A quoi ça sert les miroirs ?
Qui dit hospitalisation dit invariablement temps de réflexion. Et comme je sors de l’hôpital, j’ai deux trois trucs à dire.
Ca pourrais commencer par “Quand j’étais petit” mais ça ferai un peu cliché alors je vais juste dire : Dans les tréfonds de mon dossier médical, il y a la description de mon tout premier délire. Ce délire m’a suivi pendant des années jusqu’à ce que mes délires se diversifient et qu’il ne disparaisse. Quand je dis qu’il a disparu, ce n’est pas seulement que je ne le ressens plus, c’est qu’il m’est devenu étranger et que quand on m’en parle, j’ai de sérieux doutes sur le fait que ce soit moi qui l’ai vécu. Comme j’avais le temps, j’ai réfléchi au pourquoi un délire apparaît/disparaît.
Mais d’abord, il faut que je vous parle de mon délire et donc de moi. J’avais fait un fil sur moi sur Twitter. Et j’ai supprimé mon compte alors ce fil n’existe plus. Du coups, il va falloir que je le récrée. Je suis de la campagne profonde, pas dans la diagonale du vide, mais ça y ressemble furieusement. Mes parents habitent dans un hameau où il n’y a que neuf maisons pas toutes habités. Ce hameau fait parti d’une commune constitué d’une dizaines de petits hameaux similaires et d’un bourg un peu plus grand pour un total inférieur à 100 habitants. Mes parents pourraient être agriculteurs pauvre mais même pour ça, ils sont trop pauvres. Ils n’ont pas de terre et pas de cercle de connaissance pour les aider à monter un projet à la SAFER. Alors ils sont ouvriers dans l’agroalimentaire pour mon père et dans le ménage pour ma mère. La maison de mes parents est une caricature. C’est un ancien corps de ferme qu’ils ont achetés pour la réhabiliter mais sans en avoir ni le temps, ni les moyens, ni vraiment les connaissances nécessaires. Ce n’est pas parce qu’on est ouvrier agricole qu’on devient soudainement bâtisseur. Bref, d’aussi loin que je me souvienne, la salle de bain se résume à un bac à douche posé sur des parpaings avec un rideau pour toute intimité vu qu’il n’y a pas de porte à la pièce qui sert à la fois de salle de bain, de buanderie, de débarras et de placard. La grosse évolution de notre adolescence a été de poser un second rideau à la place de la porte, qui attends gentiment dans la grange avec toutes les autres portes que les chambranles soient, un jour peut-être, posés. Les relations avec mes parents sont compliqués. Ils pensent avoir fait tout ce qui étaient en leur pouvoir pour moi. J’ai une vision différente. Je suis certes un transfuge de classe puisque j’ai fait, comme mon frère, des études universitaires mais mes parents se concentrent sur l’aspect médical du problème. Oui ils ont courus les hôpitaux et les centres de soins pour ma maladie génétique mais ils m’ont aussi beaucoup forcés à faire comme les autres sans tenir compte de mes capacités réelles.
J’ai promis de ne pas commencer par “Quand j’étais petit” alors je vais varier. Revenons en à mon tout premier délire. J’ai retrouvé la toute première fois où il apparaît dans un compte rendu médical : “Il indique qu’il serait un ancien enfant soldat d’un pays d’Amérique latine, dont il ignore le nom, devenu agent secret dormant et à ce titre poursuivi par les renseignements généraux.” Vu comme ça, c’est un peu confus… Je pensais qu’il existait une organisation supra-national d’enfants soldats qui réglais discrètement les conflits en dégommant les méchants, un peu comme James Bond. Et comme tous réseaux supra-national, ils avaient une base secrète quelques parts dans le jungle, un pays merveilleux où une fois devenu vieux, les enfants soldats revenaient pour procréer et entretenir le réseau. Mais avant d’avoir le droit de revenir dans la base secrète, il y a l’adolescence, cette époque merveilleuse où tout se chamboule, où l’on est plus enfant mais pas tout à fait apte à procréer. Alors les adolescents vivaient encore dans les pays tiers pour recueillir des informations et créer des planques pour les quand les plus petits débarquaient pour leurs missions secrètes. Et pour que tous soient beau et bien organisé, il faut des méchants dans l’histoire mais aussi des empêcheurs de tourner en rond pour créer des rebondissements. D’où la surveillance des renseignements généraux pour qui cette organisation supra-national, a un rôle un peu trop envahissant et concurrent. La bonne grosse ficelle de la guerre des polices quoi…
J’ai beaucoup interprété et recherché la fonction de ce délire. Et je me suis rendu compte que mon quotidien d’enfant était structuré comme celui d’un moine soldat débutant. Il fallait “combattre la maladie” à coup de kinésithérapie, de chirurgies, de consultation médical, d’orthophonie, d’hôpital de jour et autres thérapies et structure médico-sociale. En plus de cela, il me fallait avoir la vie “idéale” d’un enfant : école, aide au travail familial voir aux travaux des champs des voisins, sports de compétition… Mais c’était pas seulement le faire qui était important, c’était surtout de réussir. J’étais moyen en cours mais je suivais mon bonhomme de chemin de classe en classe avec des “peut mieux faire” qui me valait des conflits avec mes parents. Du moine soldat à l’enfant soldat, il n’y a qu’un pas allègrement franchi par je ne sais pas combien de soignants. D’autant plus que ça donne une “légitimité”, une “fonction” à ce délire. Il est libérateur, il me permet d’extérioriser cette relation particulière dans le trio parent - enfant - maladie.
Mais vous me direz, quel rapport avec les miroirs du titre ? Je dirais bien “Bah c’est simple, il y en a pas et vive la folie” mais ce ne serai pas honnête. Donc revenons avant le délire, avant ma famille, avant l’introduction, au sujet quoi : à quoi ça sert les miroirs ? Les miroirs, techniquement ça sert à rien. Les objets n’ont de fonctions que parce qu’ils sont utilisés. Et les miroirs sont utilisés pour se regarder. Pourquoi se regarder, ça peut être comme souvent pour moi pour se rassurer sur son apparence mais aussi pour en changer. S’habiller, se maquiller, se grimer, se changer, s’accessoiriser (bon OK, ce mot n’existe pas mais je le garde parce qu’il manque à notre dictionnaire), se déguiser, … C’est du quotidien, tellement quotidien que même la MDPH s’en est aperçu et accorde du temps d’aide humaine ou des aides techniques pour le faire.
Et voici venir le seconde porte ouverte. Mesdames, messieurs et tout ce qu’il y a au milieu (j’adore cette façon de dire les choses même si elle entérine que ce qui n’est pas binaire est forcément axial) voici l’idée que la fonction du délire est d’être uniquement un reflet et que ce reflet disparaît quand on en a plus besoin. Et c’est là que je ripe complètement et que tel une particule dans un univers quantique, je change d’idée en traversant la porte. Depuis le début, je présuppose que le délire est non seulement un symptôme mais qu’il a une fonction. Et si, et si, et si… Et si la psychiatrie n’existe que pour le contrôle social de ceux qui sont nommés fols ? Rien de nouveau sous le soleil théorique. Mais pourtant ? Pourquoi chercher une fonction a ce qui n’est pas ? Si le délire n’est pas un symptôme alors il n’y a pas de raison de chercher sa fonction. Et sans fonction pas de signification. Alors voilà, à quoi ça sert les délires ? Ce serait facile de répondre à rien. Parce que les délires sont des histoires, des histoires qui se racontent, des histoires qui ont des points communs avec la culture de celui qui les produit (coucou mon addiction au James Bond et à tous les romans d’espionnage). Et les histoires ont bien une fonction dans le monde qui nous entourent dont celle toute simple de communiquer. Donc retour au départ, les délires ont une fonction. Thèse — antithèse — synthèse, revoilà une idée triptyque.
Alors comment ça apparaît/disparaît un délire ? En ce moment sur Le Monde, il y a une série d’article sur comment les auteurs construisent leurs romans. Et le premier était sur le fameux “Pour bien écrire, il faut connaître la fin de son histoire” (ou formulation équivalente) (Spécial dédicace à Dandelion ;) j’ai utiliser cette citation avant toi). La fin de son délire est-elle connue avant de le commencer ? Est-ce que c’est ça finalement la fonction du délire ? Se perdre dans ses replis sémantique pour en trouver la fin, pour “l’épuiser” (selon la formulation professionnelle) ? J’avoue n’en rien savoir. Mais ça m’a bien occupé l’esprit pendant mon hospitalisation (privé de miroirs).