Prouver la pertinence du cadre TPR dans un monde de plus en plus autocritique

Tendances mondiales

OTT
11 min readJul 16, 2021

Auteure : Linnea Mills. Les articles sur les tendances mondiales sont sur un examen de la littérature pertinente et des entretiens avec un nombre soigneusement sélectionné de leaders d’opinion.

Dans cet article:

  • Le besoin urgent de preuves plus solides
  • Trouver le chaînon manquant entre les thématiques de TPR et l’impact sur le développement
  • Nouvelles méthodes de travail et d’organisation dans les domaines de TPR
  • Les risques posés par les nouvelles méthodes de travail

Le besoin urgent de preuves plus solides

Un défi familier, un impératif renouvelé

En 2010, le Ministère britannique du développement international (désormais le ministère britannique des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement, le FCDO) a décidé qu’il était grand temps de mieux comprendre l’impact et l’efficacité des initiatives dans le domaine de TPR et a chargé John Gaventa et Rosemary McGee d’évaluer les preuves.

Ils ont constaté que le domaine s’appuyait sur “ des hypothèses normatives non testées et des relations sous-spécifiées entre les mécanismes et les résultats “ et que “ les preuves d’impact disponibles sont inégales et rares, compte tenu de la quantité d’attention et de financement des donateurs concentrés sur ce domaine “ (Gaventa et McGee, 2013 : 11, 16).

Dix ans plus tard, non seulement de nombreuses lacunes subsistent dans les connaissances, mais il est encore plus impératif de montrer que les hypothèses des domaines de TPR soient toujours pertinentes, compte tenu des tendances mondiales à l’autocratisation et à l’élaboration de politiques descendantes.

Dans un monde qui tourne de plus en plus le dos aux idéaux démocratiques et dans un climat politique où de nombreux gouvernements s’efforcent de discréditer la démocratie et la participation civique, les domaines de TPR ne peuvent pas se permettre de reposer sur des bases moins solides.

Selon les experts et les leaders d’opinion auxquels nous avons parlé, le manque de preuves de l’impact des initiatives de TPR constitue désormais une menace existentielle pour le domaine. Comme l’a décrit l’un des leaders d’opinion auxquels nous avons parlé, la fenêtre d’opportunité pour la redevabilité sociale ne restera ouverte que si nous pouvons apporter la preuve que la responsabilité sociale fonctionne et mérite un soutien continu.

Bien sûr, de nombreux facteurs influencent le soutien des donateurs à des problématiques et à des pays, et les thématiques de TPR peuvent être soutenues en raison de leurs valeurs intrinsèques de renforcement de la démocratie, ainsi que de sa valeur instrumentale d’amélioration des services publics.

Le risque d’un retour de bâton de la part de cette stratégie TPR n’est toutefois pas seulement réel du point de vue des gouvernements et des bailleurs de fonds, mais aussi des citoyens eux-mêmes.

Certaines données récentes indiquent que le retrait des citoyens est dû au fait que la transparence et la participation ne sont pas perçues comme conduisant à la redevabilité. L’une de ces études a montré que dans les pays où les niveaux de corruption sont élevés, la transparence est associée à un sentiment de résignation et de retrait de l’engagement public chez les citoyens (Bauhr et Grimes, 2014).

Un examen systématique des preuves a révélé que les effets de la transparence sont en grande partie le produit de l’environnement dans lequel elle est mise en pratique (Cucciniello et al., 2017). Il est donc particulièrement alarmant que les recherches menées dans les domaines de TPR soient fortement biaisées. Comme l’a noté un leader d’opinion :

Il est surprenant, si l’on examine les analyses documentaires sur la fiscalité en Afrique, de constater qu’il n’y a pratiquement pas d’universitaires et d’universités sérieuses du Sud qui y figurent.

Les institutions de recherche du Sud ont généralement moins de possibilités d’accéder aux financements publics que leurs homologues du Nord. Les donateurs et bailleurs de fonds externes ont donc un rôle important à jouer pour combler le manque de ressources. La compréhension de ces conditions critiques reste une frontière dans la recherche sur cette stratégie TPR, et il est utile de solliciter la perspective de ceux qui comprennent le mieux le contexte opérationnel.

Trouver le chaînon manquant entre les thématiques de TPR et l’impact sur le développement

S’il y a bien des points d’interrogation quant au pouvoir de la transparence et de la participation pour créer la redevabilité, il y a encore plus d’incertitude quant à l’impact de TPR sur le développement. Un leader d’opinion nous a dit :

Il y a une lassitude, à la fois parmi les acteurs des domaines de TPR et plus largement, que beaucoup de ressources ont été dépensées sur la transparence et la participation, mais cela ne semble pas se traduire par des vies réellement transformées et des améliorations réelles dans la prestation de services publics. La question est de savoir quel est le chaînon manquant ?

Le chaînon manquant, premier candidat : le déficit de mise en œuvre

Pour de nombreuses initiatives de type TPR, le résultat de leur travail est la promulgation officielle de lois et de règlements, il s’agit notamment de lois sur la divulgation dans la gouvernance des ressources naturelles ou la transparence dans les marchés publics, entre autres (Mills, 2019 ; NRGI, 2019).

Divers acteurs et initiatives en matière de TPR (y compris les bénéficiaires de subventions de la Fondation Hewlett) ont commencé à s’intéresser à ce qu’ils appellent le “déficit de mise en œuvre”, c’est-à-dire l’incapacité à appliquer, faire respecter et faire respecter pleinement et correctement les lois de TPR adoptées.

Le lien supposé entre les réformes liées à la redevabilité et les progrès en matière de développement se brise en l’absence d’une mise en œuvre efficace.

Par exemple, l’incapacité d’un détenteur de budget à exécuter le budget d’un pays (ou d’un secteur) conformément aux lois votées par le parlement ou le congrès (de Renzio et al., 2019). Comment un budget réservé à la fourniture de services de santé peut-il conduire à une meilleure santé si l’argent qui existe sur le papier n’est jamais dépensé ?

Deuxième candidat du chaînon manquant : les écosystèmes de redevabilité

Le rôle des écosystèmes de responsabilisation retient également l’attention dans les discussions sur le “chaînon manquant” entre TPR et l’impact sur le développement. Cela remet en question l’approche de nombreux acteurs de TPR qui a eu tendance à se concentrer sur le renforcement des institutions de redevabilité sans tenir compte du contexte plus large et interdépendant dans lequel elles opèrent.

Des recherches récemment publiées sur les systèmes d’audit ont montré, qu’en termes d’impact, on ne peut pas attendre grand-chose du renforcement des institutions suprêmes d’audit si, dans le même temps, les institutions et les processus qui s’engagent dans les conclusions de l’audit (y compris les commissions parlementaires des comptes et les organisations de la société civile) restent faibles (IBP/IDI, 2020).

De l’autre côté de la médaille, certains font preuve d’un optimisme prudent en pensant que les énormes plans de relance provoqués par la pandémie mondiale de Covid-19 pourraient contribuer à faire de la redevabilité financière une plus grande priorité politique, ce qui pourrait — si l’on y prête suffisamment attention — avoir un effet positif durable sur les systèmes de redevabilité plus larges.New ways of working and organising in the TPA field

Nouvelles méthodes de travail et d’organisation dans les domaines de TPR

Les mouvements citoyens et les protestations au cœur de la problématique mondiale

Pour conserver et démontrer encore sa pertinence, les domaines de TPR doivent trouver des moyens de faire partie des solutions aux grands défis mondiaux de notre époque, tels que le changement climatique, la démocratie et l’égalité. Comme l’a dit un leader d’opinion :

Les bailleurs de fonds subissent des pressions pour relier TPR à la crise du chômage dans le Sud, aux inégalités raciales, à la démocratie, etc. Ils essaient de trouver un front plus large de questions et de voir comment elles sont liées, et cela se répercute sur les groupes qui sont des acteurs spécifiques de la transparence et de la redevabilité. Comment leur travail renforce-t-il des mouvements plus larges ? Je vois un certain nombre de donateurs qui éprouvent des difficultés actuellement avec cette adaptation. C’est ce qui occupe une grande partie des débats et des sessions stratégiques des différentes organisations.

Au lieu que les acteurs de TPR traditionnellement organisés soient au centre de ces questions mondiales, les protestations de masse et les mouvements de base (sous leurs différentes formes) deviennent l’ordre du jour.

En 2019, les citoyens se sont mobilisés par millions pour exiger une action politique de lutte contre le changement climatique, avec l’adolescente Greta Thunberg comme figure de proue improbable, et 2020 restera dans l’histoire pour la mobilisation massive des citoyens contre l’inégalité raciale.

Professionnalisation versus base : un paradoxe pour la légitimité

Ces mouvements citoyens sont — ou du moins sont perçus comme tels — plus proches des citoyens et cela devient le talon d’Achille du domaine de PTR, dans lequel les ONG et les OING apparaissent souvent professionnelles mais détachées, étant donné qu’elles sont souvent basées dans le Nord global ou dans les capitales.

D’une part, la professionnalisation des organisations de la société civile leur a permis de s’impliquer dans des conversations techniques de haut niveau dans des domaines tels que la gouvernance des ressources naturelles. D’autre part, on craint que cela ne les ait éloignées de la base et, ce faisant, ne les ait privées de leur légitimité auprès des décideurs. Comme l’a expliqué un leader d’opinion d’une ONGI :

Les décideurs politiques demandent : “ Pour qui parlez-vous ? Qui représentez-vous ? Pourquoi devrais-je vous écouter ?”. Plus vous êtes éloigné des citoyens et des voix sur le terrain, moins votre voix est légitime. À son tour, le manque de légitimité sape votre capacité et votre aptitude à exercer une pression sur les gouvernements. Ainsi, nous constatons que nous produisons beaucoup de connaissances mais que notre capacité à forcer le gouvernement à agir est limitée.

Les décideurs politiques ne sont pas les seuls à se demander au nom de qui ces organisations s’expriment ; leur légitimité est également remise en question par les citoyens qu’elles sont censées représenter.

Pendant ce temps, alors que les organisations professionnalisées de TPR ont rencontré des difficultés pour défendre leur légitimité, les militants de base doivent relever le défi de traduire l’énergie de la protestation en impact politique.

Des recherches récentes menées par l’Institut Carnegie pour la paix proposent deux options pour concilier ce clivage. La première consiste, pour les ONG professionnalisées, à essayer de s’”hybrider”, en développant des capacités internes d’analyse politique et de mobilisation de masse. L’autre option consiste pour ces organisations à créer des coalitions formelles ou informelles avec des groupes qui travaillent au niveau de la base.

Ces deux stratégies posent des défis : Les ONG devront développer de nouvelles compétences, tenter de rassembler des cultures organisationnelles et des méthodologies distinctes, et définir et articuler des demandes politiques qui ne sont pas seulement techniquement solides mais aussi publiquement attrayantes. Dans de nombreux cas, la création de coalitions sera une voie plus facile, car elle ne nécessite pas de modifier les structures internes de l’organisation et du personnel (Bellows, 2020).

L’union fait la force

La formation de coalitions est déjà en cours, comme l’a fait remarquer un leader d’opinion :

Les coalitions sont une tendance qui semble s’accentuer : de nombreuses organisations ne s’engagent plus en tant que telles, mais cherchent plutôt à trouver des moyens d’attirer d’autres personnes. Ainsi, on ne voit pas de grandes organisations se former dans cet espace, mais plutôt de nombreuses petites organisations se réunir. Il s’agit peut-être d’une tactique de survie, car les ressources sont limitées.

La formation de coalitions est également, comme suggéré ici, une stratégie d’atténuation des risques et, à mesure que l’espace civil se rétrécit dans de nombreux pays, nous sommes susceptibles de voir de plus en plus d’OSC unir leurs forces. Par exemple, dans un exemple récent et intéressant au Ghana, plus de 400 OSC ont uni leurs forces pour contester la décision du Président de forcer le chef de l’institution suprême d’audit du pays à prendre un congé substantiel de son poste. La coalition a fait valoir que la directive du président à l’égard de l’auditeur général, qui a la réputation d’être un fervent défenseur de la lutte contre la corruption, allait à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la Constitution ghanéenne de 1992 (GhanaWeb, 2020). Un plus petit nombre d’OSC a ensuite poursuivi le gouvernement en justice.

Les risques posés par les nouvelles méthodes de travail

Des modes d’organisation nouveaux et différents de l’approche TPR semblent être une tendance durable — que les ONG professionnalisées s’associent verticalement aux mouvements de base ou qu’elles forment des coalitions horizontales d’OSC.

Ces changements soulèveront d’importantes questions liées au risque, tant pour les donateurs que pour les organisations et initiatives qui acceptent des financements extérieurs.

Ces dernières années, certains grands donateurs bilatéraux ont commencé à accorder une plus grande attention à la gestion des risques (Gulrajani et Mills, 2019). La gestion des risques ne consiste pas à éliminer les risques mais plutôt à les articuler et à mettre en place des mesures pour les atténuer ainsi que tout risque imprévu.

Du point de vue de la coopération au développement, le risque peut être regroupé en trois catégories qui se chevauchent (OCDE, 2014) :

  1. Le risque contextuel se réfère à la gamme de résultats négatifs potentiels qui peuvent survenir dans un contexte particulier, comme le risque pour l’engagement civique lié à la tendance à l’autocratisation et à la fermeture subséquente de l’espace civil. Un donateur n’a qu’une influence limitée sur le risque contextuel à court terme, mais il cherche à soutenir les interventions qui créent les conditions d’une réduction du risque contextuel à long terme.
  2. Le risque programmatique concerne le risque que les interventions n’atteignent pas leurs objectifs ou causent des dommages par inadvertance, par exemple en exacerbant les tensions sociales. Les risques programmatiques sont liés à des faiblesses dans la conception et la mise en œuvre du programme ou à un dysfonctionnement de la relation entre le bailleur de fonds et ses partenaires de mise en œuvre/les bénéficiaires de subvention.
  3. Le risque institutionnel fait référence à l’éventail des conséquences potentielles de divers types d’échecs dans les programmes/projets d’intervention que peut avoir le donateur/bailleur de fonds ou bénéficiaire de subvention. Le risque de (mauvaise) réputation est une partie importante du risque institutionnel. Étant donné que les donateurs utilisent de l’argent ou des dons publics et qu’ils sont par conséquent examinés de près par les processus politiques et/ou par la presse, ils jouent beaucoup sur leur réputation. Cette réputation peut être gravement endommagée très rapidement, par exemple par un scandale de corruption impliquant un bénéficiaire de subvention.

En ce qui concerne la tendance à la collaboration verticale entre les ONG et les organisations de base, le risque supplémentaire pour les donateurs pourrait être que, par le biais de subventions aux ONG, ils deviennent (indirectement) impliqués dans la politique des partis. C’est particulièrement le cas dans les pays où les mouvements populaires sont liés à des partis d’opposition ou ont d’autres affiliations politiques ou religieuses.

Une approche tout aussi prudente peut être justifiée lorsqu’il s’agit de créer ou de rejoindre des coalitions d’OSC. Les bénéficiaires individuels peuvent être contrôlés, mais si ces bénéficiaires font partie de coalitions ou en forment avec d’autres OSC, cela peut impliquer l’organisme octroyant la subvention dans quoi que ce soit que ces autres acteurs sont impliqués.

Le soutien aux mouvements de base ou aux ONG professionnalisées qui souhaitent créer des liens verticaux avec les mouvements comporte également un risque programmatique potentiel, lié au préjudice que peut causer le financement extérieur. Dans divers contextes autocratiques, les gouvernements ont tenté de délégitimer les organisations qui acceptent des financements étrangers et d’empêcher ces derniers d’atteindre l’espace TPR. En Éthiopie, par exemple, l’argument du gouvernement est que le financement étranger est à l’origine d’une industrie de citoyens activistes qui font pression pour que le gouvernement rende des comptes. À cette fin, le gouvernement a promulgué une loi stipulant que si une OSC reçoit plus d’un certain pourcentage de son budget de sources externes, elle doit s’enregistrer comme agent étranger, ce qui a également pour effet de l’empêcher d’entreprendre certaines activités. Les gouvernements de Tanzanie et du Kenya s’engagent dans une voie similaire.

Comme l’a fait remarquer un leader d’opinion :

Alors que le soutien aux mouvements est essentiel, il doit être fait de manière à renforcer le mouvement, et nous devons étudier ce qui a fonctionné à cet égard. Où est ce que le soutien extérieur aux mouvements a-t-il réellement apporté une contribution positive ? L’étude du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis pourrait être un bon point de départ. Il est important de s’efforcer de comprendre ce que le financement apporte aux mouvements avant de l’entreprendre.

Des bases utiles ont été posées à cet égard avec un rapport récent de Datta et Baertl (2020) sur les raisons et les modalités de la collaboration entre les groupes de réflexion et les mouvements sociaux, et sur la manière dont les bailleurs de fonds peuvent soutenir au mieux une telle collaboration.

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