La tentation de la mort
J’ai été récemment dans ce qui passait pour une impasse thérapeutique. Je passait la plupart de mon temps allongé sans activité particulière, étant trop faible pour m’asseoir ou me concentrer et en étant hyperaccousique et photosensible. Impossible donc de regarder un film, d’écouter de la musique ou de lire. Du coups, je ruminais coincé dans mon lit. Pour le quotidien, j’ai la chance d’avoir des heures d’aide à domicile qui, même si elles n’était pas à la hauteur de ce que j’aurai eu besoin, m’ont permis de garder la tête hors de l’eau. Concrètement, je n’ai de l’aide que le matin et jusqu’à midi. Or je suis plus actif l’après midi. Mais quand le transfert était trop difficile, je restait dans mon lit même si j’avais l’énergie de tenir assis ce qui ne m’aidait pas à ne pas ruminer.
Matériellement, il y aurait eu des choses à faire mais les délais pour obtenir les financements me semblait tellement inadapté que ça ne faisait que renforcer mes ruminations. Je n’ai qu’un lit classique et ne peut donc être assis ou semi assis quand je n’ai pas la force de lever ma tête. J’ai changer toute la literie il y a moins de deux ans parce que j’en avais marre d’avoir mal au dos et que la précédente avait plus de quinze ans. Je déteste me rendre compte que mes investissements peuvent être foireux et l’idée de passer sur un lit médical l’impliquait. J’aurai pu le faire il y a deux ans mais à l’époque je m’étais dit que je “n’en étais pas là”, n’étant pas exempt de validisme et ne souhaitant pas “médicaliser” mon domicile. J’ai donc dépenser une somme qui pour moi est importante pour avoir une bonne literie. Et elle est toujours impeccable. De la même façon, j’aime beaucoup lire et l’ergothérapeute de la MDPH m’a suggéré d’acheter un tourne page pour compenser les moments de faiblesse de mes bras. Et pareil, je n’avait pas vu à l’époque la nécessité de ce gros machin encombrant alors que je n’était que peu gêné pour lire. Le seul autre investissement que j’ai fat est un fauteuil relax pour tricoter en regardant la télé. Mais là encore, il faut que j’ai l’énergie pour me transférer deux fois et surtout pour supporter la lumière et le son. Du coup, je m’en sert uniquement quand je suis en forme et encore… Quitte à me transférer, j’ai tendance à préférer la méridienne du canapé. Et puis, il y a la question de l’hygiène. Mon appartement a été refais par mon bailleur pour être aux normes. Sauf qu’il y a un tuyau d’évacuation mal placé dans la salle de bain et que le plombier jurant qu’il ne pouvait pas le déplacer, a poser un bac à douche extra plat sur pied pour passer au dessus de ce foutu tuyau. J’ai donc du mal à me transférer dans la douche en temps normal alors en étant épuisé, c’est d’autant plus complexe. Je n’ai que peu d’espoir que ce litige se termine vite vu que mon bailleur a décidé de faire appel à la justice. Je fais donc comme je peux et en ce moment, c’est plutôt toilette de chat que douche.
Humainement, il y aurait eu à faire aussi. Premièrement, il y a la question du temps d’aide à domicile pour pouvoir être assurer de pouvoir me lever l’après midi et manger le soir. Mais il y a tout le reste, ce qui n’est souvent considérer comme accessoire. Pouvoir sortir m’aurait sûrement aider. Mais ce n’est pas le tout de pouvoir sortir physiquement, il faut aussi pouvoir faire des choses à l’extérieur, voir des têtes diversifiées et pas seulement l’aide à domicile et l’aidant. Je dirais que le solitude a été un de mes problèmes majeurs. Comment imaginer des interactions sociales quand l’imaginaire vous renvoie à tous ce que vous n’avez pas fait de basique dans votre journée ? Comment ne pas avoir honte quand les critères d’hygiène actuels ne sont pas remplis ? Déjà qu’une personne en fauteuil est un OVNI dans l’espace public alors quand il faut en plus faire face à une honte qui n’est pas justifiée, c’est d’autant plus compliqué, même en étant persuadé que c’est bien la société qui impose tout ça et qu’il y a tellement d’autres solutions que de se doucher tous les jours.
Pourquoi je raconte tous ça ? Très simplement parce que le seul espoir que j’avais était la promulgation de la loi sur l’euthanasie tout en la combattant dès que je pouvais. Et c’est je pense, le point clé à comprendre pour voir à quelle point cette loi est validiste. Quand la compensation du handicap est organisée de telle façon qu’elle ne peut répondre de façon efficace au période d’aggravation, elle n’est pas effective, d’autant que dans ces moments là, les médecins n’aident pas. Je n’ai jamais autant entendu dire qu‘il fallait que je fasse des efforts pour me lever et sortir plus alors que je faisais déjà des efforts pour me laver et manger. Alors un peu plus vite me semblait naturel.
Depuis une solution médical a heureusement été trouver. C’était tout bête, juste un complément vitaminique à cause d’une malabsorption iatrogène… Mais médicalement ça a eu des conséquences tellement énorme que personne ne s’est interrogé sur une option aussi simple. J’ai errer d’examens en examens sans que rien ne soit trouver, enfin, rien qui ne soit déjà connu. Le poids de l’errance médicale est difficile à expliquer. C’est une montagne russe permanente entre envie qu’il y ait quelque chose et soulagement de n’avoir rien. Ces deux sentiments coexistent en permanence tout simplement parce que je cois qu’il est naturel d’avoir envie d’une explication, si terrible soit-elle. Et en même temps, devoir s’adapter à un handicap est quelque chose de complexe dans notre société validiste. C’est d’ailleurs tout ce qui a sous-tendu mon envie de pouvoir être “libéré”. Certains considèrent que l’euthanasie est un nouveau droit d’émancipation à conquérir au même titre que la suppression de la mention de sexe à l’état civil. Pourtant je crois qu’il y a une vraie différence fondamentale entre les deux. Ne pas être dans la norme cis et/ou dyadique est souvent encore considéré comme un problème médical de même que le handicap. Portant ils sont de nature différente. Le droit à disposer de son corps ne peut pas être le droit à disposer des sentiments de l’autre. Et c’est bien le cas dans le handicap. Quand toute la société vous répète que vous êtes un poids, que votre vie n’est pas digne et qu’en même temps tout est fait pour que rien ne bouge, alors forcément l’option suicide (assisté ou non) devient logique. C’est le fameux “Oui mais moi, si j’étais comme toi…” qui est bien moins souvent objecté aux personnes trans/inter. Lorsqu’on parle de transitions et d’arrêt des mutilations des personnes intersexes, la plupart des personnes ne se mettent pas à notre place pour savoir ce qu’elle ferait ou ce qu’elles aimeraient. L’un des arguments principaux pour s’opposer à la suppression de la mention de sexe à l’état civil est qu’il ne faut pas laisser les individus faire n’importe quoi et céder à leurs envies de façon pulsionnelle. C’est strictement l’inverse pour le suicide assisté et l’euthanasie. A partir de là, il est pour moi évident que mettre ces deux options politiques sur le même plan relève d’une mystification.
Pour continuer sur la notion de contrôle, il est très souvent mis en avant que le suicide assisté ou l’euthanasie sont la dernière liberté. Mais encore une fois c’est une erreur. Ce n’est pas une liberté mais un besoin de contrôle personnel. Et rien n’est fait socialement pour que les personnes malades et/ou handicapées aient la moindre sensation de contrôle. Quand vous êtes hospitalisé, ce n’est pas votre bien être qui passe en premier mais la sacro-sainte “organisation des soins”. Passer changer les cruches à 6h du matin avant de revenir une à deux heures plus tard pour la distribution du petit-déjeuner n’a rien de logique en dehors de la fragmentation des tâches. C’est pareil pour l’hospitalisation à domicile ou les services de maintien au domicile type Service Infirmier de Soins à Domicile (SIAD). Je devrais être en SIAD vu la difficulté que j’ai à faire ma toilette. C’est une compétence paramédicale et les aides à domicile ne sont pas sensé le faire. Mais il n’y a pas assez de places en SIAD et il a été jugé que je n’étais pas assez dépendant pour en bénéficier. J’avoue que ça m’a soulager parce que le SIAD débarque quand ils sont prêts et pas quand vous êtes au mieux. Il n’y a pas de prises la dessus. Vous n’êtes plus qu’un objet de soins dans un planning. Il reste encore la possibilité d’être l’employeur de son/ses aides à domicile. Mais il y a des députés qui, se croyant plus généreux que les autres, veulent l’interdire notamment au prétexte que le système d’aide aux personnes âgées est ainsi fait qu’en employant directement, vous aurez plus d’heures réellement effectuer. Pour les personnes handicapés, il y a aussi des biais qui font que selon les départements, le reste à charge peut être moins élevé en emploi direct qu’en passant par une association ou un service privé. Mais le vrai problème là dedans, ce n’est pas que les personnes cherchent à optimiser leur temps d’aide mais qu’elles y sont poussées par un système qui ne réponds pas entièrement à leurs besoins… Pouvoir contrôler l’horaire, le temps et le nombre de toilette dans la journée est important, justement parce que c’est la société qui vous renvoi que vous êtes un poids si vous ne pouvez pas le faire. Mais plutôt que de s’atteler à redonner vraiment le pouvoir aux personnes handicapées et malades, le problème est évacué avec l’idée que la vraie liberté est de mourir.
Même dans l’hypothèse d’un système d’aide idéale, donc à hauteur des besoins, efficient rapidement et adaptable, il y aura toujours des personnes qui auront envie de mourir. Mais la vraie question n’est pas d’être pour ou contre le suicide assisté et l’euthanasie mais pour ou contre s’occuper des inégalités liées à la maladie et au handicap.