Il quitte la presse, la cinquième raison va vous surprendre !!!

Pipomantis
8 min readJan 28, 2022

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En mars prochain, j’aurais dû fêter mes 17 ans de carrière dans la presse JV.
17 années passées par des blogs, des sites, de la presse papier, web, audio, vidéo ; et j’ai la prétention de penser que je n’y suis pas trop mauvais. De la sortie de la DS en 2005 jusqu’à la PlayStation 5 et ses rares exclusivités, en passant par des dithyrambes enflammées sur Metal Gear Solid, Katamari Damashii, Killer7, Super Meat Boy, Nuclear Throne, Bayonetta et autres F-Zero GX.
17 années (pas toujours brillantes, entendons-nous — surtout les premières) à jouer, dépiauter, analyser, comparer et surtout, transmettre cette espèce de feu qui m’anime depuis la plus petite enfance. Cette flamme du jeu, du ludique, de l’expérience inimitable dont on parle avec des étoiles dans les yeux et des trémolos dans la voix, que l’on veut absolument faire essayer aux copains.
Sauf que j’avais la chance que les copains en question forment des auditoires parfois gigantesques.

D’abord dans des publications assez confidentielles (Fluctuat.net, Gamersyde), puis vint un passage par la formidable vie de pigiste chez Yellow Media (notamment à l’Officiel Xbox, Jeux Vidéo Magazine, Joystick et un passage éclair chez Joypad - en grande partie des magazines que je dévorais dans mon enfance). Lassé de suer sang et eau pour 400 euros de piges par mois, j’ai ensuite eu l’inestimable chance de travailler avec Sébastien “Netsabes” Delahaye pour fonder ce qui deviendra le second acte de naissance de ma carrière : Barre de Vie. Un petit site sans grande prétention qui, on l’a presque toujours avoué, aura surtout servi à se faire remarquer par la rédaction de Canard PC — magazine qu’à l’adolescence je lisais alors que je jouais presque exclusivement sur consoles, tant je me reconnaissais dans son ton et ses plumes (vous l’avez ?).
Canard PC, donc. Six années et demi de labeur, de rigolade, de bouclages qui finissent trop tard, de hors-série rédigés pendant des week-ends entiers, le tout dans des conditions pas toujours idéales que l’on avait appris à accepter au vu du statut particulier de l’entreprise, PME presque familiale qui menaçait de déposer le bilan tous les six mois. On serrait les dents mais on acceptait, parce qu’on était tous plus ou moins dans le même bateau, qu’on jouissait d’une grande liberté éditoriale (même encouragée lorsqu’il s’agissait de faire des conneries) et que, bon an mal an, nous arrivions à faire atterrir le bestiau en kiosques toutes les deux semaines. Quelle fierté bordel.

Et puis il y a eu Gamekult. La grosse machine. La publication dont je disais en rigolant à moitié qu’elle serait ma seule alternative possible après Canard PC, étant peu ou prou la seule à provoquer en moi autant d’admiration et de respect. Et puis c’était l’occasion de me retrouver avec mon doux Gauthier “Gautoz” Andres avec qui, au delà d’une belle amitié, nous partagions un podcast depuis déjà un petit bout de temps.
Presque quatre années, parfois intenses et difficiles, mais très souvent riches en découvertes et en fiertés. Au delà de certains passages obligés de la vie d’une rédaction (notamment les news, qui n’amusent pas grand monde), j’ai souvent pu y exprimer mon amour pour les jeux les plus insolites et méritants, d’Outer Wilds à Slay the Spire en passant par Return of the Obra Dinn ou DJMax, mais également faire le rigolo dans une émission hebdomadaire à la production épatante, ainsi que parler de mon amour pour l’Histoire du jeu vidéo avec Rétro Dash — assurément une de mes plus grandes fiertés.

Et aujourd’hui, je crois que c’est fini, que je n’ai plus la force de travailler pour une industrie aussi mal valorisée que celle-ci. La presse (a fortiori spécialisée, même si je pense très fort aux journalistes perdus dans les ilots des open spaces généralistes) est un métier de plus en plus difficile et de moins en moins bien rémunéré, où l’on fait charbonner des journalistes déjà précarisés jusqu’à les cramer en quelques années.

Un tweet bien plus récent que la rédaction de ce texte, heh

A 36 ans et après presque 17 ans d’une carrière que j’ose imaginer notable et un minimum respectable, je continue de vivre dans des studios de 20 à 25m², de compter à la fin de chaque mois, et d’angoisser pour mon avenir. Et ça n’est pas normal. Comme il est anormal de ne pas pouvoir prétendre à une simple chambre à coucher après toutes ces années.

Les grandes entreprises trouvent normal de multiplier les heures de travail sans les rémunérer correctement (imaginant sûrement que leur piétaille remplaçable aura trop peur de quitter une telle situation “de rêve” pour se plaindre), et la situation ne fait qu’empirer. On a tendance à dire que le jeu vidéo est l’industrie de divertissement la plus rentable, devant le cinéma et la musique. Une industrie qui ne cesse d’enfler, que ça soit par la voie du triple A, du jeu-service, mais également des indépendants ou des pays qui commencent à émerger sur le marché, sans même parler des sujets transverses qui méritent également d’être traités (conditions de travail dans les studios, par exemple). De fait, il est aujourd’hui impossible de parler du jeu vidéo de manière exhaustive, mais on fait de notre mieux pour contenter tout le monde.

Sauf que pendant que l’industrie du jeu vidéo a multiplié sorties et gros billets, la presse censée la couvrir n’a pas vraiment eu droit aux mêmes égards. “Au contraire”, serais-je tenté de vous dire après avoir vu évoluer la profession (et lu l’excellent Bâtonner, de Sophie Eustache) (ou cet article de France Culture) (ou encore l’enquête Hier journalistes, ils ont quitté la profession de Jean-Marie Charon).
L’actualité est devenue un robinet ininterrompu d’informations et de jeux à tester, que les rédactions essaient de suivre tant bien que mal, sans qu’aucune ou presque n’ait renforcé ses équipes éditoriales de manière significative. Si la situation était déjà critique depuis un petit bout de temps, elle est devenue absolument intenable lors de la pandémie et des confinements. En meilleure forme que jamais, le jeu vidéo a explosé de nombreux records pendant cette drôle de période, et on ne compte plus les news relatant les x10 ou x20 de certains développeurs ou éditeurs.
Pendant ce temps la presse, elle, continue de tourner à l’économie, de raboter, de pressuriser, de broyer. Cela a été particulièrement prégnant pendant la période de l’E3. Initialement, ce salon américain est l’occasion d’une semaine de boulot intense, où l’on ne compte pas nos heures, mais généralement dans la joie, la bonne humeur (et même une certaine ferveur), malgré la fatigue. Mais ces deux dernières années, ces quelques jours de boulot se sont transformés en trois, quatre semaines remplies d’annonces, d’effets de manche et de conférences annoncées au dernier moment à des horaires indus. Une situation proprement intenable pour une équipe d’une dizaine de personnes, aussi passionnées fussent-elles.

Une “petite évolution”
Une “petite évolution”

Et c’est sans compter une autre facette difficile du métier, amplifiée par l’arrivée et l’expansion — explosion ? — des réseaux sociaux : les lecteurs. Bien évidemment (tout du moins je l’espère), la grande majorité d’entre eux se garde de cracher son vitriol mais il y a cette minorité, bruyante, fielleuse, harceleuse, qui ne comprend absolument rien aux prérogatives du métier mais ne s’empêche pas pour autant d’insulter ou humilier des journalistes, parfois sur la simple base d’une note mal acceptée ou d’un orgueil chahuté. Les joueurs foutent la honte sur Internet, et ça n’a rien de nouveau. Mais un moment, à force de ne pas plier, on rompt. Et je crois que j’y arrive. Parce que je n’ai plus la force de subir cette ambiance délétère, de m’échiner à écrire pour des gens qui m’insultent, à plus forte raison quand le salaire et les conditions de travail ne suivent pas.

A l’arrière de ma photo de classe de CE1 (si si), mon copain Antoine avait écrit “J’espère que tu réaliseras ton rêve de devenir journaliste jeu vidéo”. Si je suis incroyablement heureux et fier de l’avoir réalisé quelques décennies plus tard (et pas n’importe où), je suis aujourd’hui dévasté et amer de devoir partir pour les mauvaises raisons. C’est un métier que j’aime, que je crois plutôt bien faire, mais ça n’est désormais plus tenable.

Pour reprendre les mots d’un artiste dont je respecte infiniment le travail (et auquel je n’ose pas une seconde me comparer), obligé lui aussi d’arrêter sa passion à force de ne plus pouvoir en vivre décemment : “Contraint et forcé, j’arrête, je jette l’éponge”. Et putain, c’est pas agréable.

Merci, toutes et tous, infiniment. Pour ces presque 17 années à vous intéresser à mon avis sur des jeux, à envoyer des messages qui requinquent ou des cadeaux non mérités, et à soutenir cette presse qui, plus que jamais, a besoin de vous pour continuer à vous informer (surtout) et vous divertir (parfois). Ca semble un peu idiot et cucul mais une publication n’est rien sans ceux qui la lisent alors s’ils vous plaît, pitié, même si j’en pars aujourd’hui avec tristesse et amertume, n’arrêtez pas de soutenir votre presse et de payer pour de l’information de qualité. C’est grâce à vous et pour vous qu’on tient.

Quant à moi (heh), je ne sais pas encore de quoi mes lendemains seront faits. J’arrête la presse, à laquelle j’ai trop donné sans retour, pour essayer d’autres choses — que je souhaite, avouons-le, plus lucratives. Peut-être écrirai-je encore ici ou là sur le jeu vidéo, mais il n’est en théorie plus question d’en faire mon activité principale. Dans l’idéal j’ai toujours envie d’écrire et de faire rire, peut-être (sûrement) pour d’autres (pour toi ?) : auteur, co-auteur, ghostwriter, préposé à la titraille pour un grand quotidien français (on peut rêver, non ?) ou même passer de l’autre côté (si tu as un studio et du budget, j’ai un ou deux pitches) et bien d’autres pistes me viennent en tête, mais je vais d’abord souffler un peu. Après un arrêt maladie qui n’avait rien de vacances, je vais prendre une paire de mois pour… ben pour moi.

Merci d’avoir lu ce loooong texte très perso et un peu ouin-ouin (à moins que ça ne soit l’inverse), merci pour le soutien depuis toutes ces années, merci d’avance pour celui que j’aurai peut-être dans les années à venir. Mille bisous, prenez soin de vous ❤

(J’oublie volontairement la liste — longue comme le bras — des merveilleuses personnes qui m’ont aidé ou couvé pendant ces seize années. Vous vous reconnaîtrez, merci pour tout.)

Et comme toujours, beaucoup trop de parenthèses et de cadratins, on ne se refait pas.

Non, c’est toi qui raccroche.

Allez, à “trois”

un

deux

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