Bienvenue dans l’ère de la marque narrative

Eric Maillard
4 min readJul 17, 2019

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Derrière les buzz words « Brand content », « storytelling », « marque média » ou « éditorialisation » se cache un enjeu commun à toutes les marques sous le règne des médias sociaux : comment intégrer la narration au niveau de sa stratégie ? La multiplication des canaux a disséminé le contenu des marques jusqu’à en perdre le fil rouge des histoires qu’elles racontent. Les marques cherchent trop souvent des expressions sociales avant de se rendre « social compatible » ou formaliser la dimension sociale qu’elles ont en elles.

L’expression narrative des plateformes de marque et stratégies d’entreprise est à ce jour une trop rare réalité. Les concepteurs de récits destinés à se déployer sur de longues périodes et faire vivre plusieurs histoires (sagas littéraires, cinéma ou séries télés) disposent de codes et usages éprouvés. Une déclinaison en outils et techniques sur-mesure permet de les appliquer parfaitement à chaque marque.

Mais reprenons depuis le début.

D’un côté, il y a les plateformes qui structurent l’essence de la marque et sa raison d‘être, sa mission et son utilité, son style et sa personnalité, ses valeurs et sa culture, sa promesse et sa vision, son territoire d’expression… De façon factuelle, distinctive et, dans le meilleur des cas, inspirante. Elles s’expriment à travers un logo, une charte graphique, un « claim » parfois aussi fort que la marque (« Just do it », « Think different », « What else »…). Elles construisent une identité qui s’analyse encore aujourd’hui avec le prisme créé par Kapferer en 1992. Elles cristallisent aussi une stratégie d’entreprise dont elles constituent une valeur immatérielle puissante.

Identités de marque Vittel vs Evian

De l’autre, les neurosciences ont démontré l’importance pour les marques de ne pas se contenter de mots abstraits et de raconter des histoires pour créer un lien émotionnel. Désormais convaincues de l’impact du storytelling, les marques s’en sont aussi emparé pour maintenir l’attention sur la durée dans un nouvel écosystème enrichi. L’éditorialisation concerne tous les publics et toutes ses expressions, dans de multiples espaces digitaux et sociaux, mais aussi dans les événements et sur les points de vente. La marque média est ainsi née.

Le brand content selon Red Bull

Ces 2 réalités, intrinsèquement liées, sont pourtant souvent pensées indépendamment.

D’abord sont bâtis les fondamentaux (plateforme, identité), transformés en idéal de marque à un moment où s’affranchir de la socio-culture qui l’entoure n’est plus une option. Ensuite ou en parallèle, le narratif est développé, parfois fragmenté, défini par canaux et formats dédiés, et trop souvent improprement réduit à du « Brand content », pour porter cet idéal. En conséquence, chaque production de contenu réinterroge la narration de la marque, parfois sa « brand platform », quitte à l’étirer jusqu’à la malmener.

Toutes les marques ne sont pas égales. Elles n’ont pas toutes vocation à devenir des marques média. Mais elles ont toutes le même enjeu de transformer leur identité en histoires. Opérer cette mutation au niveau de la marque plutôt que par le prisme de territoires d’expression devient essentiel pour garder la main sur leur propre storyline.

Quelques marques, souvent dans l’univers du luxe, ont ouvert la voie, souvent aidées par la richesse de leur histoire ou de leur créateur. Je mentionnais ici Louis Vuitton. Moleskine est un autre exemple qui a particulièrement bien intégré les projections narratives dans la façon de se raconter.

Quand Moleskine raconte sa marque

La nécessité de développer des marques narratives est basée sur quatre grandes convictions :

- On peut continuer à vivre sans l’expression narrative de sa marque. Mais les performances de ses actions et la maîtrise de son identité continuera à se complexifier jusqu’à devenir incontrôlable. L’opinion se chargera de nourrir les histoires d’une marque qui en manque, pas toujours pour son bien.

- Une histoire de marque est avant tout une histoire. Elle doit répondre à des codes. Un principe de narration, des personnages, une mise en tension narrative, une quête, éventuellement des opposants, un terrain de jeu pour des intrigues avec un début, un milieu, une fin… Tout ce qu’intègre une bible de série télé avec le pitch en 5 lignes, le concept en 2 pages, les intrigues de la saison 1, la note d’intention qui indique les grands thèmes de société traités ou schémas d’évolution possibles.

- La « Charte narrative » d’une marque est sa bible : elle raconte la marque, la pitche, la rend intriguante et surprenante, incarnée, connectée au monde qui l’entoure. Elle décline en histoires des piliers de plateformes de marque, scénarise sa charte éditoriale, met des mots sur des mood boards, met des images sur des moments clés… Elle intègre la plateforme de marque et la charte éditoriale à découvrir comme un livre haletant et inspirant.

- Il faut s’assurer que le principe narratif restera en résonance avec les socio-cultures qui l’entourent. C’est un regard quasi anthropologique sur l’histoire qui permettra de s’assurer que le cadre narratif permet de croiser l’ensemble des thèmes de société qu’une marque ne peut plus ignorer aujourd’hui et doit anticiper pour demain. Comprendre les enjeux d’influence et les mécaniques virales sur les médias sociaux aidera.

Pour piloter de façon éclairée sa « Charte narrative », la marque devra être accompagnée d’un « showrunner » expert apte à guider les équipes dans cette évolution fondamentale.

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