introduction

Romaric Ruga
22 min readSep 3, 2018

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j’ai recyclé un carnet humblement nomme “projet littéraire feu de dieu” en mon journal de voyage, première partie (78 jours)

titre du cahier (un parmi 19+) dédié journal

jour 0

à la base, je voulais faire toutes les chouettes villes d’Italie

dans l’ordre : torino, genova, milano, bologna, firenze (florence), roma, napoli

pourquoi ? parce que je suis un enfant qui arrive pas à grandir là où il est

bref, ensuite le plan c’était d’aller en slovénie

avec un trajet de nuit pour économiser un endroit où dormir

puis en grèce, tout ça sans avion

on se rend mieux compte des distances en bus et en train

mais bon, le plan, il a pas tenu 24h après mon arrivée à turin

le matin je devais partir tôt, très tôt

la veille, j’avais encore tout à faire

j’ai fini mon sac à 22h

puis, au lieu de dormir, j’ai pensé à cette fille que j’arrivais pas à oublier depuis des mois

avec toujours la sensation qu’il restait un truc à dire

comme si ça pouvait changer quelque chose

oui, ça commence comme une histoire niaiseuse

jour 1

j’avais mis mon alarme à 4h

à 3h30 j’étais reveillé

avec la vague sensation d’avoir passé la nuit à inventer des scénarios de l’impossible

je me lève, je déjeune, je fais la vaisselle, je descend les poubelles

à 4h30 j’avais l’impression d’aller jeter des morceaux de cadavre en scred

je nettoie le sol, j’attache mon tapis de sol sur mon sac, je check ma liste

j’ai tout fait, donc go

en fermant la porte, je ressens rien

j’ai pas l’impression de partir

pourtant ça va durer des mois

qui sait, même des années

je rigole, j’ai jamais voyagé plus d’une semaine tout seul

en sortant la clé de la porte je ressens de la gratitude pour avoir été forcé de travailler mon lâcher prise pendant l’été

ça a du bon finalement les ruptures

en chemin, je lui envoie le message final

passer à autre chose avant de passer la frontière ?

mais le dernier mot, il faut se battre pour l’avoir

satisfait momentanément, je tape un somme dans le bus

en me réveillant je discute avec ma voisine

lituanienne, ou lettone, je sais plus, elle va passer sa prochaine année de fac à venise

cool, j’avais pas prévu de m’arrêter là bas, mais bon pourquoi pas si elle m’héberge

c’est marrant de parler de ça avec le recul

parce que je sais que ça va pas se faire

pas le temps pour ces conneries

en vrai, c’est que ça colle plus avec le plan plus global

ça se fait, se défait, drôle d’effet

en arrivant, je me sens pas dépaysé

tout ça semble se dérouler naturellement

c’est le fleuve qui coule quand on s’y oppose pas, tu vois ?

je trouve un café du wifi et je fais marcher la 4G

ça y est je suis un technomade

quand je ressors une heure plus tard, on s’appelle

ça dure un peu, mais pourquoi au final ?

le petit espoir qui pourrait durer des années est toujours là

j’ai juste la confirmation que je vais devoir m’occuper pendant tout ce temps

j’ai pris les premières notes dans un de ces petits carnets rodia chiant pour écrire au verso. Tu vas voir. (page 1 & 2)

l’airbnb est au nord de la ville

aurora, quartier populaire, il faut aimer

c’est vivant, moi j’aime bien

comme je suis arrivé vite, j’attends une heure

j’ai déjà l’idée d’une application révolutionnaire qui va me permettre d’arrêter de travailler

il fait soleil et je suis posé sur un pont avec des gradins

la vie est belle

je suis dans le canapé, les roomates ne sont pas là

je continue mes vidéos pour me souvenir des choses que je réalise tout au long. (vidéo 1 / 24, en 6 mois)

j’essaie de me concentrer pour aligner quelques lignes de code

l’appel du kebab est plus fort

moins cher qu’en france

j’imagine une mesure du niveau de vie : la kebab scale

sur la kebab scale, la vie est presque 20% moins chère en italie

en rentrant je bosse en même temps que je regarde des événements dans turin

couchsurfing, facebook, les sites “spécialisés”

je trouve un truc dans un bar où on peut parler plein de langues différentes

je me sens moins seul

du coup je finis mon taf l’esprit léger

j’arrive en avance mais si je sais qu’il faut jamais faire ça

y a un groupe de trois mecs d’un côté, une fille de l’autre

les premiers sont pas là pour ça, je le sens

et j’ai la flemme de leur dire “non parlo italiano” après “ciao”

je m’approche de la fille

on doit avoir le même age

but she avoids eye contact so hard it hurted me a little

je fais un tour en attendant

quand je reviens, y a un bon groupe au fond

ah non ? vous êtes pas venu pour parler d’autres langues ?

je vois les trois mecs qui les rejoignent

quel bon physionomiste je fais

j’ai trouvé mes futurs potes

on me donne un badge avec les langues que je parle, seulement deux

parler anglais pour un français c’est déjà un exploit, ils se rendent pas compte

ils insistent pour me mettre un drapeau italien

cazzo

je retrouve la fille parlant avec un mec

français j’apprend après

je suis surpris qu’elle laisse quelqu’un entrer en contact avec elle

en fait ils se connaissent

elle donne une sorte de cours d’italien à des étudiants nouveaux arrivants

on prend une bière

ça me coûte un jour de bouffe

d’autres personnes arrivent, on discute

sauf avec elle

j’ai une sensation de rejet provoqué par son rejet

c’est peut être mes vêtements troués

tu parles peut être quatre ou cinq langues mais tu restes une petite minette creuse

je sais pas pourquoi je le prend personnellement

et là, je rencontre el copiloto

“l’aigle de bucarest”

c’est un français expatrié

il a l’air trop content de rencontrer un compatriote

même si on est à 1h30 de la frontière

il a vécu un an en roumanie

à l’écouter, là bas c’est le rêve :

les gens sont sympas et la vie est genre vraiment moins chère

son taux d’alcoolémie augmente

il commence à me parler des meufs

en max une heure, il va changer tout mon plan

franchement c’est pas mon style de penser schnecke

mais d’un côté je sais plus ce que c’est mon style

et puis je dois l’oublier

en quelques sortes, noyer mon chagrin dans les vagins

je le revois avant de décoller

j’ai pas envie de commencer sur 24h sans dormir

il me dit, en gros :

“mec, franchement barre toi d’italie, tu seras tellement mieux à bucarest”

friends, femmes, food

j’ai l’impression qu’il parle à la bête en moi

On remarque le motif page recto pleine — page verso chiante. (page 3, 4 & 5)

jour 2

le lendemain, plus dispo que frais, je commence à bosser

je dois changer de projets et faire des manips bizarre

des trucs complexes d’informaticiens, cherche aps

soudain, le wifi du airbnb montre ses limites

une histoire de ports, mais pas maritimes

fuck it, je savais même pas que ça pouvait arriver

comme ces prises italiennes que tu peux pas utiliser à deux millimètres près

au moins ça me fait une bonne raison de bouger

je passe m’acheter les fruits les moins chers que j’ai jamais vu

marché de porto palazzo, si tu passes par là et que t’as pas trop de tunes à perdre

surtout après t’être payé une pinte la veille

vu la gueule des produits c’est pas vraiment du bio

je vois une pêche qui doit faire un kilo et des pastèques de un mètre de diamètre

à peu près

je déjeune dans ce que les turinois appellent un parc

el copilote a pris possession de mon esprit

j’ai pas envie de manger du pain et des fruits mutants tous les jours

je pars à l’est mercredi prochain

après ce spartiate repas, je trouve oune caffè avec wifi

la manip marche

j’en ai presque une érection

dans l’euphorie, je commande un muffin tout chocolat

1,80€ c’est le prix de la victoire

le plus drôle c’est qu’après je galère une heure sur un truc de merde

las, je décide de reprendre depuis zéro

même problème qu’au airbnb

marrant

je rentre un peu nerveux

le hotspot de mon téléphone ne me permet pas de télécharger le projet

je commence à chercher des solutions niveau génie de la silicon valley

au moins

mais ça à l’air tellement chiant à faire que j’utilise une technique secrète

elle consiste à retenter sans rien changer un truc qui a déjà échoué

ça passe

je t’ai dit que c’était compliqué l’informatique

pas que je comprenais

je passe l’aprèm à bosser pour rattraper le retard

j’ai trouvé un truc à entrée gratuite pour la soirée

je sens ça va pas être aussi friendly qu’hier

mais pas question que je claque un un jour de bouffe chaque soir pour me sentir à peine moins sobre

il a été dit : “le yoga ça défonce comme la weed. Mais avant d’avoir commencé, j’ai la flemme de faire du yoga”

en y allant je passe par le parc del valentino

y a des groupes de deux à dix mecs qui t’alpaguent de loin

herba ? herba ?

je discute une heure avec un gambien

one love one heart

quand j’arrive là bas, je me rappelle un tag que j’ai vu à grenoble avant de partir :

la gentrification va trop loin

putain c’est clair

j’essaie de ne pas éprouver de mépris pour tous ces trentenaires de vingt piges

ça boit des drinks à 10 balles et ça porte des tee shirts de hobo achetés 50

je reste quinze minutes

je mets couchsurfing en mode recherche de hangouts et j’attends des réponses

sur le kindle je lis “how to stop worrying and start living”

je me dis que je devrais aussi me lancer dans le développement personnel

je reçois des notifications

mais bon, c’est comme pour tinder

tu like puis quand ça matche, tu supprimes l’affinité

je me décide à aller rejoindre un groupe d’étudiants étrangers pour une glace

mais le mec se sent obligé de dire que c’est organisé par son église

je what

c’est pas que j’ai un problème avec les culs-bénis mais

tout ce qui vient avant le mais, c’est de la merde

game of thrones

y a un autre gars qui me contacte

un local de 38 piges

pour ce soir là il est pas spécialement important

mais attends demain, je te parlerais d’une spécificité culturelle italienne

enfin, j’imagine que c’est ça

au final, ça sera soirée tranquille

je sympathise avec dani, l’hôte airbnb

je mesure les effets du cannbisme passif

ça finit sur un épisode de docteur who

mais maintenant j’ai trouvé une solution. Je prends les carnets avec les trous au dessus et qui fait tourner les pages. (pages 6, 7 & 8)

jour 3

le lendemain je me suis levé pour travailler tôt et me promener l’aprèm

c’est le jour où il va pleuvoir à partir de midi

j’aurais pris de l’avance au moins

et puis je progresse sur l’application qui va me permettre de plus jamais travailler

le barbu me reparle

je regarde son profil sur couchsurfing

il a plein de recommandations et il est même certifié

je me dis pourquoi pas aller prendre un café

après il m’envoie un selfie torse nu

je vais pas lui répondre “sorry I’m straight”

white cysgender male

so full of privilegies

c’est peut être une sorte de typicité locale

je trouve une excuse

il m’envoie un autre selfie en guise d’adieu

je vais également découvrir comme nous sommes bien déservi en papeterie. Ici. En France. Comparé au reste du monde on dirait. Donc pour l’instant je nique 1/3 d’une page sur deux. (pages 9 & 10)

je suis dans une bibliothèque municipale

c’est comme dans les bâtiments de première année de licence

vieux, usé, un peu triste

comme le wifi je crois

google est marqué comme site dangereux

je regarde la pluie dehors

j’ai la flemme de comprendre

ça se vide comme l’heure de la fermeture aprproche

il continue de pleuvoir

je sors quand même

mon hôte m’a dit qu’à vanchiglia on pouvait manger et boire pour pas trop cher

j’ai envie de jeter un oeil

confiant dans mon sens de l’orientation, j’y vais sans regarder maps

c’est comme ça que je me retrouve à l’autre bout de la ville

turin, quand tu sors du centre, t’as pas vraiment envie de t’y perdre

j’achète the cheapest crackers pour la route et une bière pour le airbnb

ce soir, c’est relax

enfin c’est ce que je pense

une heure et quelques de marche sous une petite pluie fine, j’arrive

j’allume mon pc pour avancer mon side project

dani me rejoint dix minutes plus tard

on ouvre la bière

c’est pas comme ça que je vais devenir millionaire

je propose à l’autre airbnb

c’est un japonais qui comprend quinze langues, dont la moitié sont mortes

on discute

à un moment, on est rejoint par deux potes de dani

bières en renfort

on se fait livrer indien

l’atmosphère devient brumeuse

même si j’ai “arrêté la weed”, ça me rend triste de louper autant de défonce

ils m’apprennent une technique pour fumer le haschich sans tabac

on rachète des bières

la soirée est loin d’être finie

sur la table du salon, il y a un livre de jodorowsky sur le yi king

c’est un truc de divination

dani me propose un tirage

cool, je l’ai déjà fait pour moi et pour d’autres mais on me l’a jamais fait

je dois trouver une question

je peux pas demander un truc sur ma vie sentimentale parce que je suis censé être passé à autre chose

donc je vois pas ce que je pourrais demander

qu’est-ce qui me bloque ?

le fait de ne pas être stable dans la façon de diriger ma vie

je lui demande si je dois continuer à me focaliser sur le travail, gagner de l’argent et produire du contenu, ou si je dois laisser aller et privilégier les expériences

bien sûr, le truc va pas me dire lequel choisir

on tire les pièces

8–8–6–8–8–7

rien qu’en regardant la figure je me dis qu’il y a un blocage tout en haut du mental

faire un tour du monde semble plus facile que d’oublier une femme qu’on a pendant longtemps aimé

le premier hexagramme propose de trouver où l’esprit est figé

je crois le savoir

puis le rendre fluide comme un torrent de printemps

le mode d’emploi svp ?

“aime ta prison mentale, grâce à elle tu te fabriques une auréole”

il n’empêche que par une certaine forme de lâcheté, je fuis loin de la terre où j’ai profondément mes racines

ça fait de moi un ange ?

quelques jours après je regarde des vraies traductions du yi king

yi king de richard wilhelm (disponible en pdf sur internet)

“éclatement”

le jugement est sans appel : “il n’est pas avantageux de se rendre en quelque endroit que ce soit”

tant pis, je peux plus faire demi tour et rentrer

je vais souffrir plus

c’est ce que je cherche après tout

j’espère que ça me rendra plus fort

le second hexagramme c’est la stabilisation

après l’éclatement, c’est de bonne augure je trouve

ça me demande de décider ce que je ne suis pas au delà de ce que je crois être

dani insiste sur la dernière phrase

arrêter de vivre avec la conviction de voler ce que la vie me donne

je sais pas si le chit ou la bière mais ça me parle très fort

on voit des signes où on veut

la traduction à l’air liée au yoga

“immobilisation du dos si bien qu’il ne sent plus son corps

il entre dans sa cour et ne voit plus les siens.

pas de blâme”

ça c’est moi qui part et continue ma pratique

ainsi le sage ne laisse pas ses pensées aller plus loin que sa situation

j’ai lu ça dans le livre “how to stop worring and start living”

les chinois le savaient des milliers d’années avant nous

à mon avis, je dois continuer le travail

les expériences viennent sans les chercher

il est 2h et on se décide à sortir

à turin, il y a des lieux désaffectés qui deviennent des spots alternatifs

je crois qu’on est à santa giulia

moi je connaissais la cavalerizza

on parle de lsd et d’aller danser

chouette programme

on a perdu quelqu’un, mais nous on est chaud pour continuer

le dernier pote vivant nous fait repasser chez dani

il a son petit flacon

on tâte le pour et le contre

il est 3h30 donc on risque de pas assez apprécier

on décale à mardi

rendez vous est pris

le deuxième pote de dani nous pose au mothership

on est en plein milieu d’une zone industrielle

on marche, nous les deux survivants, et on tombe sur le lieu

“welcome to the underground torino” me dit dani

on rentre

c’est techno ambiance cyber punk

je me sens comme pas assez drogué pour le lieu

je perds mes oreilles au bout de cinq minutes

on danse au milieu des dreads

parfois on sort

dani me dit de fucker une girl in every country

je sais pas si j’ai envie de relever le challenge

j’ai l’impression d’être un enfant coincé

deux heures après être arrivés on décide de lever les voiles

dani nous trouve un covoit

free ride dans un taxi pas très légal que des potes à lui payent

nous on a pas un rond

donc on est là, quatre sur la banquette arrière et deux guinéens à l’avant

c’est un peu gta

à 6h30, les feux rouges existent plus

le conducteur se paye le luxe d’un candy crush à 80km/h

et puis on arrive

j’espère que mes oreilles vont arrêter de siffler quand je me réveillerais

jour 4

… teaser de l’épisode 5 ou 6

mais c’est pas le cas

j’ai dormi quatre heures mais j’ai la flemme de me rendormir

comme j’ai rien visité d’autres que les rues et les cafés, je me motive pour aller voir superga

c’est une basilique au sommet d’une colline

j’arrive pas à me faire à la dimension de la ville

avec une bouteille d’eau et des restes de bière dans le sang, je me lance pour ce que je pense être une ballade de deux heures

là j’ai déjà marché dix kilomètres je pense

trois heures plus tard, j’arrive en haut

souveniiiiirs

ça ouvre à 3PM

le temps de me faire un yoga

y a pas de lieu tranquille

j’imagine la tête des touristes comme je me contorsionne

souveniiiiiirs #2

je redescends aussi vite que je suis arrivé

c’est à dire pas trop

quand je te montre par l’exemple ce que c’est que de ne pas être souple

deux viennoiseries pour mon déjeuner à 17h pour aller une fois de plus à san salvario

je vais voir un spectacle en italien sur maupassant

je comprends un quart du truc

je progresse

ce soir, je vais vraiment me poser

sur une place, je commence à écrire ces mémoires

le soleil se couche et un orage se prépare

je me remet en marche

en rentrant je tombe sur la cavalerizza

j’envie les italiens et leurs conférences dans des squats en plein centre ville

j’essaie de sortir par le jardin de derrière

mais y a soit des barrières soit du vide

l’orage commence à gronder, alors j’emploie les grands moyens

j’escalade et descend sans rappel

l’opération effectuée je me sens comme un aventurier de l’extrême

faut bien commencer quelque part

jour 5

le lendemain, je vais voir une amie dans la valle di susa

les bornes de train marchent pas

le contrôleur le faut payer le billet 5€ de plus

le prix d’une bière

quand je raconte ça à ma pote, elle le traite de tous les noms

un jour de bouffe, zeubi

on chill à la campagne avec son nouveau copain

je le connais, on s’était vu quand j’étais venu une semaine y a quelques mois de ça

presque douze ans de moins que le précédent

il est cool, j’aimais bien sa soeur

mais elle est partie en erasmus y a une semaine

dans l’aprèm, on monte voir la sacra di san michele

tellement deep

la vue est sympa, la visite trop chère

du coup on re-chill sur les remparts

au fond le cancer c’est turin

c’est un peu ça la dolce vita non ?

en bon chasseurs-cueilleurs, la faim nous fait bouger

en chemin, on se décide pour une tartiflette

la recette est originale

déjà y a pas de lardons

je grince un peu des dents

mais bon je voyage pour m’ouvrir l’esprit

ensuite on y rajoute quelques tranches de pomme

puis on fait frire les patates avant de les mettre dans le plat

je demande si c’est pas peur de manquer de gras

en vrai, c’est un bon

on est rejoint par un de leur pote

avec le copain de mon amie, ils jouent de la musique et chantent

j’aimerais être à l’aise comme eux

je me laisse bercer

c’est comme ça que le dernier train part de la gare du village en contrebas

tant pis pour l’airbnb

j’ai l’estomac rempli d’une sensation délicieuse

donc c’est worth it

jour 6

le matin, on a failli rater le train

c’est sans compter le laxisme du réseau ferroviaire italien

j’arrive un peu tard pour bosser

mais bon je sais pas ce que je dois faire aujourd’hui

en chemin, j’appelle le collègue qui répartir les tâches

il me demande si je suis toujours en italie

un mec qui braille une chanson dans la rue lui donne sa réponse

quand je rentre au airbnb, je trouve dani sur le trône la porte ouverte et pilon à la main

le plus heureux

ça nous ait tous arrivé, non ?

c’est pour le transit

deux heures plus tard, je ressors pour rejoindre ma pote

on va manger une glace

après on tourne dans les rues grisâtres de turin

je commence à bien les connaître

et un peu à saturer des voitures, de la fumée, du bruit

on discute signes astrologiques

elle et moi on y croit un peu

sur un quelconque site féminin je trouve les prédictions de compatibilité

on rigole sur ces histoires

bien sûr que ça fonctionne

la prochaine femme que je rencontre, je commence par lui demander ce qu’elle est

si c’est encore une vierge, je la quitte

un peu d’espoir dans ce monde de ténèbres ❤❤❤

au niveau signe hein

de toute façon, à mon jeune âge avancé on a chacun déjà essayé un certain nombre de trucs

après on monte sur une colline

plus petite que superga

on discute des villes

elle me donne encore plus de raisons pour les détester

ou plutôt, elle déconstruit les derniers arguments que j’avais pour les défendre

j’ai un peu peur pour ma prochaine semaine dans zagreb

on prend un goûter bière avant de rejoindre son copain

ils sont mignons mais ça me rend un peu triste pour lui

j’ai l’impression de savoir comment ça va finir

il a quatre ans de moins qu’elle et émotionnellement elle est bien plus mature

il va lui donner tout son amour jusqu’à ce qu’elle dise que le couple l’oppresse

la patriarchie a laissé des traumatismes

t’attache pas trop petit mec

pour rigoler je lui propose de venir avec moi en voyage pour lui apprendre mon taf

ça pourrait le sauver

mais il roucoule le jeune naïf

ou bien c’est moi qui suis cynique

et puis ses parents “le tueraient” si il arrêtait la fac

attends, tu viens de commencer on s’en fout

et puis je suis quelqu’un de sérieux moi

on se sépare sur les bords du fleuve

je cherche un parc pour faire mon yoga semi quotidien

mais à turin, les parcs sont aussi sales et gris que les murs

je trouve un carré d’herbe

je finis juste avant l’orage

c’est dingue comme le yoga ça défonce comme la beuh

en arrivant, tous mes roomates ont changé

ils sont tous là pour longtemps

y en a même un qui a ramené son pyjama intégral et ses pantoufles

et demain il sera là à faire le cacou avec sa belle chemise et ses souliers brillants

le soir on compare les meufs de tous les pays

les kazakhes font l’unanimité

pour la science ! Après on va croire que je suis allé au Kazakhstan pour ça

après c’est les résultats google

soudain je me dis que les mecs entre eux ont un problème avec la femme

ce concours de virilité me dégoûte un peu

j’ai de nouveau ces pensées de petite créature seule

trouver une charmante demoiselle pour une relation fusionnelle

c’est trop demander ?

je me demande combien de pays je vais devoir traverser pour la trouver

surtout, quel lâcher prise je vais devoir développer

des fois j’ai l’impression que mes croyances sur le couple m’handicapent

je préfère recommencer à bosser avant d’aller me coucher

jour 7

aujourd’hui je me suis levé tôt

c’est à dire que l’aprèm sera acidulé

je galère à terminer ce que je dois faire pour la journée

j’espère que ça va pas trop gâcher mon trip

à midi, dani se lève

il trace aux toilettes avec un sourire

ready for a breakfast ?

ce genre de breakfast ?

ça nous fait rire

il me met une petite goutte entre le pouce et l’index

je lèche

y a plus qu’à attendre

dani me glisse “i consider myself a psychonaut”

intéressant

le temps que ça monte, il s’est décidé à aller poser une facture à la banque et à acheter du PQ

il trouve que c’est important pour la vie quotidienne

ça me fait penser qu’ils ont des bidets en italie

quand ils font caca, ils se nettoient les fesses

à cause de ça, ils trouvent les français un peu sales

déjà on s’essuie, c’est pas mal

en l’attendant je fais un peu de yoga

je ressens les premiers effets en même temps que je m’étire

ces exercices sous psychédéliques sont un régal

j’essaie de décrire un peu

je suis obligé d’arrêter car les sensations commencent à être vachement fortes

dani revient avec sa facture et sans PQ

il s’est rendu compte que c’était un peu trop loin

à un pâté de maison

mais j’avoue que lorsque tu commences à être perché la ville révèle son côté hostile

les formes commencent à serpenter

je ferme les yeux pour apprécier le kaléidoscope

y a toujours une tristesse au niveau de mon chakra solaire

mais cette fois je l’écoute pas

je rigole sans fondre en larmes

j’ai un peu stabilisé mon mental je pense

mes idées sont puissantes mais pas noires

y a six mois, on était avec un ami sous champignons

c’était ma dernière expérience de ce genre

comme il s’étirait je lui trouvais une ressemblance frappante avec un singe

au niveau de ses mouvements, pas de son faciès

maintenant je me sens dans mon corps comme un chimpanzé

un chimpanzé dans une jungle urbaine

un chimpanzé dans une cage de pierre, d’acier et de verre

le yoga a réveillé mon corps

je sens les endroits où il y a des défauts

je dois continuer à me dénouer

dani est sur le sofa avec une couverture alors que je me tortille au milieu de la pièce

au bout d’un moment, je me mets à la fenêtre

la chaleur du soleil m’attire

j’ai l’impression de faire de la photosynthèse

je réalise que nous ne sommes que de la calorie solaire complexifiée

la calorie, cf le professeur delavier

je m’allonge à même le sol dans le rayon qui filtre par le carreau

tout d’un coup on entend la clé tourner dans la porte

dani se relève

“guy, it’s happening” il me dit avec un regard insistant

je tente de discuter avec le roomate qui vient d’arriver

j’abandonne

il va se mettre sur son lit dans la chambre

on le revoit pas mais sa présence est là

ça rend dani nerveux

moi je m’évade dans mon carnet

un autoportrait réussi : le dragon-otarie. Et aussi une tentative de dessin de dani sur la page 2

“c’est l’histoire d’un singe qui voulait vivre sa vie comme il l’entendait

mais les autres, surtout le vieux mâle, ne pouvaient l’accepter

alors lui et son amis allèrent se réfugier au sommet de la montagne …”

j’ai écris l’histoire complète à thessalonique. A mon avis c’est l’épisode 8. Je tease #2

je commence à inventer des histoires pour enfant sous lsd

bel exemple

mes réflexions vont bon train

les psychédéliques ne me font plus sentir exaltés par un sentiment divin

je mets des morceaux de pensées ensemble

mais j’évite soigneusement de penser à ma vie en particulier

je suis pas encore prêt à y plonger un regard neutre

le voyage se chargera de me laver de ça, j’espère

autoportrait fantasmé pour PNL par medium visuel (c’est crédible ?)

dani est allé se coucher

moi j’ai besoin de prendre l’air

mais à turin c’est juste impossible

comme je le disais, perché, la ville est un enfer

je bloque mon empathie pour les gens que je croise

pauvres singes

je ne peux pas les aider alors j’essaie de ne pas imaginer leur vie

je mets une heure pour trouver un carré d’herbe pas trop dégeu

en voyage, pensez à bien vous laver le visage (proportionellement à l’opacité de l’atmosphère) et à bien vous hydrater la peau. L’aloe vera c’est pas mal. Bonne continuation

le soir j’ai de grandes questions existentielles

mon travail me semble insupportable

un singe payé pour parler à des machines

et puis qu’est-ce que je vais faire de ma vie ?

je suis indépendant, personne ne décide pour moi

la liberté fait peur des fois

la voie douce d’une amie me calme

“on a pas de miracles à faire”

“ne pas regarder plus loin qu’aujourd’hui”

“des fois, il faut rester en surface et apprécier les choses simples de la vie”

voilà, ça semble simple

j’aimerais atteindre un état de sérénité inébranlable

jour 8

je me suis couché tôt la veille alors je suis debout à 5h30

un roomate se lève pour pisser vers 6h

you didn’t sleep tonight ?

pas assez pour le voyage que je vais faire ce soir

je continue à travailler pour prendre un peu d’avance

après une semaine à vivre dans cet environnement saturé, j’ai hâte de partir

d’un autre côté j’ai ce sentiment désagréable qui précède le changement de lieu de vie

tentative de rationalisation de la zone de confort & du malaise / inconfort

pour les prochains mois, je vais devoir bloquer mon attachement

c’est ce que je voulais

ne pas m’habituer trop ni aux endroits, ni aux personnes

de passage pour combien de temps ?

ça me met mal à l’aise

je crois dani vers midi

on se serre dans les bras

je ressens de la gratitude pour ces quelques jours

je laisse mon sac pour venir le récupérer en fin d’aprèm

je fais un dernier tour

du genre frustrant parce qu’il me faudrait des heures pour voir quelque chose que je n’ai pas encore vu dans les rues

je reviens plus tôt pour récupérer mes affaires

salut dani, bonne continuation

je vais dans un café pour finir mon taf de la journée

c’est le deuxième dans lequel je suis allé mais le premier que j’ai bien kiffé

j’appelle mon collègue

il est 15h et me dit d’aller me balader

mais je veux m’occuper l’esprit

donc j’avance mon application

avant de prendre le bus, je fais une des plus longues séances de yoga que j’ai jamais faite

la détente ultime

pourtant avant chacune, c’est une bataille contre la flemme

je me sens prêt pour les douze heures de bus

il est l’heure

du 13 au 20.09.2017, une semaine à Turin

premières parties d’un carnet qui va jusqu’à Athènes, fin novembre 2017

par contre pour la suite faut pas me mettre la pression

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Romaric Ruga

je mange des légumineuses car elles sont riches en protéines, et du chènevis car c’est aussi très riche et intense