introduction
j’ai recyclé un carnet humblement nomme “projet littéraire feu de dieu” en mon journal de voyage, première partie (78 jours)
jour 0
à la base, je voulais faire toutes les chouettes villes d’Italie
dans l’ordre : torino, genova, milano, bologna, firenze (florence), roma, napoli
pourquoi ? parce que je suis un enfant qui arrive pas à grandir là où il est
bref, ensuite le plan c’était d’aller en slovénie
avec un trajet de nuit pour économiser un endroit où dormir
puis en grèce, tout ça sans avion
on se rend mieux compte des distances en bus et en train
mais bon, le plan, il a pas tenu 24h après mon arrivée à turin
le matin je devais partir tôt, très tôt
la veille, j’avais encore tout à faire
j’ai fini mon sac à 22h
puis, au lieu de dormir, j’ai pensé à cette fille que j’arrivais pas à oublier depuis des mois
avec toujours la sensation qu’il restait un truc à dire
comme si ça pouvait changer quelque chose
oui, ça commence comme une histoire niaiseuse
jour 1
j’avais mis mon alarme à 4h
à 3h30 j’étais reveillé
avec la vague sensation d’avoir passé la nuit à inventer des scénarios de l’impossible
je me lève, je déjeune, je fais la vaisselle, je descend les poubelles
à 4h30 j’avais l’impression d’aller jeter des morceaux de cadavre en scred
je nettoie le sol, j’attache mon tapis de sol sur mon sac, je check ma liste
j’ai tout fait, donc go
en fermant la porte, je ressens rien
j’ai pas l’impression de partir
pourtant ça va durer des mois
qui sait, même des années
je rigole, j’ai jamais voyagé plus d’une semaine tout seul
en sortant la clé de la porte je ressens de la gratitude pour avoir été forcé de travailler mon lâcher prise pendant l’été
ça a du bon finalement les ruptures
en chemin, je lui envoie le message final
passer à autre chose avant de passer la frontière ?
mais le dernier mot, il faut se battre pour l’avoir
satisfait momentanément, je tape un somme dans le bus
en me réveillant je discute avec ma voisine
lituanienne, ou lettone, je sais plus, elle va passer sa prochaine année de fac à venise
cool, j’avais pas prévu de m’arrêter là bas, mais bon pourquoi pas si elle m’héberge
c’est marrant de parler de ça avec le recul
parce que je sais que ça va pas se faire
pas le temps pour ces conneries
en vrai, c’est que ça colle plus avec le plan plus global
ça se fait, se défait, drôle d’effet
en arrivant, je me sens pas dépaysé
tout ça semble se dérouler naturellement
c’est le fleuve qui coule quand on s’y oppose pas, tu vois ?
je trouve un café du wifi et je fais marcher la 4G
ça y est je suis un technomade
quand je ressors une heure plus tard, on s’appelle
ça dure un peu, mais pourquoi au final ?
le petit espoir qui pourrait durer des années est toujours là
j’ai juste la confirmation que je vais devoir m’occuper pendant tout ce temps
l’airbnb est au nord de la ville
aurora, quartier populaire, il faut aimer
c’est vivant, moi j’aime bien
comme je suis arrivé vite, j’attends une heure
j’ai déjà l’idée d’une application révolutionnaire qui va me permettre d’arrêter de travailler
il fait soleil et je suis posé sur un pont avec des gradins
la vie est belle
je suis dans le canapé, les roomates ne sont pas là
j’essaie de me concentrer pour aligner quelques lignes de code
l’appel du kebab est plus fort
moins cher qu’en france
j’imagine une mesure du niveau de vie : la kebab scale
sur la kebab scale, la vie est presque 20% moins chère en italie
en rentrant je bosse en même temps que je regarde des événements dans turin
couchsurfing, facebook, les sites “spécialisés”
je trouve un truc dans un bar où on peut parler plein de langues différentes
je me sens moins seul
du coup je finis mon taf l’esprit léger
j’arrive en avance mais si je sais qu’il faut jamais faire ça
y a un groupe de trois mecs d’un côté, une fille de l’autre
les premiers sont pas là pour ça, je le sens
et j’ai la flemme de leur dire “non parlo italiano” après “ciao”
je m’approche de la fille
on doit avoir le même age
but she avoids eye contact so hard it hurted me a little
je fais un tour en attendant
quand je reviens, y a un bon groupe au fond
ah non ? vous êtes pas venu pour parler d’autres langues ?
je vois les trois mecs qui les rejoignent
quel bon physionomiste je fais
j’ai trouvé mes futurs potes
on me donne un badge avec les langues que je parle, seulement deux
parler anglais pour un français c’est déjà un exploit, ils se rendent pas compte
ils insistent pour me mettre un drapeau italien
cazzo
je retrouve la fille parlant avec un mec
français j’apprend après
je suis surpris qu’elle laisse quelqu’un entrer en contact avec elle
en fait ils se connaissent
elle donne une sorte de cours d’italien à des étudiants nouveaux arrivants
on prend une bière
ça me coûte un jour de bouffe
d’autres personnes arrivent, on discute
sauf avec elle
j’ai une sensation de rejet provoqué par son rejet
c’est peut être mes vêtements troués
tu parles peut être quatre ou cinq langues mais tu restes une petite minette creuse
je sais pas pourquoi je le prend personnellement
et là, je rencontre el copiloto
c’est un français expatrié
il a l’air trop content de rencontrer un compatriote
même si on est à 1h30 de la frontière
il a vécu un an en roumanie
à l’écouter, là bas c’est le rêve :
les gens sont sympas et la vie est genre vraiment moins chère
son taux d’alcoolémie augmente
il commence à me parler des meufs
en max une heure, il va changer tout mon plan
franchement c’est pas mon style de penser schnecke
mais d’un côté je sais plus ce que c’est mon style
et puis je dois l’oublier
en quelques sortes, noyer mon chagrin dans les vagins
je le revois avant de décoller
j’ai pas envie de commencer sur 24h sans dormir
il me dit, en gros :
“mec, franchement barre toi d’italie, tu seras tellement mieux à bucarest”
friends, femmes, food
j’ai l’impression qu’il parle à la bête en moi
jour 2
le lendemain, plus dispo que frais, je commence à bosser
je dois changer de projets et faire des manips bizarre
des trucs complexes d’informaticiens, cherche aps
soudain, le wifi du airbnb montre ses limites
une histoire de ports, mais pas maritimes
fuck it, je savais même pas que ça pouvait arriver
comme ces prises italiennes que tu peux pas utiliser à deux millimètres près
au moins ça me fait une bonne raison de bouger
je passe m’acheter les fruits les moins chers que j’ai jamais vu
marché de porto palazzo, si tu passes par là et que t’as pas trop de tunes à perdre
surtout après t’être payé une pinte la veille
vu la gueule des produits c’est pas vraiment du bio
je vois une pêche qui doit faire un kilo et des pastèques de un mètre de diamètre
à peu près
je déjeune dans ce que les turinois appellent un parc
el copilote a pris possession de mon esprit
j’ai pas envie de manger du pain et des fruits mutants tous les jours
je pars à l’est mercredi prochain
après ce spartiate repas, je trouve oune caffè avec wifi
la manip marche
j’en ai presque une érection
dans l’euphorie, je commande un muffin tout chocolat
1,80€ c’est le prix de la victoire
le plus drôle c’est qu’après je galère une heure sur un truc de merde
las, je décide de reprendre depuis zéro
même problème qu’au airbnb
marrant
je rentre un peu nerveux
le hotspot de mon téléphone ne me permet pas de télécharger le projet
je commence à chercher des solutions niveau génie de la silicon valley
au moins
mais ça à l’air tellement chiant à faire que j’utilise une technique secrète
elle consiste à retenter sans rien changer un truc qui a déjà échoué
ça passe
je t’ai dit que c’était compliqué l’informatique
pas que je comprenais
je passe l’aprèm à bosser pour rattraper le retard
j’ai trouvé un truc à entrée gratuite pour la soirée
je sens ça va pas être aussi friendly qu’hier
mais pas question que je claque un un jour de bouffe chaque soir pour me sentir à peine moins sobre
en y allant je passe par le parc del valentino
y a des groupes de deux à dix mecs qui t’alpaguent de loin
herba ? herba ?
je discute une heure avec un gambien
one love one heart
quand j’arrive là bas, je me rappelle un tag que j’ai vu à grenoble avant de partir :
la gentrification va trop loin
putain c’est clair
j’essaie de ne pas éprouver de mépris pour tous ces trentenaires de vingt piges
ça boit des drinks à 10 balles et ça porte des tee shirts de hobo achetés 50
je reste quinze minutes
je mets couchsurfing en mode recherche de hangouts et j’attends des réponses
sur le kindle je lis “how to stop worrying and start living”
je me dis que je devrais aussi me lancer dans le développement personnel
je reçois des notifications
mais bon, c’est comme pour tinder
tu like puis quand ça matche, tu supprimes l’affinité
je me décide à aller rejoindre un groupe d’étudiants étrangers pour une glace
mais le mec se sent obligé de dire que c’est organisé par son église
je what
c’est pas que j’ai un problème avec les culs-bénis mais
tout ce qui vient avant le mais, c’est de la merde
game of thrones
y a un autre gars qui me contacte
un local de 38 piges
pour ce soir là il est pas spécialement important
mais attends demain, je te parlerais d’une spécificité culturelle italienne
enfin, j’imagine que c’est ça
au final, ça sera soirée tranquille
je sympathise avec dani, l’hôte airbnb
je mesure les effets du cannbisme passif
ça finit sur un épisode de docteur who
jour 3
le lendemain je me suis levé pour travailler tôt et me promener l’aprèm
c’est le jour où il va pleuvoir à partir de midi
j’aurais pris de l’avance au moins
et puis je progresse sur l’application qui va me permettre de plus jamais travailler
le barbu me reparle
je regarde son profil sur couchsurfing
il a plein de recommandations et il est même certifié
je me dis pourquoi pas aller prendre un café
après il m’envoie un selfie torse nu
je vais pas lui répondre “sorry I’m straight”
white cysgender male
so full of privilegies
c’est peut être une sorte de typicité locale
je trouve une excuse
il m’envoie un autre selfie en guise d’adieu
je suis dans une bibliothèque municipale
c’est comme dans les bâtiments de première année de licence
vieux, usé, un peu triste
comme le wifi je crois
google est marqué comme site dangereux
je regarde la pluie dehors
j’ai la flemme de comprendre
ça se vide comme l’heure de la fermeture aprproche
il continue de pleuvoir
je sors quand même
mon hôte m’a dit qu’à vanchiglia on pouvait manger et boire pour pas trop cher
j’ai envie de jeter un oeil
confiant dans mon sens de l’orientation, j’y vais sans regarder maps
c’est comme ça que je me retrouve à l’autre bout de la ville
turin, quand tu sors du centre, t’as pas vraiment envie de t’y perdre
j’achète the cheapest crackers pour la route et une bière pour le airbnb
ce soir, c’est relax
enfin c’est ce que je pense
une heure et quelques de marche sous une petite pluie fine, j’arrive
j’allume mon pc pour avancer mon side project
dani me rejoint dix minutes plus tard
on ouvre la bière
c’est pas comme ça que je vais devenir millionaire
je propose à l’autre airbnb
c’est un japonais qui comprend quinze langues, dont la moitié sont mortes
on discute
à un moment, on est rejoint par deux potes de dani
bières en renfort
on se fait livrer indien
l’atmosphère devient brumeuse
même si j’ai “arrêté la weed”, ça me rend triste de louper autant de défonce
ils m’apprennent une technique pour fumer le haschich sans tabac
on rachète des bières
la soirée est loin d’être finie
sur la table du salon, il y a un livre de jodorowsky sur le yi king
c’est un truc de divination
dani me propose un tirage
cool, je l’ai déjà fait pour moi et pour d’autres mais on me l’a jamais fait
je dois trouver une question
je peux pas demander un truc sur ma vie sentimentale parce que je suis censé être passé à autre chose
donc je vois pas ce que je pourrais demander
qu’est-ce qui me bloque ?
le fait de ne pas être stable dans la façon de diriger ma vie
je lui demande si je dois continuer à me focaliser sur le travail, gagner de l’argent et produire du contenu, ou si je dois laisser aller et privilégier les expériences
bien sûr, le truc va pas me dire lequel choisir
on tire les pièces
8–8–6–8–8–7
rien qu’en regardant la figure je me dis qu’il y a un blocage tout en haut du mental
faire un tour du monde semble plus facile que d’oublier une femme qu’on a pendant longtemps aimé
le premier hexagramme propose de trouver où l’esprit est figé
je crois le savoir
puis le rendre fluide comme un torrent de printemps
le mode d’emploi svp ?
“aime ta prison mentale, grâce à elle tu te fabriques une auréole”
il n’empêche que par une certaine forme de lâcheté, je fuis loin de la terre où j’ai profondément mes racines
ça fait de moi un ange ?
quelques jours après je regarde des vraies traductions du yi king
“éclatement”
le jugement est sans appel : “il n’est pas avantageux de se rendre en quelque endroit que ce soit”
tant pis, je peux plus faire demi tour et rentrer
je vais souffrir plus
c’est ce que je cherche après tout
j’espère que ça me rendra plus fort
le second hexagramme c’est la stabilisation
après l’éclatement, c’est de bonne augure je trouve
ça me demande de décider ce que je ne suis pas au delà de ce que je crois être
dani insiste sur la dernière phrase
arrêter de vivre avec la conviction de voler ce que la vie me donne
je sais pas si le chit ou la bière mais ça me parle très fort
on voit des signes où on veut
la traduction à l’air liée au yoga
“immobilisation du dos si bien qu’il ne sent plus son corps
il entre dans sa cour et ne voit plus les siens.
pas de blâme”
ça c’est moi qui part et continue ma pratique
ainsi le sage ne laisse pas ses pensées aller plus loin que sa situation
j’ai lu ça dans le livre “how to stop worring and start living”
les chinois le savaient des milliers d’années avant nous
à mon avis, je dois continuer le travail
les expériences viennent sans les chercher
il est 2h et on se décide à sortir
à turin, il y a des lieux désaffectés qui deviennent des spots alternatifs
je crois qu’on est à santa giulia
moi je connaissais la cavalerizza
on parle de lsd et d’aller danser
chouette programme
on a perdu quelqu’un, mais nous on est chaud pour continuer
le dernier pote vivant nous fait repasser chez dani
il a son petit flacon
on tâte le pour et le contre
il est 3h30 donc on risque de pas assez apprécier
on décale à mardi
rendez vous est pris
le deuxième pote de dani nous pose au mothership
on est en plein milieu d’une zone industrielle
on marche, nous les deux survivants, et on tombe sur le lieu
“welcome to the underground torino” me dit dani
on rentre
c’est techno ambiance cyber punk
je me sens comme pas assez drogué pour le lieu
je perds mes oreilles au bout de cinq minutes
on danse au milieu des dreads
parfois on sort
dani me dit de fucker une girl in every country
je sais pas si j’ai envie de relever le challenge
j’ai l’impression d’être un enfant coincé
deux heures après être arrivés on décide de lever les voiles
dani nous trouve un covoit
free ride dans un taxi pas très légal que des potes à lui payent
nous on a pas un rond
donc on est là, quatre sur la banquette arrière et deux guinéens à l’avant
c’est un peu gta
à 6h30, les feux rouges existent plus
le conducteur se paye le luxe d’un candy crush à 80km/h
et puis on arrive
j’espère que mes oreilles vont arrêter de siffler quand je me réveillerais
jour 4
mais c’est pas le cas
j’ai dormi quatre heures mais j’ai la flemme de me rendormir
comme j’ai rien visité d’autres que les rues et les cafés, je me motive pour aller voir superga
c’est une basilique au sommet d’une colline
j’arrive pas à me faire à la dimension de la ville
avec une bouteille d’eau et des restes de bière dans le sang, je me lance pour ce que je pense être une ballade de deux heures
trois heures plus tard, j’arrive en haut
ça ouvre à 3PM
le temps de me faire un yoga
y a pas de lieu tranquille
j’imagine la tête des touristes comme je me contorsionne
je redescends aussi vite que je suis arrivé
c’est à dire pas trop
deux viennoiseries pour mon déjeuner à 17h pour aller une fois de plus à san salvario
je vais voir un spectacle en italien sur maupassant
je comprends un quart du truc
je progresse
ce soir, je vais vraiment me poser
sur une place, je commence à écrire ces mémoires
le soleil se couche et un orage se prépare
je me remet en marche
en rentrant je tombe sur la cavalerizza
j’envie les italiens et leurs conférences dans des squats en plein centre ville
j’essaie de sortir par le jardin de derrière
mais y a soit des barrières soit du vide
l’orage commence à gronder, alors j’emploie les grands moyens
j’escalade et descend sans rappel
l’opération effectuée je me sens comme un aventurier de l’extrême
faut bien commencer quelque part
jour 5
le lendemain, je vais voir une amie dans la valle di susa
les bornes de train marchent pas
le contrôleur le faut payer le billet 5€ de plus
le prix d’une bière
quand je raconte ça à ma pote, elle le traite de tous les noms
un jour de bouffe, zeubi
on chill à la campagne avec son nouveau copain
je le connais, on s’était vu quand j’étais venu une semaine y a quelques mois de ça
presque douze ans de moins que le précédent
il est cool, j’aimais bien sa soeur
mais elle est partie en erasmus y a une semaine
dans l’aprèm, on monte voir la sacra di san michele
la vue est sympa, la visite trop chère
du coup on re-chill sur les remparts
c’est un peu ça la dolce vita non ?
en bon chasseurs-cueilleurs, la faim nous fait bouger
en chemin, on se décide pour une tartiflette
la recette est originale
déjà y a pas de lardons
je grince un peu des dents
mais bon je voyage pour m’ouvrir l’esprit
ensuite on y rajoute quelques tranches de pomme
puis on fait frire les patates avant de les mettre dans le plat
je demande si c’est pas peur de manquer de gras
en vrai, c’est un bon
on est rejoint par un de leur pote
avec le copain de mon amie, ils jouent de la musique et chantent
j’aimerais être à l’aise comme eux
je me laisse bercer
c’est comme ça que le dernier train part de la gare du village en contrebas
tant pis pour l’airbnb
j’ai l’estomac rempli d’une sensation délicieuse
donc c’est worth it
jour 6
le matin, on a failli rater le train
c’est sans compter le laxisme du réseau ferroviaire italien
j’arrive un peu tard pour bosser
mais bon je sais pas ce que je dois faire aujourd’hui
en chemin, j’appelle le collègue qui répartir les tâches
il me demande si je suis toujours en italie
un mec qui braille une chanson dans la rue lui donne sa réponse
quand je rentre au airbnb, je trouve dani sur le trône la porte ouverte et pilon à la main
le plus heureux
ça nous ait tous arrivé, non ?
c’est pour le transit
deux heures plus tard, je ressors pour rejoindre ma pote
on va manger une glace
après on tourne dans les rues grisâtres de turin
je commence à bien les connaître
et un peu à saturer des voitures, de la fumée, du bruit
on discute signes astrologiques
elle et moi on y croit un peu
sur un quelconque site féminin je trouve les prédictions de compatibilité
on rigole sur ces histoires
bien sûr que ça fonctionne
la prochaine femme que je rencontre, je commence par lui demander ce qu’elle est
si c’est encore une vierge, je la quitte
au niveau signe hein
de toute façon, à mon jeune âge avancé on a chacun déjà essayé un certain nombre de trucs
après on monte sur une colline
plus petite que superga
on discute des villes
elle me donne encore plus de raisons pour les détester
ou plutôt, elle déconstruit les derniers arguments que j’avais pour les défendre
j’ai un peu peur pour ma prochaine semaine dans zagreb
on prend un goûter bière avant de rejoindre son copain
ils sont mignons mais ça me rend un peu triste pour lui
j’ai l’impression de savoir comment ça va finir
il a quatre ans de moins qu’elle et émotionnellement elle est bien plus mature
il va lui donner tout son amour jusqu’à ce qu’elle dise que le couple l’oppresse
la patriarchie a laissé des traumatismes
t’attache pas trop petit mec
pour rigoler je lui propose de venir avec moi en voyage pour lui apprendre mon taf
ça pourrait le sauver
mais il roucoule le jeune naïf
ou bien c’est moi qui suis cynique
et puis ses parents “le tueraient” si il arrêtait la fac
attends, tu viens de commencer on s’en fout
et puis je suis quelqu’un de sérieux moi
on se sépare sur les bords du fleuve
je cherche un parc pour faire mon yoga semi quotidien
mais à turin, les parcs sont aussi sales et gris que les murs
je trouve un carré d’herbe
je finis juste avant l’orage
c’est dingue comme le yoga ça défonce comme la beuh
en arrivant, tous mes roomates ont changé
ils sont tous là pour longtemps
y en a même un qui a ramené son pyjama intégral et ses pantoufles
et demain il sera là à faire le cacou avec sa belle chemise et ses souliers brillants
le soir on compare les meufs de tous les pays
les kazakhes font l’unanimité
après c’est les résultats google
soudain je me dis que les mecs entre eux ont un problème avec la femme
ce concours de virilité me dégoûte un peu
j’ai de nouveau ces pensées de petite créature seule
trouver une charmante demoiselle pour une relation fusionnelle
c’est trop demander ?
je me demande combien de pays je vais devoir traverser pour la trouver
surtout, quel lâcher prise je vais devoir développer
des fois j’ai l’impression que mes croyances sur le couple m’handicapent
je préfère recommencer à bosser avant d’aller me coucher
jour 7
aujourd’hui je me suis levé tôt
c’est à dire que l’aprèm sera acidulé
je galère à terminer ce que je dois faire pour la journée
j’espère que ça va pas trop gâcher mon trip
à midi, dani se lève
il trace aux toilettes avec un sourire
ready for a breakfast ?
ce genre de breakfast ?
ça nous fait rire
il me met une petite goutte entre le pouce et l’index
je lèche
y a plus qu’à attendre
dani me glisse “i consider myself a psychonaut”
intéressant
le temps que ça monte, il s’est décidé à aller poser une facture à la banque et à acheter du PQ
il trouve que c’est important pour la vie quotidienne
ça me fait penser qu’ils ont des bidets en italie
quand ils font caca, ils se nettoient les fesses
à cause de ça, ils trouvent les français un peu sales
déjà on s’essuie, c’est pas mal
en l’attendant je fais un peu de yoga
je ressens les premiers effets en même temps que je m’étire
ces exercices sous psychédéliques sont un régal
je suis obligé d’arrêter car les sensations commencent à être vachement fortes
dani revient avec sa facture et sans PQ
il s’est rendu compte que c’était un peu trop loin
à un pâté de maison
mais j’avoue que lorsque tu commences à être perché la ville révèle son côté hostile
les formes commencent à serpenter
je ferme les yeux pour apprécier le kaléidoscope
y a toujours une tristesse au niveau de mon chakra solaire
mais cette fois je l’écoute pas
je rigole sans fondre en larmes
j’ai un peu stabilisé mon mental je pense
mes idées sont puissantes mais pas noires
y a six mois, on était avec un ami sous champignons
c’était ma dernière expérience de ce genre
comme il s’étirait je lui trouvais une ressemblance frappante avec un singe
au niveau de ses mouvements, pas de son faciès
maintenant je me sens dans mon corps comme un chimpanzé
un chimpanzé dans une jungle urbaine
un chimpanzé dans une cage de pierre, d’acier et de verre
le yoga a réveillé mon corps
je sens les endroits où il y a des défauts
je dois continuer à me dénouer
dani est sur le sofa avec une couverture alors que je me tortille au milieu de la pièce
au bout d’un moment, je me mets à la fenêtre
la chaleur du soleil m’attire
j’ai l’impression de faire de la photosynthèse
je réalise que nous ne sommes que de la calorie solaire complexifiée
je m’allonge à même le sol dans le rayon qui filtre par le carreau
tout d’un coup on entend la clé tourner dans la porte
dani se relève
“guy, it’s happening” il me dit avec un regard insistant
je tente de discuter avec le roomate qui vient d’arriver
j’abandonne
il va se mettre sur son lit dans la chambre
on le revoit pas mais sa présence est là
ça rend dani nerveux
moi je m’évade dans mon carnet
“c’est l’histoire d’un singe qui voulait vivre sa vie comme il l’entendait
mais les autres, surtout le vieux mâle, ne pouvaient l’accepter
alors lui et son amis allèrent se réfugier au sommet de la montagne …”
je commence à inventer des histoires pour enfant sous lsd
bel exemple
mes réflexions vont bon train
les psychédéliques ne me font plus sentir exaltés par un sentiment divin
je mets des morceaux de pensées ensemble
mais j’évite soigneusement de penser à ma vie en particulier
je suis pas encore prêt à y plonger un regard neutre
le voyage se chargera de me laver de ça, j’espère
dani est allé se coucher
moi j’ai besoin de prendre l’air
mais à turin c’est juste impossible
comme je le disais, perché, la ville est un enfer
je bloque mon empathie pour les gens que je croise
pauvres singes
je ne peux pas les aider alors j’essaie de ne pas imaginer leur vie
je mets une heure pour trouver un carré d’herbe pas trop dégeu
le soir j’ai de grandes questions existentielles
mon travail me semble insupportable
un singe payé pour parler à des machines
et puis qu’est-ce que je vais faire de ma vie ?
je suis indépendant, personne ne décide pour moi
la liberté fait peur des fois
la voie douce d’une amie me calme
“on a pas de miracles à faire”
“ne pas regarder plus loin qu’aujourd’hui”
“des fois, il faut rester en surface et apprécier les choses simples de la vie”
voilà, ça semble simple
j’aimerais atteindre un état de sérénité inébranlable
jour 8
je me suis couché tôt la veille alors je suis debout à 5h30
un roomate se lève pour pisser vers 6h
you didn’t sleep tonight ?
pas assez pour le voyage que je vais faire ce soir
je continue à travailler pour prendre un peu d’avance
après une semaine à vivre dans cet environnement saturé, j’ai hâte de partir
d’un autre côté j’ai ce sentiment désagréable qui précède le changement de lieu de vie
pour les prochains mois, je vais devoir bloquer mon attachement
c’est ce que je voulais
ne pas m’habituer trop ni aux endroits, ni aux personnes
de passage pour combien de temps ?
ça me met mal à l’aise
je crois dani vers midi
on se serre dans les bras
je ressens de la gratitude pour ces quelques jours
je laisse mon sac pour venir le récupérer en fin d’aprèm
je fais un dernier tour
du genre frustrant parce qu’il me faudrait des heures pour voir quelque chose que je n’ai pas encore vu dans les rues
je reviens plus tôt pour récupérer mes affaires
salut dani, bonne continuation
je vais dans un café pour finir mon taf de la journée
c’est le deuxième dans lequel je suis allé mais le premier que j’ai bien kiffé
j’appelle mon collègue
il est 15h et me dit d’aller me balader
mais je veux m’occuper l’esprit
donc j’avance mon application
avant de prendre le bus, je fais une des plus longues séances de yoga que j’ai jamais faite
la détente ultime
pourtant avant chacune, c’est une bataille contre la flemme
je me sens prêt pour les douze heures de bus
il est l’heure
du 13 au 20.09.2017, une semaine à Turin
premières parties d’un carnet qui va jusqu’à Athènes, fin novembre 2017
par contre pour la suite faut pas me mettre la pression