussion. Philippe rêve d’un bon plat de pasta… Mais en ce lundi de décembre, Chiusa di Pesio ne brille pas par son animation. Pas l’ombre d’une trattoria ouverte… ce sera donc piadina au bar de la place. Pour savoir si la cohabitation de Maurizio avec le loup est-elle un cas isolé, on poursuit notre reportage avec Arianna Menzano, vétérinaire en charge du projet Life Wolf Alps? Elle nous explique que la pression de la prédation sur les troupeaux a baissé dans la province de Cunéo.

Alors pourquoi ça ne marche pas chez nous, qu’est-ce qui cloche?

C’est avec cette question qu’on revient d’Italie. Au 10e étage de la préfecture des Alpes-Maritimes, on pose la question à Véronique Laurent-Albesa, sous-préfète et à Walter Depetris, DDTM. La réponse est, en substance, comparaison n’est pas raison. “En Italie, les cheptels sont beaucoup plus petits, donc faciles à garder, chez nous c’est de l’extensif. Il y a davantage d’élevages bovins sur lequel le prédateur pose moins de problème.

La sous-préfète nous donne une carte qui montre la localisation des 13 meutes dans les AM. On sent l’inquiétude poindre devant cette augmentation de la présence du prédateur.

Quant à obtenir une carte du Var, ce n’est pas simple. Les interlocuteurs divergent quant au nombre de meutes, leur localisation. Et que penser des loups isolés?

De manière générale, on pensait naïvement que récolter des chiffres serait facile. Quoi de plus scientifique? Naïfs nous étions. Entre les interlocuteurs qui ne veulent pas se mouiller (“je vous les dit, mais vous ne les reprenez pas”), ceux qui freinent des quatre fers (“c’est pas à nous de vous le dire”), on s’est strictement cantonné aux officiels, fussent-ils polémiques.

En “off”, plusieurs représentants d’institutions nous confient: “Personnellement, je ne vois pas de solution, franchement. Mais c’est mon avis personnel, hein, vous ne me citez pas.”

Pas engageant pour nous qui, sincèrement, voulons tenter de faire avancer le schmilblick.

Dans la gueule du loup

On a bien essayé d’interviewer le principal intéressé. Mais celui-ci n’a pas répondu à nos sollicitations. Le loup est un animal trop sauvage, trop furtif, trop insaisissable. Qu’à cela ne tienne! Guillaume décide d’aller au contact. N’écoutant que son courage il entre dans l’enclos des loups de cinéma élevés par Francky Estrade, au Castellet.

Derrière sa caméra, Richard, lui, joue la prudence. Pour ne pas perturber la bête. Et pour épargner le matériel… évidemment! La dernière fois qu’il s’était approché de ces mêmes bêtes, quelques années auparavant, l’une d’entre elles lui avait bouffé le bout de son micro. Chat échaudé…

Le face à face de Guillaume avec les prédateurs est tendu. Sa présence les électrise. Et ils lui font savoir en montrant les dents. “C’est normal s’ils ne sont pas contents et qu’ils nous tournent autour. On est sur leur territoire”, explique alors l’éleveur varois, pas complètement rassurant. Quoique subjugué par son regard hypnotique, Guillaume n’en oublie pas que l’animal est effectivement doté de crocs acérés… L’interview se poursuivra donc dans une ambiance quelque peu méfiante. “La cohabitation ne sera jamais facile entre l’homme et le loup”, philosophe Francky.

Experts, dessins…

Alors on s’arrête là? Aux tirs de loups décomptés en cette fin d’année par des communiqués de la préfecture qui atterrissent toutes les semaines sur notre messagerie? Pas si simple d’ailleurs de tenir les chiffres, Caroline n’en finit plus de coller des post-its sur son écran pour penser à actualiser nos graphiques.

Pour sortir de l’ornière on sollicite les “experts”. Geneviève Carbone éthologue et ethnozoologue puis Julien Andrieu et Farid Benhammou, géographes… Ces universitaires remettent en cause l’efficacité des tirs léthaux.

Mais alors que proposent-ils? On leur demande de plancher sur la cohabitation Homme-Loup.

De nous souffler des réponses concrètes. Ils se prêtent au jeu. Avec leur expertise sur l’animal, les milieux naturels, l’agropastoralisme, ils esquissent des pistes pour avancer.

Ouf, il était temps.

Alors que la neige commence à tomber sur les sommets, il faut boucler. Cédric croque le loup pour mettre en appétit les internautes. Colle une bande-son anxiogène. Trop? En tout cas, Cédric en cauchemardera plusieurs nuits. Il monte un teaser (bande-annonce) version courte et longue. Il ne devait y en avoir qu’un, mais c’est telllllllllement long à faire qu’on était en retard (bah oui, on découvre aussi les joies de la technique). “Il faut balancer le teaser ce soir les gars” nous intime un chef. Va pour une version courte alors, quitte à ce que l’on nous accuse de partialité de prime abord…

A la réalisation vidéo, Philippe et Richard peaufinent. S’arrachent les cheveux… du moins ce qu’il en reste. Dans cette ambiance survoltée, Aurore arrive dans l’équipe. Elle se plonge dans l’imaginaire du loup, écume les sites Internet et les pages Facebook où partisans et ennemis de la bête montrent tour à tour les crocs. Il y a tant à raconter sur le loup! Nos papiers commencent à être diffusés (non sans bugs, vive l’informatique) alors que l’enquête n’est pas terminée. Il y a toujours un fil à tirer, on a du mal à s’arrêter, le sujet semble inépuisable. Avons-nous publié trop de sujets? Allons-nous lasser? Promis, la prochaine enquête sera plus concise, davantage tournée vers les solutions, moins vers le problème. D’ici là, il faut le clore ce dossier “loup”!

Un débat, chiche!

On propose à notre rédac’ chef de monter un débat au siège du journal, avec tous les acteurs. Vendu!

Bien attentifs au respect d’un strict équilibre, chacun appelle ses contacts, tout en diplomatie, précisant les consignes: “ce débat, c’est pour faire avancer les choses, évoquer ensemble de possibles nouvelles pistes, pas pour compter les points ni s’écharper”. L’accueil de certains nous refroidit: “Il va falloir la gendarmerie”. Ah, ce n’est pas franchement prévu. Au bout de quelques jours, la date est arrêtée : jeudi 18 février, au 3e étage.

Voilà, vous savez tout….On vous tient au courant de la suite!

Et pour essayer #monjournal, c’est par ici.

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