DIY : ils s’attaquent à l’éducation

Pauline-Gaïa Laburte
4 min readJul 25, 2016

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Comment fabriquer votre propre savon, construire une table basse design pour votre salon, bidouiller votre ordinateur. Le DIY a infiltré votre quotidien, vous transformant en super bricoleur (pas seulement du dimanche) capable de discuter des heures de la dernière perceuse/visseuse 6221 LD que vous avez achetée ou de la taille des aiguilles que vous utilisez pour tricoter vos taies d’oreillers (conseil : commencez avec des aiguilles de 4 à 7 mm). Et parfois, en lisant les infos, vous avez l’impression qu’il s’ouvre plus de FabLab que de McDo.

DIY. Do-it-Yourself. La tendance est partout et investit même un secteur où on ne l’attendait pas forcément : l’éducation. Les « DIY learners » forment une nouvelle communauté aspirant à reprendre le contrôle sur sa formation en décidant des sujets et compétences qu’elle souhaite étudier. Bien entendu, les autodidactes ont toujours existé. Thomas Edison, Abraham Lincoln, Steve Jobs, et même Alain Afflelou (on vous le dit, il est fou) n’ont pas eu besoin d’aller user leurs fonds de culotte à l’université pour se former. Mais le DIY learner n’est plus un oiseau rare.

Les éducateurs, les parents, les élèves et bien d’autres sont en train de déconstruire et d’examiner à la loupe les différents modules de l’apprentissage afin de les réassembler pour une formation plus efficace et personnalisée. Alors, qu’est-ce qui a changé ? Premier constat, sortir diplômé d’une institution « classique » ne suffit plus pour être sûr de trouver du travail. Les universités, ces énormes mastodontes administratifs, ont du mal à s’adapter aux nouvelles compétences demandées sur le marché de l’emploi. Les jeunes sont donc de moins de moins emballés à l’idée d’aller perdre 3 (ou 5, ou 8 !) ans à acquérir des connaissances qui ne leur serviront pas à décrocher un job. L’arrivée massive des Moocs, cours en ligne, et autres tutos favorise également une éducation plus DIY, plus personnalisée. De grandes écoles et universités ont pris le parti de donner accès à leurs ressources pédagogiques, la connaissance est à portée de souris pour qui veut bien se donner la peine de taper dans son moteur Google. Une manière de s’éduquer à moindre coût et de personnaliser son parcours de formation.

Evidemment, il n’y a pas que des avantages à ce modèle. La plupart des cours auxquels ont accès les DIY learners ne délivrent pas de diplômes. Or on sait que le sacro-saint bout de papier reste le sésame magique pour obtenir le bon job. Et il y a la solitude. Seul derrière son écran, on ne profite ni de l’émulation de pairs, ni du coaching d’un formateur. Or l’expérience a montré qu’il est difficile de se motiver pour aller au bout d’un apprentissage lorsque celui-ci se fait seul. Se former, ce n’est pas qu’emmagasiner des connaissances ou acquérir des compétences. Ce qui fait la richesse d’une formation, c’est également l’expérience d’apprentissage. Comment est-il donc possible de combiner ces deux impératifs : construire son propre parcours de formation / bénéficier d’une expérience d’apprentissage au sein d’une communauté d’apprenants ?

Des écoles sont déjà en train de réfléchir à des solutions. Certaines d’entre elles ont sauté le pas et se dirigent vers un modèle « à la carte », proposant à leurs élèves de nouvelles briques à partir desquelles ils sont libres de construire leur parcours de formation. En France, HEC Paris propose ainsi aux élèves de sa majeure Entrepreneur de suivre les cours de code informatique du Wagon, tandis que ceux de la majeure Digital ont la possibilité d’intégrer le track Digital Entrepreneur, développé avec l’école 42. Aux Pays-Bas, la Growth Tribe Academy a passé un partenariat avec la VU University et l’Amsterdam School of Applied Sciences afin de former 24 élèves de ces écoles au growth hacking.

De plus en plus d’écoles et d’universités ont ainsi recours à des « prestataires » externes pour enrichir leur parcours, préférant se concentrer sur leur cœur de métier et laisser aux experts le soin de créer de nouveaux modules venant se plugger sur l’offre initiale.

Cette stratégie leur permet de gagner en agilité, en leur offrant la possibilité d’adapter très rapidement leur formation aux besoins en compétences du marché. Dans certains cas, ces hybridations sont même soutenues par les pouvoirs publics. L’administration Obama a lancé l’an dernier le programme EQUIP (Educational Quality through Innovative Partnerships) afin de permettre à des élèves à faibles revenus d’accéder à de nouveaux modèles d’éducation et de formation. Cela se traduit par des partenariats entre des universités et des bootcamps.

L’ouverture à d’autres acteurs de l’éducation est aussi l’opportunité pour les institutions traditionnelles de s’acculturer à l’innovation pédagogique, d’unir leurs forces avec les disrupteurs de l’éducation, de tester de nouvelles méthodes d’apprentissage, des formats, des outils numériques, qu’elles pourront réutiliser en interne. Audencia Nantes devrait ainsi lancer à la rentrée son programme « Audencia New School », un incubateur de pratiques pédagogiques innovantes. L’école de management passera par un appel à projets international pour détecter des projets ou programmes disruptifs, qui pourront à terme être intégrés à ses programme existants, les bonnes pratiques ayant vocation à infuser l’ensemble des programmes de l’école.

Alors que nous réserve le futur de l’éducation ? Va-t-on vers une fragmentation de la chaîne de valeur du secteur éducatif, vers un modèle dans lequel les institutions d’enseignement supérieur auront pour rôle non plus de créer du contenu pédagogique, mais d’assembler des briques pour créer des parcours de formation ? Les meilleures écoles seront alors peut-être celles qui parviendront à assembler le meilleur parcours, un bootcamp par-ci, un semestre à l’étranger par-là, agrémenté de projets avec des startups, des sortes de « personal shoppers » de l’éducation. Cristina Cordula n’a qu’à bien se tenir.

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