Quelle participation de la société civile dans les projets d’aménagements urbains à Taiwan ? (fr)

Quent LE
18 min readJul 17, 2017

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Article publié en deux temps dans la revue en ligne Asialyst.

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Résumé :

Bien que les problématiques auxquelles la société contemporaine taiwanaise doit faire face soient sensiblement les mêmes que celles rencontrées en Europe, la fabrication de la ville y est très particulière en cela qu’elle relève d’influences à la fois chinoises et japonaises mais aussi et surtout anglo-saxonnes. Cet article étudie l’urbanisme à Taiwan à travers la question de la participation de la société civile aux projets d’aménagements. Deux aspects sont abordés ; tout d’abord les raisons structurelles de cette participation avec l’analyse des influences anglo-saxonnes, l’organisation du département du développement urbain, le rôle des commissions et les modalités d’aménagement partagé de l’espace public. Puis est abordée la participation des habitants à travers la politique nationale de Community Planning ainsi qu’à travers l’expérience de I-voting à Taipei.

Mots-clés : Taiwan, urbanisme, participation citoyenne, commissions, renouvellement urbain, espace public, community empowerment, consultation publique

Abstract :

Urban planning and urban design stakes in contemporary taiwanese society may have some common points with european ones, but urban development in Taiwan is also very specific because of its chinese and japanese influences and even more north-american ones.

This article analysis urban planning in Taiwan through public participation in urban development making. Firstly are studied strutural reasons for this participation by analysing north-american influences, the organization of the Department of Urban Developement, the place of commissions and public spaces shared making. Then is examinated citizens participation in national Community Planning policy and the I-voting experiment in Taipei.

Key-words : Taiwan, urban planning, public participation, commissions, urban renewal, public space, community empowerment, I-voting

Vue du pont Taipei Bridge. Source : photographie de l’auteur.

Introduction :

L’urbanisme à Taiwan est particulièrement intéressant à étudier en cela qu’il résulte d’une grande diversité d’influences postérieures à la présence aborigène millénaire. Si le statut international de la République de Chine reste indéfini, cette île aux 23 millions d’habitants se caractérise par une histoire et une position géographique qui ont contribué à la création d’une culture locale métissée.

A la fin de l’ère Ming, le demi-siècle de colonisation japonaise (1895–1945) a contribué à l’industrialisation, au développement urbain et infrastructurel de l’île. Après la reddition japonaise et la défaite contre les communistes, les forces nationalistes de Chiang Kai-Shek se replient de la Chine continentale en 1949, et commencent non sans heurts l’administration de l’île. Étant donné l’afflux de 6 millions de personnes représentant alors 20% de la population, la physionomie socio-spatiale des villes en est bouleversée. La période contemporaine s’ouvre avec la fin du régime militaire de Chiang Kai-Shek en 1975 puis l’abolition de la loi martiale en 1987. Cette nouvelle ère se caractérise par un fort développement économique, un mouvement de décentralisation et une démocratisation progressive.

Ainsi il semble que l’apport de la société civile aux projets d’aménagements urbains à Taiwan et en particulier à Taipei relève à la fois de raisons structurelles, c’est à dire des modalités d’organisation de l’administration du droit du sol, mais également d’un certain volontarisme politique. Nous analyserons dans un premier temps comment les influences anglo-saxonnes jouent en faveur d’une forte relation entre secteurs public et privé puis nous évoquerons le rôle joué par les habitants dans les projets d’aménagements contemporains au niveau national et local.

I — Les causes structurelles d’une fabrication partagée de la ville

Au regard de l’histoire de l’urbanisme français, la fabrication de la ville à Taiwan peut être considérée comme intrinsèquement participative au sens d’une plus forte imbrication de l’intérêt général et des intérêts particuliers. En effet, l’urbanisme y est largement influencé par la pensée anglo-saxonne qui tend à promouvoir une certaine souplesse et à privilégier le dialogue entre les parties prenantes. L’urbanisme à Taiwan peut être comparé au modèle d’urbanisme dit “négocié” dans la terminologie francophone contemporaine. Ainsi les partenariats publics-privés (Built Operate Transfert, BOT) ont par exemple été largement utilisés à Taiwan dans les années 1990 pour réaliser de grandes infrastructures comme de réseau de train à grande vitesse (High Speed Rail, HSR). (note 1)

Influences anglo-saxonnes, organisation administrative et renouvellement urbain

Les bases de la planification à Taiwan ont été posées dès les années 1930 par l’administration japonaise avec la mise en place d’un zoning, des premiers tracés régulateurs et le dessin de grands parcs urbains. La planification de type bureaucratique centralisée mise en place par les japonais était elle-même en partie influencée par la pensée européenne et nord-américaine de la fin du XIXe siècle. L’installation au pouvoir du Kuomintang en 1949 est favorisée par le soutien économique et militaire des États-Unis qui représentait alors en moyenne 6,5% du PNB de l’île et ce jusqu’en 1965.

Malgré les changements d’organisation administrative basés sur les principes constitutionnels imaginés par Sun Yat-Sen, le parti nationaliste chinois poursuit les plans de développements mis en place par l’administration japonaise et contribue en même temps à structurer et à professionnaliser le système de planification urbaine. Les urbanistes de la ville de Taipei ont alors largement employé les grilles d’analyse spatiale fonctionnalistes notamment lors de l’élaboration du schéma directeur de 1968 inspiré de méthodes promues par les Nations-Unies (1966–1968 UN Preliminary Master Plan). L’espace urbain est structuré par sa trame viaire orthonormée (axes Nord/Sud et Est/ouest) et la division parcellaire associée. (note 2)

Carte de la ville de Taipei. Source : Johomaps. 2016.

L’influence anglo-saxonne se traduit dans la terminologie et les modèles d’urbanisme utilisés à Taiwan. La planification à Taipei est ainsi aujourd’hui qualifiée de zoning, ou rational planning. Dans la foulée des grands changements sociétaux suivant la fin du régime militaire, la date charnière dans l’administration contemporaine du droit du sol est l’année 1993. C’est à cette date qu’est votée à Taipei la Zoning Regulation (Regulation for Enforcement of Urban Planning law). Cette loi a été notamment influencée par des consultants nord-américains qui proposèrent d’appliquer des méthodes employées alors à la mairie de New-York et permettant entre autres de générer de plus larges espaces publics. Une conséquence réglementaire directe est que le coefficient d’emprise au sol est limité à 50% pour un usage d’habitations de quatre niveaux ou plus tandis que la hauteur des bâtiments n’est plus soumise à restriction.

Extrait du Master Plan de la ville de Taipei. Source : Department Of Urban Development, Urban Planning Division. 2015.

La pensée moderne nord-américaine a aussi influé sur l’organisation du département du département urbain de la ville de Taipei. (note 3)

Les principaux départements concernant l’aménagement sont nommés en mandarin ainsi qu’en anglais dans les termes suivants : Department of Urban Development, Department of Construction, Public Works Department, Land Use Department. Les 5 principaux services du département du développement urbain sont ; Comprehensive Planning, Urban Planning, Urban Design, Construction Management, Urban Regeneration Office aini que le Taipei Urban Redevelopment Center.

Malgré une forte hiérarchisation de l’organisation administrative et la relative quantité de procédures induites par la division entre urban planning et urban design, il existe une forme de souplesse dans la manière d’aménager la ville à Taiwan et en particulier à Taipei.

Schéma d’organisation du département du développement urbain. Source : Site internet de la ville de Taipei.

Concernant les opérations de renouvellement urbain menée par l’Urban Regeneration Office (URO), elles sont historiquement ponctuelles et laissées à l’initiative privée, c’est à dire lancées au gré des opportunités foncières, de la motivation des promoteurs immobiliers (developers) et de l’agrément des habitants. Sous l’impulsion du nouveau maire, l’approche évolue néanmoins et certains quartiers sont désignés comme prioritaires, comme l’ensemble de logements sociaux de première génération construits par le Kuomintang au sud du quartier historique de Wanhua.

L’URO mène une politique d’attractivité des secteurs patrimoniaux, notamment par la méthode des Urban Regeneration Station (URS) et promeut ainsi une forme de Soft Urbanism. Cette méthode de renouvellement urbain participative dite d’acupuncture urbaine prône une approche plus organique et évolutive de la ville. (note 4) L’objectif des URS est de ainsi montrer aux acteurs du secteur privé ce qu’il est possible de faire dans des bâtiments historiques souvent laissés à l’abandon, de les réintégrer dans la ville d’aujourd’hui et d’en tirer profit. Ainsi ces sites servent de démonstrateurs a la collectivité. L’URO acquiert et rénove des bâtiments à valeur patrimoniale ou bien les loue à d’autres départements comme c’est le cas pour l’URS de Wanhua qui est utilisée par le département des affaires culturelles.

L’URO travaille également sur les perceptions des habitants et des acteurs économiques des quartiers de Datong et Wanhua. Ainsi, un travail de recherche a été réalisé par l’URO avec l’aide d’un partenaire extérieur, l’agence d’urbanisme The Urbanists Collaborative. Le projet qui s’intitule Share Vision a mis en œuvre une démarche d’urbanisme collaboratif incluant l’organisation de workshops avec Nick Wates, consultant britannique en Community Planning. Une exposition permanente est établie dans une URS ouverte au public avec des plans et maquettes au 1/600e qui participe du lien entre action publique et acteurs privés.

Titre : Carte du quartier historique de Datong. Source : Department of Urban Development, Urban Regeneration Office. 2015

En rouge sur la carte figurent les bâtiments relevant du patrimoine et en orange les alignements de bâtiments à valeur historique. Ainsi se (re)dessine une “géographie intime” constituée par le réseau de ruelles datant de la dynastie Qing qui semblait effacée par la trame orthonormée impulsée par l’administration coloniale japonaise.

Les commissions, un outil central dédié au dialogue entre l’administration et les porteurs de projets

Les commissions rythment la vie du département du développement urbain et imposent leur calendrier aux requérants, aussi bien publics que privés. Il s’agit dans les deux cas d’un espace-temps dédié au dialogue, à la négociation publique, entre la collectivité et les maîtres d’ouvrages.

Il existe deux commissions principales au sein du département du développement urbain qui décident de la future physionomie de la ville. La plus importante est la commission d’Urban Planning qui concerne l’aménagement stratégique et l’attribution des droits à construire, présidée par le vice-maire (deputy-mayor). Ensuite vient la commission d’Urban Design qui concerne l’aménagement opérationnel et la relation entre espace bâti et espace public, celle-ci présidée par le directeur du département (commissioner).

Dans les deux cas ce sont des commissions mixtes c’est à dire composées à la fois d’employés de la mairie issus de différents départements mais aussi d’experts qualifiés qui sont souvent des professeurs d’universités experts dans les domaines de l’architecture, de l’urbanisme ou de l’écologie.

Le projet est présenté dans un premier temps à la commission par le porteur de projet, puis le directeur de la commission donne la parole aux différents membres qui émettent des remarques auxquelles le porteur de projet peut répondre. Celles-ci peuvent être très stratégiques et influencer largement le projet. Si il n’existe pas de représentation citoyenne directement dans le comité, en revanche les habitants peuvent assister au débat public et prendre la parole. Ceux-ci n’ont pas plus de prise sur la décision finale que les membres du comité, car elle revient in fine au président de la commission.

La commission d’Urban Design évalue des projets aussi bien privés que publics comme les règles de design urbain émises par le service lui-même (Urban Design Guidelines). Il s’agit d’un temps d’échange et de négociation durant lequel sont décidées les modifications que doit apporter le pétitionnaire au projet qu’il propose. L’objectif pour le requérant étant de faire valider l’examen du projet (Urban Design Review) et ainsi d’obtenir ultérieurement le permis de construire. Les remarques sont variables mais portent le plus souvent sur le dimensionnement de l’espace public. La commission statue aussi sur les demandes de bonus de constructibilité au motif d’opération de renouvellement urbain (Urban Renewal) et sur les demandes de transfert des droits à construire (Transfer of Development Rights, TDR) qui est par ailleurs conditionné à une plus-value en matière d’aménagement de l’espace public.

Les modifications demandées par les membres de la commission peuvent être très conséquentes et potentiellement apporter une forte plus-value au projet en fonction des attentes des membres de la commission en matière d’espaces publics, de paysage, d’architecture ou de prise en compte du contexte urbain.

La commission d’Urban Planning est présidée par le vice-maire, actuellement Charles Lin. Celui-ci était responsable du service d’Urban Design au moment de la création du special district de Xinyi dans les années 1990. Plus de vingt personnes prennent part à la commission.

Gérée par un service dédié, elle a été officiellement créée dans les années 1950 mais existait déjà sous le régime japonais dès les années 1930, avec des professeurs invités à donner leur opinion sur les projets de développement de la ville.

Elle statue principalement sur les grands projets d’aménagement en cours ou planifiés et aussi sur les Urban Design Guidelines. Elle peut imposer certaines contraintes aux nouveaux bâtiments comme le raccordement au réseau de skywalk c’est à dire le système de passerelles piétonnes au niveau R+1 qui relie les bâtiments importants du quartier de Xinyi ou du réseau d’underpasses (passages souterrains). La commission a également le pouvoir de changer l’affectation du droit d’usage des parcelles.

Elle offre une vision détachée et holistique du fait de la compétence, de l’expérience et de la multidisciplinarité de ses membres. Elle est soucieuse de l’intérêt collectif, parfois en contraste avec les services de la collectivité qui peuvent avoir tendance à défendre les intérêts à plus court terme de leur département d’affectation. En revanche, elle ne participe pas directement à l’élaboration opérationnelle des projets et n’émet que des avis à posteriori.

Un aménagement partagé de l’espace public

L’espace public à Taipei est majoritairement détenu par le privé. Il est géré par la municipalité mais son financement est assuré par les aménageurs. Ainsi, l’aménagement d’espaces publics sur une parcelle privée (Privately Owned Public Space, POPS) génère des droits à construire supplémentaires (Bonus Floor Area Ratio, FAR). Ceux-ci sont calculés avec un ratio de 1 pour 1 si l’espace est découvert (avec un quota de bancs publics à installer) et ratio de 1 pour 0.7 si l’espace est couvert car il est alors considéré comme plus restreint à l’usage.

C’est le service d’Urban Design est chargé de l’Urban Design Regulation, c’est dire l’écriture des Urban Design Guidelines et de l‘Urban Design Review, ou contrôle des projets soumis par le biais de la commission. Les projets soumis au contrôle de la commission concernent les construction sur un site de plus de 6 000 m² et surface utile construite de plus de 30 000m² ou les ouvrages dits “spéciaux” (centre commercial, passerelle, rue, monuments historiques…).

Le quartier de Xinyi dispose de l’urban design guideline le plus abouti et le plus précis de la ville de Taipei. Il représente le savoir-faire de la collectivité en matière de design urbain, avec une forte préoccupation affichée concernant l’espaces public et récemment les modes de transports doux. Ce quartier est en effet le centre d’affaire de la ville, caractérisé par des immeubles de grande hauteur, dont la tour Taipei 101, et par de vastes espaces publics plantés réservés aux piétons. Les fonctions du quartier sont diversifiées, cependant les fonctions majoritaires sont les immeubles de bureau, les bâtiments administratifs, dont la mairie ainsi que les centres commerciaux (department stores).

L’Urban Design Guideline y préconise l’espacement entre les arbres (entre 6 et 8m), précise le retrait en RDC des bâtiments qui doit permettre le libre passage des piétons (de 2 à 4m de largeur). En ce qui concerne le mobilier urbain, les propriétaires ont la liberté d’aménager ou non l’espace privé à usage public. Les propriétaires peuvent installer des bancs de tous modèles ainsi que des œuvres d’art ou encore des micro-parcs ouverts au public.

Le principe des parcs publics temporaires illustre lui aussi une certaine souplesse dans l’aménagement urbain en conciliant intérêts publics et privés. Il s’agit ainsi pour un propriétaire privé de réaliser un parc public sur une parcelle inoccupée pour une durée au moins égale à 18 mois. L’idée à l’origine de ce principe est de valoriser les parcelles privées pour offrir plus d’espaces verts aux habitants.

Une fois que le propriétaire aura la volonté de bâtir le terrain, il gagnera des droits à construire supplémentaires (bonus construction) de 3 à 5%. Une trentaine de parcs de proximité à Taipei font actuellement l’objet de ce régime juridique spécifique. La plupart ayant une durée de vie de 3 ou 4 ans. Le service d’Urban Design est chargé de vérifier la bonne gestion du parc, sans quoi le bonus peut être réduit de 1%.

Cependant, les autorisations pour ce type d’occupation publique temporaire ne sont plus accordées suite à des protestations de citoyens jugeant que le système était trop avantageux pour les propriétaires fonciers.

II — Un volontarisme politique en faveur d’une plus forte association des habitants

Outre les considérations structurelles, l’urbanisation de la ville de Taipei se caractérise ces dernières décennies par un fort volontarisme politique. Celui-ci s’observe d’ailleurs au niveau national comme en témoigne la création dès 1980 d’un des premiers parcs scientifiques mondiaux à Hsinchu, suivant l’exemple de la Silicon Valley.

La capitale a subit une forte expansion vers l’Est avec la création ex-nihilo du quartier de Xinyi dans les années 1990, devenu depuis son centre administratif, commercial et financier. Ce décentrement se poursuit encore aujourd’hui avec la création d’une nouvelle polarité commerciale et industrielle autour de la gare de Nangang (projet Nangang Eastern Gateway), avec en ligne de mire la constitution d’une métropole qui intégrerait Taipei, New Taipei ainsi que la ville portuaire de Keelung (Greater Taipei Region). Dans la lignée de ses prédécesseurs, le nouveau maire Ko Wen-Je, élu en décembre 2014 poursuit une politique de grands projets tout en affichant de nouveaux objectifs démocratiques et sociaux.

La politique nationale de Community Empowerment

Impulsée à partir de 1995 par le gouvernement central de Taiwan, et ce à l’initiative du ministère de la culture, la politique dite de Community Empowerment a pour objectif de développer l’esprit civique des citoyens. En parallèle, la mairie de Taipei lance en 1999 le système des Community Planners dans l’optique d’une plus large participation des professionnels et des habitants à la fabrication de la ville et de son espace public. (note 5)

Cette approche qui tend à promouvoir une forme de gouvernance partagée s’inscrit dans la lignée de ce qui se fait en Angleterre sous le terme Community Architecture, aux États-Unis dès les années 1960 avec les Community Planning Groups et le mouvement Advocay Planning emmené par Paul Davidoff, ou encore au Japon sous le même vocable de Community Empowerment.

La politique de “capacitation citoyenne locale” (community empowerment) est une approche bottom-up ayant pour objectif affiché l’amélioration de la qualité de vie des habitants. Chaque commune est dotée d’un budget alloué par le gouvernement central. Les projets sont sélectionnés et choisis par la collectivité locale puis soumis au ministère pour approbation.

L’objectif est d’accompagner chaque année les citoyens, qu’ils soient individuels, organisés en groupes informels ou en associations. Ceci sur une durée de 6 mois permettant la réalisation d’un projet de micro-aménagement de l’espace public.

Les projets peuvent être proposés par les habitants et réalisés par une maîtrise d’œuvre externe, mais ceux-ci peuvent également avoir à réaliser eux-mêmes les aménagements. La collectivité est accompagnée par une agence d’architecture ou d’urbanisme, qui peut soit directement réaliser les projets, soit jouer un rôle de coordination et de facilitation des initiatives citoyennes (supporting groups). La ville de Keelung décide par exemple en 2015 d’associer directement les habitants à l’aménagement de parcs de proximité (pocket parks).

En autres conséquences, cette politique est considérée comme agissant de manière indirecte à la résilience territoriale par la mitigation des risques naturels. Par exemple, il est admis qu’en 1999 lors du passage du typhon Chi-Chi, le tissu social impulsé par cette politique a contribué à atténuer l’effet de l’aléa naturel. (note 6)

Par ailleurs, le Community Empowerment “à la taiwanaise” semble constituer un modèle en Asie. Ainsi des associations et des fonctionnaires venus notamment de Chine continentale se forment à cette méthode qui répond aux attentes contemporaines de participation des habitants.

L’expérience de I-voting à Taipei

Le maire actuel Ko Wen-Je poursuit la plupart des projets lancés par son prédécesseur mais leur impulse systématiquement une nouvelle orientation. Ainsi, dans une volonté affichée de progressisme démocratique, de grandes réunions publiques portant sur les principaux projets d’aménagement urbain en cours ont été organisées en 2015 (Wanhua, Datong, Shezidao, Nangang Eastern Gateway).

Dans le cadre de l’élaboration de ces grands projets, la collectivité est souvent obligée de négocier avec des propriétaires privés ou semi-étatiques puisqu’elle ne possède que peu de foncier. Ceci date en partie de l’arrivée au pouvoir du Kuomintang en 1949 qui a alors donné un grand nombre de terrains à des familles de militaires arrivées de chine continentale pour bâtir des villages qui devaient à ce moment être provisoires.

Ainsi, pour financer aujourd’hui la création de 50 000 nouveaux logements sur 8 ans, ce qui représente 5% de l’ensemble du parc de logement de la ville de Taipei, une politique vigoureuse est engagée au profit d’une libération du foncier détenu par l’état ou les services publics (armée). L’objectif pour la mairie étant de confier ces terrain à des aménageurs (developers) qui lui verseront une taxe d’occupation du sol pendant 40 ans.

Aussi, dans la perspective d’une plus forte implication des citoyens dans les décisions publiques, le projet d’aménagement de la presqu’île de Shezidao a fait l’objet d’une expérimentation de démocratie participative. Il s’agit de la procédure dite de I-voting, c’est à dire de vote en ligne. (note 7)

Littéralement “île de Shezi”, la presqu’île est située dans le district de Shilin, à la limite nord de la ville. Elle est concernée par un vaste et complexe projet de développement sur un site de 293 ha. Comme aucun plan de développement n’a été officiellement validé depuis plus de 40 ans, la moitié des 11 000 habitants occupe un terrain de manière illégale. En outre, le raccordement aux réseaux d’électricité et d’eau potable n’est pas assuré par la collectivité.

Ainsi, trois projets d’aménagement distinct ont été élaborées au cours de l’année 2015, dont deux au sein de l’Urban Development Department à l’initiative du vice-maire et une troisième par le Land Use Department. Ces trois variantes ont été soumises à consultation publique par le biais de l’i-voting. Le vote pouvant se faire sur internet mais aussi physiquement dans les bureaux de vote. Les participants au vote devaient être âgés de 18 ans ou plus, tandis que 80% des votants devaient être résidents de la presqu’île et 20% du reste de la ville.

Le vote n’est pas décisionnel mais simplement consultatif (for reference). Il s’agit d’une première à Taipei pour un projet de cette envergure. Une autre consultation a eu lieu précédemment à propos de la piétonisation d’une rue dans le quartier de Gonguang mais le projet avait été rejeté par les habitants. La procédure d’i-voting devait initialement se tenir en décembre 2015 mais la consultation a finalement eu lieu en février 2016. Elle a réuni 7260 votants. Le taux d’abstention a été de 65% parmi les habitants de la presqu’île. Le projet ayant reçu le plus de votes est le projet n°2 intitulé “Shezidao écologique” avec 60,4%.

Titre : Détail du projet n°2 : “Shezidao écologique”. Source : Urban Development Department, 2016.

Si la participation des habitants à la prise de décision est réelle, ce mécanisme de consultation directe ne leur a pas permis pour autant d’être associés à l’élaboration des propositions qui relève de la collectivité. Hormis la possibilité pour les citoyens de se manifester à l’occasion des commissions d’Urban Planning et des réunions publiques dans les “maisons du projet” (Community Planning Station), la dimension participative de cette expérimentation démocratique reste dès lors assez limitée.

Conclusion :

La manière de faire la ville à Taiwan fait une large place au secteur privé, que ce soit par nécessité (moindre maîtrise foncière) ou par volontarisme politique. Ceci s’explique notamment par la forte influence anglo-saxonne à la fois dans la philosophie d’administration du droit du sol que dans les initiatives législatives.

Au niveau structurel la place des commissions est centrale dans le fonctionnement du département du développement urbain et constitue un véritable outil de dialogue entre acteurs publics et société civile. L’apport des avis de chercheurs et de professeurs d’université permet dans une certaine mesure de contre-balancer l’accélération du temps de production de la ville imposé par le politique. Cette mise en dialogue entre secteur public et privé se retrouve également dans les actions de renouvellement urbaine avec la mise en œuvre des Urban Regeneration Station qui jouent en faveur d’une prise de conscience de la valeur patrimoniale et d’usage du bâti ancien.

Du point de vue de la participation des habitants, le volontarisme politique se traduit notamment par la politique de Community Empowerment mise en place dès 1993 mais aussi par des initiatives récentes comme la procédure de I-Voting mise en œuvre dans le cadre du projet d’aménagement de la presqu’île de Shezidao. Si ces initiatives restent marginales à l’échelle de la planification urbaine, elles participent néanmoins de la consolidation d’une culture du dialogue et de la co-construction.

La récente nomination d’Audrey Tang, une ancienne hackeuse fervente avocate de la participation citoyenne, au poste de ministre du numérique ainsi que l’utilisation des Civic Tech à des fins d’attribution des logements sociaux à Taipei témoignent d’une certaine vitalité démocratique à Taiwan. Celle-ci devrait être non sans conséquences sur la manière de fabriquer la ville de demain.

Cependant, si le volontarisme politique semble indéniable, les ambitieux objectifs affichés notamment en matière de création de logement social questionnent la faisabilité à moyen terme et in fine la durabilité des projets engagés.

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Notes bibliographiques :

1- BERMAN, Evan. Public Administration in East Asia. 2010. p.523 https://www.academia.edu/11333473/Public_Administration_in_East_Asia-Evan_M._Berman

2- CHIU, Kuo-Wei. Urban transconfiguration in a colonial-modern city: towards inclusive historical metamorphosis. 2010. p.4 https://www.academia.edu/258515/Urban_Transconfiguration_In_A_Colonial-Modern_City_towards_inclusive_historical_metamorphosis

3- HSU, Yen-Hsing. From capitalising on public space to subjectising urban life. 2013. p.26 https://www.academia.edu/2538313/Privately_Owned_Public_Space_The_International_Perspective

4- CHANG, Shu. Taipei Unveiled. 2013. p. 99 http://www.eslite.com/product.aspx?pgid=1002121582340597

5- SUNG, Pao-Chi. A Study for the Role and Responsibility of the Government in the Community Empowerment. 2007. p.5 http://courses.washington.edu/quanzhou/pacrim/papers/Sung-Role_and_Responsibility_of_Government.pdf

6- BRISTOW, Roger. Planning in Taiwan: Spatial Planning in the Twenty-First Century. 2010. p.273 https://books.google.fr/books?id=KbfHBQAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

7- LEFEVRE, Quentin. Usage du numérique et participation citoyenne à Taiwan, l’expérience de i-Voting dans un projet d’aménagement. 2017. http://www.revuesurmesure.fr/issues/villes-usages-et-numerique/usage-du-numerique-et-participation-citoyenne-a-taiwan

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Article écrit au mois de juin 2016 par l’auteur (Quentin Lefèvre), à l’issue d’une immersion de 4 mois à Taiwan dont une grande partie passée au sein de la mairie de Taipei.

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A propos d’acupuncture urbaine, voir aussi :

MALGUY , Adrien. Urban acupuncture and maker resilience in Taipei. 2017. http://www.makery.info/en/2017/04/25/acupuncture-urbaine-et-resilience-maker-a-taipei/

CASAGRANDE, Marco. Paracity : Urban Acupuncture. 2014. https://www.academia.edu/9634243/Paracity_Urban_Acupuncture

HOPFNER, Jonathan. Reinventing Taipei. 2017. http://www.destinasian.com/publications/reinventing-taipei

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